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Moyes / Ferguson : même combat, vraiment ?
Malgré la tempête qui s'abat en ce moment, Manchester United, comme à son habitude, refuse de céder à la panique. MU continue de s'appuyer sur deux principes sacrés et synonymes de réussite : la patience et la confiance. Tout ce dont a bénéficié Alex Ferguson à ses débuts et dont bénéficiera sans doute son successeur, David Moyes. Mais les temps ont changé. Le football moderne exige des résultats. Et vite. Très vite.
La gloire, la splendeur, les sommets. Et après ? C’est une question existentielle, sans cesse martelée à travers les époques, qui poursuit les grands hommes ainsi que les grandes histoires. Au sommet depuis presque un quart de siècle, Manchester United contemple malgré lui le vide vertigineux laissé par Sir Alex Ferguson. Un vide devant lequel se penche depuis l’été dernier son successeur adoubé, David Moyes. À l’heure où l’ancien entraîneur d’Everton est de nouveau tourmenté à la suite d’une défaite accablante face à Chelsea (3-1), dimanche, les Red Devils viennent tout juste de saluer la mémoire de Sir Matt Busby, disparu il y a vingt ans et artisan majeur du prestige acquis par le club anglais. Plus que jamais, c’est l’ombre de l’Histoire qui enveloppe l’après-Ferguson.
Ferguson, arbitre historique
La jurisprudence est connue de tous. Si David Moyes ne se retrouve pas actuellement sur un siège éjectable, il le doit essentiellement aux débuts poussifs de son prestigieux prédécesseur. Débarqué en novembre 1986, Alex Ferguson a dû attendre quatre années avant de soulever son premier trophée, la FA Cup. Quatre années dignes d’un long chemin de croix où le manager écossais a vécu avec la peur chronique de prendre la porte. Un temps où les critiques pleuvaient abondamment. En 1988, Brian Marriott, un célèbre journaliste britannique, réservait sa plume acérée à Fergie dans un éditorial intitulé « Fergie doit partir » . Il écrivait, convaincu de la chute prochaine de celui qui se verra plus tard édifier une statue à son effigie, que « le temps est venu pour Manchester United de virer Alex Ferguson. (…) United ne gagnera jamais rien tant qu’il est manager » .
Un an plus tard, faute d’amélioration, la contestation arrive à son paroxysme en décembre. Après une nouvelle défaite contre Crystal Palace, certains supporters excédés décident d’afficher ostensiblement leur mécontentement avec cette fameuse banderole dépliée à Old Trafford : « Trois ans d’excuses et c’est toujours la merde. Ta ra Fergie » . La suite, on la connaît: 38 trophées en vingt-sept ans de règne. Aujourd’hui, en ces temps agités, United continue de brandir cet antécédent comme une vérité absolue. Incontestable, même. D’où la confiance et la patience accordées à Moyes. Mais les époques diffèrent, tout comme les circonstances. Il y a presque trente ans, Fergie se voyait confier un effectif alcoolique et loin de pouvoir se hisser dans les hauteurs du championnat. Cette saison, son successeur dispose d’un groupe champion en titre d’Angleterre ainsi que d’un chéquier largement plus conséquent. Dès lors, laisser du temps à Moyes est-il un discours tenable et viable dans le temps ? `
Du temps, mais pas éternellement
À Manchester, les choix sont rarement discutés. Encore moins quand ils sont mûrement réfléchis. David Moyes bénéficiera de temps, mais pas éternellement. « Les choses sont très différentes aujourd’hui par rapport à l’époque où était arrivé Sir Alex Ferguson. Tous les meilleurs clubs exigent ou demandent à jouer en Ligue des champions, souffle Bill Rice, reporter qui suit quotidiennement les Red Devils pour la radio BBC. Les managers qui échouent n’ont pas ont tendance à durer longtemps. David Moyes a un contrat de six ans, ce qui indique que United est prêt à lui donner le temps pour remodeler l’équipe à sa façon. Mais la patience du club pourrait être mise à rude épreuve si United ne termine pas dans les quatre premiers cette saison, encore plus la saison prochaine… » . La patience, érigée comme la mère des vertus, constitue donc toujours l’un des ressorts fondamentaux du club aux vingt couronnes nationales. Quitte à se plaire un peu trop dans le relief de Ferguson et tomber dans la comparaison systématique.
Conscient que la période de transition apparaîtrait plus que délicate à gérer, les dirigeants d’United ont d’ailleurs déjà anticipé une éventuelle non-participation aux compétitions européennes la saison prochaine. Le retour en bourse en août 2012 a déjà permis au club d’alléger quelque peu son endettement (448,1 millions d’euros). Mais ce sont surtout les sponsors (19 au total), signés à foison depuis l’an dernier, qui permettraient d’amortir une telle déconvenue. « Le directeur exécutif du club, Ed Woodward, a affirmé qu’ils avaient prévu leur budget de la saison prochaine avec l’objectif d’une place sur le podium en Premier League et en quarts de finale de la Champions League. Ils devraient atteindre les quarts en battant l’Olympiakos, mais le second objectif paraît très peu probable. Ce qui signifie que le club devra revoir ses prévisions. Les nombreux sponsors et autres partenariats avec lesquels a signé le club ont tous offert de nouvelles sources de revenus jusqu’ici inexploitées par le club » , détaille Rice. À condition, toutefois, que cette situation ne soit que provisoire. « Mais ces partenariats avec la marque de Manchester United dépendent de la réussite du club, argumente-t-il. C’est pourquoi les performances sur le terrain sont indispensables pour continuer de percevoir ce flux de revenus. Le club peut se permettre de passer une année sans Champions League, mais il doit prouver concrètement qu’il est sur la voie de la reconstruction pour revenir au top du football anglais » .
Tout reste à écrire
En août, alors qu’il venait juste d’endosser son nouveau costume à la tête de United, Moyes savait sciemment l’immense défi auquel il serait confronté. « Ça me prendra peut-être 18 mois ou 2 ans pour changer les choses. Combien de temps a-t-il fallu à Sir Alex pour qu’il les fasse évoluer de la manière qu’il souhaitait ? Ce qui est formidable, c’est que je vais avoir l’opportunité de le faire à United. C’est un projet à long terme, et un résultat inhabituel n’est pas ce qui va le faire dérailler » , analysait le coach écossais en longueur dans France Football. Ferguson a mis quatre saisons avant de faire taire les critiques, lui qui arrivait pourtant avec dix titres glanés à Aberdeen. Moyes, qui ne compte aucun titre hormis un honorifique Community Shield, aura certainement moins de temps et ses certitudes auparavant affichées semblent déjà ébranlées.
Tout reconstruire, c’est aussi là une chance formidable pour ce dernier d’écrire sa propre œuvre. Et de marquer, à terme, l’histoire du club. « David Moyes ne peut simplement pas se baser sur les succès de Ferguson et sait qu’il doit aborder ce job avec ses propres idées et croyances. C’est cela qui peut prendre du temps pour parvenir au succès. Plus important encore, il se doit de fournir de meilleures performances et des résultats à court terme pour au moins montrer des signes de progrès, juge Bill Rice. Cela lui donnera du temps et lui permettra d’essayer de mener le club vers l’avant à sa façon. Comme l’a dit Moyes lui-même, c’est un ‘énorme défi’, mais également une ‘chance unique’ de pouvoir le relever. À lui désormais d’essayer de le faire » . Un peu plus de vingt ans après sa célèbre banderole arborée fièrement en 1989, Peter Molyneux, son auteur, avait reconnu s’être lourdement trompé à propos de Fergie : « Je n’aurais jamais pensé que nous pourrions avoir un manager qui se rapprocherait si près de Sir Matt Busby et, pourtant, nous en avons maintenant un qui l’a probablement surpassé » . De quoi patienter un peu avant de confectionner une nouvelle banderole à destination de David Moyes.
Par Romain Duchâteau