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Mourinho-Rodgers, de l’amitié à la rivalité
Pour eux, Chelsea-Liverpool n'est pas un simple duel alléchant de Premier League, mais un rencard à la saveur particulière. Avant de s'affronter, José Mourinho et Brendan Rodgers ont travaillé ensemble chez les Blues, lors du premier passage du Special One à Londres.
Écouter José Mourinho discourir en conférence de presse, c’est souvent se livrer à un exercice sortant de l’ordinaire, hypnotique, presque contemplatif. Parce que l’entraîneur de Chelsea a le verbe subtil. La conviction des mots conjuguée à l’ironie pour asseoir son autorité. Mais, surtout, sa singularité. Comme en avril 2014, avant un déplacement à Anfield éminemment déterminant dans la course au titre de champion, où le Special One affirme n’avoir aucun regret d’avoir dévoilé certains aspects de son management à Brendan Rodgers quelques années plus tôt, alors que le coach de Liverpool était l’assistant du Mou chez les Blues (2004-2007). « Je suis un livre ouvert. Je n’ai rien à cacher, martelait-il devant un parterre de journalistes, plein d’aplomb. N’importe quel entraîneur peut venir dans mon bureau, brancher une clé USB sur mon ordinateur et télécharger mes séances d’entraînement et mes idées. Ils peuvent télécharger mes informations, mais pas mon ADN. Il n’y a qu’un seul Mourinho. »
Brendan n’aime pas les bus
Et cela s’est vérifié sur le terrain. À trois journées du terme du championnat, Mourinho avait bluffé en affirmant vouloir envoyer une équipe bis pour se concentrer exclusivement sur les demi-finales de Champions League contre l’Atlético Madrid. Rodgers a plongé en privilégiant un jeu offensif et risqué plutôt que de se satisfaire du match nul. Captain Gerrard a glissé et Chelsea gagné (0-2). Une défaite, une leçon infligée même au boss des Reds qui préférera vilipender le style prôné par son ex-mentor, non sans une once d’amertume : « Je pense qu’il n’y avait pas un, mais deux bus garés (devant le but) aujourd’hui. C’est l’opposé de ce que nous faisons… Ce n’est pas difficile d’entraîner en mettant dix joueurs dans la surface. José me montrera son CV et dira que ça marche. Mais ce n’est pas ma façon de travailler. Moi, j’aime prendre des initiatives. » Peut-être. Mais le principal enseignement de cette rencontre n’a souffert aucune contestation. Brendan Rodgers a encore du chemin à parcourir avant de pouvoir réellement prétendre concourir avec José Mourinho.
Le Happy One n’a pas forcément créé des vocations, mais a été une véritable source d’inspiration pour ceux qui ont travaillé en étroite collaboration avec lui. André Villas-Boas (Zénith Saint-Pétersbourg), Aitor Karanka (Middlesbrough) et Steve Clarke (Reading) ont ainsi tous embrassé une carrière d’entraîneur après avoir vu au plus près Mourinho exercer ses talents. Brendan Rodgers, lui aussi, n’a jamais nié avoir été profondément influencé par le chef d’orchestre portugais. C’est après une carrière de joueur prématurément interrompue à vingt ans, en raison d’une blessure et des pérégrinations menées à travers l’Europe (notamment en Espagne et aux Pays-Bas) afin de débuter son apprentissage de coach, qu’il a été choisi en personne par Mourinho comme entraîneur des jeunes à Chelsea. Deux années plus tard, il sera promu coach de la réserve grâce à son travail réalisé.
« Mourinho est quelqu’un de bien, un éducateur fantastique. Il m’a guidé »
Au cours des trois années passées sous l’égide du manager lusitanien, Rodgers apprend. Engrange de l’expérience. Peaufine ses connaissances. « C’est quelqu’un de bien, un éducateur fantastique. Ce qu’il m’a donné, c’est des responsabilités, des opportunités, expliquait-il longuement à France Football en août 2012. J’étais très jeune alors (Rodgers avait 31 ans lorsqu’il a rejoint le staff de Mourinho, ndlr). On m’a fait venir en septembre 2004 – José avait rejoint le club en juin. Il voulait mettre en pratique ses idées tactiques dans le club tout entier – ses deux systèmes favoris, le 4-4-2 avec milieu en losange, et le 4-3-3 –, et j’étais l’un des rares entraîneurs britanniques qui savaient chanter cet air-là. La connexion a été immédiate. Dès que je suis arrivé, il est venu vers moi. Pas de question : il m’a mis sous pression. Si ça n’avait pas marché, il ne m’aurait pas donné de seconde chance. Mais il m’a offert l’opportunité de travailler avec des « gros » joueurs. Il m’a guidé. Il m’a raconté comment ça s’était passé pour lui quand il était un jeune coach qui faisait son chemin. »
De son mentor avec qui il était resté très proche avant de venir sur le banc de Liverpool, Rodgers a surtout retenu son empathie. Sa faculté à façonner et gérer un groupe. « Je dirais que l’un de ses plus grands atouts est sa capacité à respecter les autres. Il respecte tous les joueurs, qu’ils jouent ou non. L’une des choses les plus importantes que j’ai retenues de lui, c’est ce respect, pour tout le monde. (…) Mourinho est quelqu’un de formidable, mais on ne peut pas être un autre, poursuivait-il dans le même entretien. Ma philosophie était déjà formée avant que j’arrive à Chelsea. Ce que j’ai pu faire là-bas, c’est expérimenter avec quelques-uns des meilleurs jeunes et des meilleurs seniors du monde. Quand j’ai fini, j’avais quinze ans d’expérience de coaching, des gamins de cinq ans à Ballack, Deco, Chevtchenko, Lampard… Le moment était venu de faire mon chemin tout seul. Le management humain n’est pas quelque chose qu’on peut apprendre de Mourinho, ça doit venir de vous-même. »
En 5 confrontations, Rodgers n’a jamais battu son mentor
Ses débuts en tant que manager, le technicien britannique les fait en Championship, à Watford. Puis à Reading (2009), un club qui venait tout juste de remonter dans l’élite. Une expérience qui a tourné court, puisque Rodgers a été démis de ses fonctions quelques mois après. Mais ce sont ses deux saisons à Swansea (2010-2012) qui lui permettront de se faire un nom outre-Manche. En s’appuyant sur l’héritage légué par Roberto Martínez, c’est-à-dire un style de jeu léché fait de passes courtes et axé sur la possession, l’actuel manager de quarante-deux ans a hissé les Swans en Premier League. Et marqué les esprits. « Je défendrai toujours le droit de jouer un football d’attaque : vous gagnerez plus de matchs que vous en perdrez. (…) Je suis un coach, je veux gagner, mais avec un certain style, et je ne dévierai jamais de cette conviction. Avec Swansea, quand nous sommes arrivés en Premier League, les gens ont dit que nous étions comme Blackpool. Sept mois plus tard, ils nous comparaient à Arsenal » , exposait-il il y a trois ans. Le style, l’accent mis sur le côté offensif, la volonté de proposer du spectacle. C’est, là, le point majeur qui diverge entre l’élève et son maître. À l’idéalisme de Rodgers, Mourinho répond, lui, par un pragmatisme immuable et froid où l’efficacité prédomine sur la manière.
Mais les deux hommes cultivent tout de même certaines similarités. Ils ont, tout d’abord, été grandement inspirés par le Barcelone de Louis van Gaal (1997-2000). Mourinho a travaillé comme entraîneur adjoint du Pélican, tandis que Rodgers a été bercé par les Blaugrana. « Je suis un disciple de leur modèle depuis de longues années. Depuis Van Gaal surtout » , confiait-il encore à France Football. Autres aspects qui les relient : l’exigence au quotidien, la volonté de considérer les joueurs avant tout comme des hommes et l’assurance face aux médias. En premier lieu tendre devant les journalistes à son arrivée en Premier League, le Nord-Irlandais est devenu au fil du temps bien plus pugnace, n’admettant que très peu la contradiction quant à l’analyse d’un match. Si la méthode du Mou a fait ses preuves, celle de son homologue demande encore du temps avant d’être pleinement reconnue. En cinq confrontations toutes compétitions confondues, le Special One n’a pas perdu une seule fois face à son élève (4 victoires, 1 nul). Mais Rodgers a encore du temps pour à son tour donner la leçon au maître. Comme il le disait lui-même récemment : « Je serai meilleur l’an prochain. » Une formule qui n’a jamais semblé aussi digne d’un certain José Mourinho.
Par Romain Duchâteau