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Mousa Dembélé : « On a appris à m’apprécier avec le recul »
À la retraite depuis deux ans, Mousa Dembélé est devenu un joueur glorifié par les compilations sur Youtube et les réseaux sociaux. L’ancien milieu de terrain a accepté de se poser pour retracer le fil de sa carrière et parler de son style de jeu. Au programme : le plaisir à Tottenham, une demi-finale de Coupe du monde ratée et sa nonchalance.
« J’ai toujours aimé prendre mon temps. » Glissée au milieu de la discussion, cette phrase résume assez bien l’état d’esprit de Mousa Dembélé. Retraité des terrains depuis 2022 et une dernière pige en Chine, l’ancien international belge vit aujourd’hui à son rythme, « sans regarder dans le rétro ». Ce qui l’a poussé à s’éloigner du football pour investir dans l’immobilier et se poser sous le soleil du Portugal. En détente.
Mousa, tu n’as pas forcément eu une grande médiatisation durant ta carrière. Mais depuis ta retraite, on parle de toi comme d’un joueur frisson, avec des compilations sur les réseaux sociaux ou YouTube.
C’est vrai. J’ai senti cette reconnaissance après ma carrière. Il y a de nombreuses vidéos de moi sur les réseaux sociaux, certains disent carrément que j’étais un de leurs joueurs préférés. (Rires.) Le football est comme ça : quand on regarde chaque semaine Match of the Day (émission longtemps présentée par Gary Lineker sur la BBC, NDLR), on fait toujours plus attention à ceux qui marquent des buts ou se montrent décisifs. Moi, avec mon poste, on a appris à m’apprécier avec le recul. Mais honnêtement, je me suis toujours senti considéré, tant par les confrères que les supporters.
C’était une volonté de ta part de passer sous les radars ?
Ce n’était pas un choix, simplement ma personnalité. Je ne suis pas vraiment un timide comme N’Golo Kanté chez vous par exemple, mais je n’aime pas non plus être au centre de l’attention.
À l’instar de nombreux joueurs appréciés des puristes, on loue souvent la facilité que tu dégageais sur le terrain, si bien que l’on te trouvait presque nonchalant.
Clairement, je suis nonchalant. (Rires.) Pas seulement dans le football, mais dans la vie de tous les jours. J’ai aimé gagner, et tu ne deviens pas sportif de haut niveau si tu ne cherches pas la victoire. Mais disons qu’au-delà de la performance, j’ai toujours souhaité faire ce qui me semblait agréable à regarder. C’est aussi une question d’éducation. Mes parents m’ont toujours répété de ne jamais me soucier du regard des autres, et j’ai toujours gardé cette phrase en tête.
Il y a un chiffre complètement fou qui circule sur toi : tu n’aurais perdu que treize ballons en six saisons. C’est vrai ?
Cette statistique est ma légende urbaine. (Rires.) Évidemment, c’est faux, mais ça illustre le joueur que j’étais et la trace que j’ai laissée dans la tête des gens. J’en suis d’autant plus fier, car c’est un aspect technique que je tiens de mes matchs de rue. Quand je jouais au street football, l’objectif était de garder le ballon le plus longtemps possible. Ma protection de balle est une signature, et c’est super pour tout footballeur d’être reconnu pour un aspect en particulier. C’est comme une marque déposée.
Made it look so easy. 🪄 pic.twitter.com/LC1FYoykVh
— Tottenham Hotspur (@SpursOfficial) August 29, 2024
D’où te venait ce sang-froid balle au pied ?
C’est simple. Quand j’entrais sur le terrain, j’observais mon adversaire et je me disais : « Premièrement, tu ne me dribbleras pas ; deuxièmement, tu ne me prendras pas le ballon. » C’était ma manière d’entamer le match sans complexe d’infériorité. En revanche, tous mes dribbles marchaient à l’instinct. J’ai fait une analyse simple : sur le terrain, quand tu prévois quelque chose, généralement ça se casse la gueule. Ça se voit parfois avec les jeunes qui manquent de spontanéité dans leurs gestes. On devine rapidement quand ils veulent faire un crochet ou un passement de jambes. Ce que j’ai essayé de faire perdurer, c’est justement ce sens de l’impro.
Tu avais un geste préféré ?
(Il réfléchit.) Pas de geste technique favori, mais un petit faible pour la feinte de corps : sans toucher la balle, je balançais mon corps, l’adversaire partait dans l’autre sens et bam, je sprintais ! J’ai énormément travaillé mon équilibre, pour avoir un bon jeu de jambes. J’utilisais aussi ma main pour protéger mon ballon. C’est un geste que je tiens du basket-ball, car j’en ai beaucoup fait. Quand je sentais l’adversaire derrière moi, je mettais ma main en opposition pour l’empêcher de s’approcher de ma zone, comme un écran inversé en basket. C’était un réflexe, puis c’est devenu un atout.
On a discuté avec Georges Leekens pour préparer cette interview, lui qui t’appréciait beaucoup lorsqu’il était à la tête des Diables rouges entre 2010 et 2012. Il nous a dit que la seule chose qu’on pouvait te reprocher sur un terrain, c’était ton manque de buts.
Je peux comprendre cette critique, car les statistiques font partie du football. Mais je me souviens qu’à Tottenham, Mauricio Pochettino me disait qu’il se fichait de mon nombre de buts tant qu’on gagnait nos matchs. Il savait que je récupérais beaucoup de ballons, que je cassais des lignes, que je me projetais… J’aurais pu marquer plus, mais je sais aussi que je me donnais beaucoup physiquement sur le terrain. Un joueur qui lâche la balle plus vite garde forcément de l’énergie pour être lucide devant le but. C’est une critique qu’on m’a rabâchée toute ma carrière, mes faibles stats. Mais à partir d’un certain âge, j’ai arrêté d’y penser.
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En parlant de Pochettino, c’était comment ce passage à Tottenham (2014-2019) ?
Incroyable ! On avait de très bons joueurs, mais surtout une excellente équipe. Quand Pochettino est arrivé, on a commencé à s’entraîner beaucoup plus dur. C’était très intense, plus strict qu’avant… Les résultats sont arrivés plus tard : on gagnait facilement des matchs qui nous posaient problème auparavant. Ce qui est dommage, c’est de ne pas avoir mis la main sur un trophée. Mais bon, j’essaie surtout de retenir ce que nous avons construit en matière de collectif : il y avait des résultats, du beau jeu et nous avons rendu les gens heureux.
Quand on repense à tes années londoniennes, on cite souvent ton match de Ligue des champions contre la Juventus en 2018 (2-2). Était-ce le meilleur de ta carrière ?
J’ai effectivement été très bon ce jour-là ! Après une bonne prestation dans un grand match de Ligue des champions, et contre une équipe comme la Juventus, nous sommes toujours complimentés. Mais je ne pense pas qu’il s’agissait intrinsèquement du meilleur match que j’ai disputé. Même si la Juve avait une bonne équipe, je ne pense pas qu’elle était si forte que ça à cette période. Par exemple, j’ai joué de bien meilleurs matchs contre Manchester City ou Liverpool que je considère comme plus forts.
On se souvient aussi d’un match contre le Real Madrid, quelques mois plus tôt, où tu avais bien contenu Casemiro. Ça te fait quelque chose de te dire que tu as tenu tête à l’un des meilleurs milieux de terrain de la décennie ?
Je m’en souviens, de ce match contre Madrid : c’était très tendu. Ça a d’ailleurs fini en embrouille avec Sergio Ramos, on m’en parle encore. Pour être honnête, je n’avais pas trop fait attention à qui j’avais en face. Je ne regarde jamais de football et ne connaissais donc pas souvent les joueurs que j’affrontais. Généralement, si je n’ai pas déjà affronté un joueur, je connaîtrai son nom, mais serai incapable de vous citer ses qualités. Attention, ce n’est pas de l’arrogance, c’est juste que je n’ai vraiment jamais aimé regarder le football ! (Rires.)
C’était déjà le cas quand tu étais enfant et que tu rêvais de devenir footballeur ?
Mon père adorait le football, il me répétait : « Viens voir le match, tu peux apprendre beaucoup de choses. » Mais pourquoi regarder d’autres personnes jouer quand je peux le faire moi-même ? Je ne comprenais pas ce concept. L’autre jour avec Jan Vertonghen, on a voulu regarder le Clásico entre le Real Madrid et le Barça. Mais après quelques minutes, on a commencé à discuter et on n’a rien suivi de la partie. Bon, j’essaie quand même de donner goût au football à mon fils en regardant quelques matchs avec lui, ça marche un petit peu.
On a évoqué tes belles prestations. En parallèle, il y en a aussi une mauvaise : face à la France, en demi-finales de Coupe du monde 2018.
Je devais avoir un rôle tactique important ce jour-là : j’étais censé recevoir les ballons, éliminer des joueurs, briser des lignes. Le coach (Roberto Martínez, NDLR) m’a donné beaucoup de responsabilités et je ne voulais pas le décevoir. Mentalement, j’ai fait une erreur : me mettre une pression énorme. Pendant le match, j’ai forcé des actions que je ne tente pas d’habitude, je dribblais à des moments inopportuns. Même les gestes simples ne me réussissaient pas.
Comment tu l’expliques ?
Le coach m’avait dit que je jouerais le quart de finale contre le Brésil, avant de se raviser. Contre la France, je me suis donc trop motivé. Peut-être parce que c’était une demi-finale, peut-être parce que je n’avais pas joué le match précédent et que je voulais prouver mon niveau. Normalement, je suis relax, confiant avec le ballon, mais ce jour-là, je voulais montrer que j’étais capable de dribbler un mec, deux mecs… Puis quand on perd quelques ballons, on cogite. Résumé : nous avons perdu et je n’ai pas été bon.
Depuis, France-Belgique est devenu une rivalité assez spéciale.
(Il coupe.) Pas vraiment. De mon côté, il n’y a jamais eu de réelle rivalité avec la France. En Flandre, nous ne ressentons pas cette dualité. C’est davantage le cas dans la partie francophone, en Wallonie. Pour les Flamands, la rivalité concerne peut-être les Pays-Bas, à la limite.
Tu comptes 82 sélections avec la Belgique, mais tu as eu relativement peu de temps de jeu dans les grands tournois par rapport aux autres stars de l’effectif. Pourquoi ?
Ce que peu de gens savent, c’est qu’à Tottenham, j’avais des douleurs au quotidien. Je jouais sous infiltration. Théoriquement, les trêves internationales devaient me permettre de me reposer, mais il fallait que je rejoigne la sélection. Donc mes périodes de repos, je ne les ai finalement jamais eues. Je voulais vraiment jouer pour la Belgique et j’ai adoré ça, mais c’était parfois trop, les voyages et la charge des matchs.
On reproche souvent aux Diables rouges de n’avoir rien gagné. L’étiquette de « génération dorée » était-elle trop lourde à porter ?
Pour tout vous dire, je n’ai jamais prêté attention à ce surnom. Sur le terrain, je savais quoi faire, Hazard aussi, De Bruyne aussi… Pourquoi n’avons-nous rien gagné ? Grande question. Il y a plusieurs facteurs, mais je ne pense pas que cette « pression » en soit un. D’autres équipes participaient à ces compétitions, et ce n’est pas forcément la plus qualitative qui gagnait.
Même si tu ne suis pas beaucoup le football, quels sont les joueurs que tu préférais regarder ?
Je vais vous donner mon top 3, ce sera plus simple. D’abord, mon joueur préféré reste Ronaldinho : j’ai joué deux fois contre lui (lors des JO 2008, NDLR), c’est une fierté immense. Après il y a Iniesta, puis Okocha, qui m’a vraiment, vraiment fait kiffer. Iniesta, je suis prêt à me battre si quelqu’un le critique !
Propos recueillis par Adel Bentaha et François Linden