- Culture Foot
- Rencontres Transmusicales de Rennes
Mozes & the Firsborn : « Robben est devenu chauve à dix-huit ans »
Avec leurs dégaines de grungeux de Seattle, difficile de croire que les Mozes & the Firstborn viennent d'Eindhoven et ont usé leurs jeans longtemps en tribune du Philips Stadion. Et pourtant, Melle, Ernst-Jan et Raven ont pas mal de choses à dire sur leur club et sur son rival, l'Ajax. Sur les Oranje, aussi. Où l'on apprend qu'aux Pays-Bas, se moquer de ses joueurs, mais aussi de ses entraîneurs, aussi talentueux soient-ils, fait figure de sport national.
Les mecs, vous venez d’Eindhoven. PSV, donc ?Melle : Ouais. Moi, ça me vient de mes parents. Ils avaient tous les deux des abonnements pour le PSV. Donc j’ai grandi avec cette ambiance de football autour de moi, c’est un truc de famille. La première fois que je suis allé au Philips Stadion, j’avais cinq ans, je crois. C’était l’âge d’or… La période Ruud van Nistelrooy-Luc Nilis.Ernst-Jan : Yeah ! Et n’oublions pas Ronaldo, non plus. Ronaldo et Luc Nilis, une sacrée doublette. Mais moi, j’étais fan de Romario, surtout. Quand je jouais étant gosse, c’était « Je veux être Romario ! » En plus, quand j’ai commencé à m’intéresser au football à l’âge de quatre, cinq ans, en 1988, le PSV venait tout juste d’être champion.
Ce qui est étrange, lorsque l’on parle du PSV, c’est qu’on oublie souvent Cocu.Ernst-Jan : Ouais, mais il est tout timide ! Il a pas ce caractère fort, extravagant. Tu te rappelles plus de Kežman qui célébrait ses buts en montrant son numéro aux supporters.Raven : Kežman, c’était un peu un héros. Je me souviens de ce truc complètement dingue avec Kežman, tout en orgueil. Le mec marquait et direct, t’avais la musique « Tududududududu… KEZMAN ! » (sur l’air du générique de Batman). Melle : Quand tu étais au stade, le plus intéressant à voir lorsque Cocu était sur le terrain, c’était quand il n’avait pas la balle. Il repositionnait sans cesse l’équipe et te la remettait dans le sens de la marche en seulement vingt secondes.Ernst-Jan : Il a marqué un des buts légendaires du PSV. La saison où l’on devient champion en 2007, durant le dernier match, dans les vingt dernières minutes. C’était le dernier match de toute sa carrière. Après, il arrêtait tout (en réalité, il a fait une pige d’un an aux Émirats ensuite, à Al Jazira Club). Et l’Ajax ou l’AZ Alkmaar pouvaient devenir champions. Nous aussi, mais on était troisièmes, dans une fâcheuse posture.Raven : J’y étais, à ce match, avec un pote à moi. Tout le monde pensait qu’on ne deviendrait jamais champions cette année. Au départ, je me disais « Fuck this » , je préfère rester à la maison, mais je me suis dit « Allez, essayons » . Et tout d’un coup, il y a eu cette alerte but disant que l’AZ et que l’Ajax avaient pris un but et c’est devenu la folie. À l’époque, on n’avait pas les smartphones et tous ces trucs, donc t’avais des mecs avec des transistors collés aux oreilles dans les tribunes, suivant les deux matchs à la fois et qui hurlaient. Melle : Complètement malade.
Bon, c’est quoi le souci avec l’Ajax ?Raven : Ça, c’était plus dans les années 70 ou 80. J’ai une super anecdote à ce sujet. Mon frère était très fan de l’Ajax, mais bien trop jeune pour aller au stade, donc mon père décide de l’accompagner. Mon frère insiste également pour avoir son maillot de l’Ajax sur le dos. Sauf que venant d’Eindhoven, on est censés être des fans du PSV, donc on a pris le bus avec les supporters du PSV. Mon père lui dit alors : « Oui, tu peux porter ton maillot, mais fais en sorte de garder ta veste jusqu’à l’arrivée au stade, s’il te plaît. » Melle : Avec Raven, on a eu un professeur au lycée, un vrai fan du PSV. Le jour de la rentrée, la toute première heure, un gamin entre en classe avec un cartable de l’Ajax. Le prof a regardé le gamin et lui a dit direct « Tu sors. De suite. » Ernst-Jan : Ça, c’est un bon professeur… Plus sérieusement, je crois que toute l’histoire entre l’Ajax et le PSV est due au fait que l’Ajax est un club très arrogant. Ils sont toujours en train de revendiquer le plus beau football pratiqué, ils se surnomment eux-mêmes les « Enfants de Dieu » . Et nous, à Eindhoven, on n’aime pas ces conneries. On parle pas trop, on joue juste au foot.
C’est un peu la réputation que vous avez : l’Ajax a le beau football et vous, la besogne.Melle : Attention, pèse bien tes mots, là ! (rires)Ernst-Jan : Oui bon, c’est vrai qu’on aime bien laisser traîner les coudes par-ci par-là, parfois.Melle : Et puis, on avait Van Bommel, qui était un joueur dur sur l’homme. Plus souvent occupé avec les arbitres qu’avec le football, hein. Mais il était malin, il savait parfaitement jusqu’où il pouvait aller avec eux. Et puis son attitude : toujours travailleur, à pousser son équipe.Ernst-Jan : Il pouvait changer le destin d’un match sur une simple frappe de loin. Si ton équipe est au fond du trou, Van Bommel se pointe, avec ses boucles noires…Melle : Et ses oublis défensifs ! Ils peuvent changer le monde entier ! J’étais au match contre le Milan AC en 2005, en demi-finales de Ligue des champions, et il commet une énorme faute : il marche pour se replacer et laisse filer au but Massimo Ambrosini qui colle une tête… Van Bommel a brisé tous nos rêves ! On croyait vraiment qu’on la gagnerait cette Ligue des champions, en plus. Je pense que ça doit encore le hanter la nuit, qu’il doit en faire des cauchemars.Ernst-Jan : Ça, et la Coupe du monde 2010. On a perdu et c’était son dernier match avec les Pays-Bas.
En même temps, les Pays-Bas en compétition internationale, c’est souvent une affaire de déception.Melle : Ouais. Pour nous, la première fois, c’était en 1998. Celle-ci, elle a vraiment été dure à avaler. Mon frère et moi, on regardait le match dans la chambre de notre mère et je peux te dire qu’après, ça a été très compliqué de dormir. D’ailleurs, à chaque événement footballistique majeur, on a les démons qui reviennent nous hanter. Celui de la victoire à l’Euro en 1988. Le but de Van Basten contre l’Union soviétique. Ils le rediffusent en boucle à la télévision. Une vraie malédiction, ce truc.Ernst-Jan : En 2010, on croyait vraiment y être enfin arrivés. C’était pas le plus beau des footballs, c’est vrai, mais ça marchait. Sauf que non.Melle : Ça faisait deux fois qu’on perdait en finale de Coupe du monde en pratiquant un football magnifique et là, on arrivait en finale avec un jeu dégueulasse. Très business. Face à l’Espagne, en plus. Donc on était censés gagner ! D’un autre côté, si tu regardes la taille de notre pays, il y a de quoi être fier : on n’est pas nombreux à produire un aussi bon football avec si peu d’habitants. Donc si on remporte une Coupe du monde, c’est juste incroyable.Ernst-Jan : Je crois que si ça arrive, je prends une année sabbatique. Mais le problème, c’est que dès qu’une compétition commence, tout le pays est persuadé qu’on va gagner. « Cette fois-ci, c’est la bonne ! » Mais là où les Néerlandais sont les plus fous, c’est quand il faut s’habiller pour le match. Du orange partout. Melle : Je fais jamais ça, moi…Ernst-Jan : Moi, je le fais ! Je mets mon vieux T-shirt des Pays-Bas, avec le nom de toutes légendes dessus, une perruque… (rires)Raven : Mais c’est aussi parce que le football, particulièrement au stade, c’est comme faire la fête. Personnellement, je ne regarde pas de football chez moi. En revanche, je suis toujours le premier à aller au stade pour sortir, boire des coups, prendre la température.Ernst-Jan : Pour revenir à la Coupe du monde 2010, on est vraiment passés à un rien de l’avoir.Melle : Sauf qu’on avait Robben. Il est assez fucked up, lui, comme ancien du PSV. Mais je crois qu’il est un peu venu à bout de son traumatisme en remportant la Ligue des champions avec le Bayern l’année dernière. Tant de finales, mais tant de finales perdues… Ernst-Jan : Je crois que si Robben avait perdu la Ligue des champions contre Dortmund, ç’aurait été celle de trop. Il se serait suicidé. Avec ce mec, c’est toujours une relation d’amour et de haine. Tu sais, ça doit être dur d’être Robben : il est devenu chauve à dix-huit ans, il est tout le temps blessé, on l’a surnommé « l’homme de verre » . Donc je l’aime un petit peu, quand même. Je partage sa douleur.
Quelle équipe des Pays-Bas vous a laissé la plus forte impression ?Ernst-Jan : Lorsque Van Basten était sélectionneur. Il y a eu trois matchs de légende – contre l’Italie, la France et la Roumanie – en poules de l’Euro 2008 : c’est le meilleur football batave que je n’ai jamais vu. Il pratiquait un football agressif, mais en même temps très beau, porté sur l’attaque, avec des buts très bien construits. Le gros souci des Pays-Bas, c’est que l’équipe marque peu, mais là, il en venait de partout ! On ne s’y attendait pas. C’était tellement excitant. C’est vrai que Van Basten n’était pas forcément apprécié, mais ces trois matchs, woaaah… Du football 2.0, mec. Ils ont perdu en quarts de finale contre la Russie. Contre Hiddink. En prolongation. Ça craint. Mais on peut pas détester Guus Hiddink pour ça, parce que c’était le coach du dernier âge d’or du PSV.Melle : Ça a l’air d’être un bon gars, mais en ce moment, il est englué dans une histoire d’impôts un peu mystérieuse. C’est très brumeux et personne ne sait exactement de quoi il retourne.Raven : Attends, c’est un putain de héros à Eindhoven…Ernst-Jan : Ouais, mais tout le monde se fout de sa gueule parce qu’il adore l’argent. C’est sans doute l’un des seuls mecs qui a vu la crise économique comme une opportunité ! (rires)
Et Louis van Gaal, alors, on en parle ?Ernst-Jan : Un sacré personnage… J’adore ses interviews, ce sont les meilleures. Mais depuis qu’il a gagné la Ligue des champions en 1995 avec l’Ajax, il se prend pour le dieu du football. Une fois, après une défaite, un journaliste l’interviewe : « Ça n’était pas un si bon match, si ? » Et Van Gaal s’emballe : « Pas un si bon match ?! On n’a pas vu le même match alors ! C’est le meilleur match que j’ai jamais vu cette saison ! D’accord, on a perdu, mais c’était le meilleur match de la saison ! Vous n’y connaissez rien au football ! » Melle : Il avait également dit à un journaliste : « Est-ce moi qui suis trop intelligent ou est-ce toi qui es trop stupide ? » Quand il est revenu à l’Ajax, il y a quelques années, il a fait une conférence de presse sous forme de poème, qu’il a terminé par un « le cercle est rond » . Durant plusieurs semaines, tous les Pays-Bas se sont foutus de sa gueule en répétant « le cercle est rond » partout. C’est le meilleur spectacle que tu puisses avoir en matière de football.
Mozes & the Firstborn en concert aux Trans Musicales le 6 décembre 2013
Le site de Mozes & the Firstborn
Gagnez des places pour les Trans Musicales de Rennes !
Propos recueillis par Matthieu Rostac