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Mourinho, Man vs Wild
Ouvertement critiqué pour son approche à Liverpool et lors de la réception de Tottenham, José Mourinho a définitivement renfilé son costume de diable. José est redevenu Mourinho, pour le meilleur et bien sûr pour le pire.
Puisqu’on refuse de l’écouter, pourquoi ne pas l’écrire ? Quelques mots glissés dans le United Review, distribué lors de chaque match à Old Trafford : « J’espère que vous apprécierez plus le match que certains d’entre vous l’ont fait contre Tottenham dimanche.(…)C’était un match extrêmement serré entre deux équipes, mais je pense que nous avons obtenu finalement ce que nous méritions au regard de nos efforts. Les joueurs ont tout donné, donc même si l’on n’avait pas gagné, j’aurais été fier d’eux. » Mercredi dernier, trois jours après une victoire sans bulle face à Tottenham (1-0) et alors que Manchester United vient de battre Benfica (2-0), un José Mourinho saoulé débarque face à la presse.
Depuis ses années à Porto, le Portugais raconte pourtant que parler au média fait « partie du jeu » : « Quand je vais à une conférence de presse d’avant-match, dans ma tête, le match a déjà commencé. Quand je fais en conférence d’après-match, le match n’est pas encore terminé. Et s’il est terminé, le suivant a déjà commencé. » Sur le terrain ? Dans la presse ? Dans les têtes ? Peu importe, finalement : Mourinho est dans son rôle. Il provoque pour repousser les critiques sur son approche du jeu, continue de solidifier la frontière qui le sépare des « penseurs » et cherche par cette démarche avant tout à protéger son groupe. Pour ne pas s’en désolidariser, pour prouver à ses joueurs qu’il est l’un des leurs.
Et si le problème était là ? Et si Mourinho ne pouvait pas monter de spectacle pour la simple et bonne raison qu’il n’a jamais été sur scène ? En 2007, au lendemain de la demi-finale retour de C1 entre Liverpool et Chelsea, c’est ce qu’avait avancé Jorge Valdano dans un papier publié par Marca : « Le football est fait de subjectivité, de suggestions – et, en cela, ce que j’ai vu à Anfield est imbattable. Mettez une merde accrochée à un bâton au milieu de ce stade passionné et fou, des gens vous diront que c’est une œuvre d’art. Mais non : c’est une merde accrochée à un bâton.(…)Ceux qui n’ont pas eu le talent de prouver des choses en tant que joueurs ne croient pas au talent des joueurs, ils ne croient pas en la capacité d’improvisation pour gagner un match. Benítez et Mourinho font partie de ces gens-là. » Depuis dix ans, les critiques autour de Mourinho n’ont pas évolué : le Portugais ne gagnerait qu’en annulant l’adversaire, en l’empêchant de jouer plus qu’en proposant du jeu lui-même. C’était le cas à Londres, à Milan, à Madrid.
Le lion et l’approche négative
À Manchester, rien n’a changé. José Mourinho est resté le même : un lion, caché dans une plaine, observant une horde d’antilopes après s’être entraîné en silence à déceler la moindre de leurs faiblesses et chaque signe de vulnérabilité, confirmant le fait que le comportement est le reflet de la personnalité. Il y aura eu la première saison dans un club dont lui parlait enfant son père, bouclée à une anecdotique sixième place en championnat et sauvée par trois médailles (Community Shield, League Cup, Ligue Europa), désignée comme le point zéro du chantier immense que représente Manchester United depuis le départ de Sir Alex Ferguson, et ce, malgré les quelques bonnes bases laissées par Louis van Gaal. Ainsi, Mourinho s’est imposé à Manchester en regroupant ses joueurs autour de ses idées et plus encore en suscitant l’admiration de l’assistance la plus difficile à cerner : les joueurs eux-mêmes.
Dans le même temps, on lui avait demandé de ramener du spectacle à Old Trafford et le début de la saison 2, essentiellement animé par des joutes dont on pouvait difficilement sortir une analyse pertinente, poussait au sourire : douze matchs sans défaite jusqu’au 21 octobre dernier et un déplacement raté à Huddersfield (1-2), plus quelques copies notables (face à West Ham 4-0, face à Bâle 3-0, ndlr). Puis, les premiers cols, un déplacement à Liverpool (0-0) et la réception de Tottenham (1-0), ont ramené tout le monde sur terre : comme l’an passé, à l’exception du succès face à Chelsea (2-0) mi-avril, Mourinho s’est rangé derrière une approche négative et a plus annulé l’adversaire qu’il l’a maîtrisé. Ce qui a amené les quelques voix encore bruyantes à Old Trafford à s’élever.
Attendre plus que maîtriser
Samedi dernier, après la victoire face aux Spurs, Mourinho a alors demandé à tout le monde de la fermer, en rajoutant ensuite une couche en conférence de presse. Pourquoi le critiquer ? Son Manchester United gagne, non ? Mieux, il n’a perdu que deux rencontres – face au Real en Supercoupe d’Europe (1-2) et à Huddersfield – depuis le début de saison. Alors, « pas de panique, détendez-vous » , siffle Mourinho. William Gallas, son ancien joueur à Chelsea, aujourd’hui consultant sur SFR Sport, va dans son sens : « Moi, j’ai connu José Mourinho à une époque où il n’y avait pas autant d’entraîneurs étrangers, où le foot anglais était moins varié. Aujourd’hui, un jeu d’échecs s’est installé entre eux. Le seul reproche qu’on peut lui faire, c’est de toujours s’adapter en fonction de l’équipe qu’il reçoit, comme s’il refusait l’intensité d’un choc. L’idée est de ne pas perdre face aux gros, avant tout, et d’espérer que les autres candidats au titre perdent des points durant l’hiver. »
Attendre les erreurs adverses plutôt que maîtriser les événements : on n’a pas vraiment vu autre chose face à Tottenham, où Manchester United s’en est sorti grâce à un but décisif d’Anthony Martial, profil idéal pour planter l’adversaire lors de ces rencontres virages. Non, il n’y a plus de plaisir à regarder jouer Manchester United, et ce n’est pas une nouveauté : cette équipe est faite pour griller les petits et résister face aux grands, surtout lorsqu’elle est privée de Paul Pogba, ce qui pousse Mourinho à installer une paire Herrera-Matić dont on connaît les caractéristiques. Peut-il faire autrement ? Aujourd’hui, pas vraiment, surtout quand Mkhitaryan peine à tenir le choc physiquement, que Rashford cherche comment exister lors de ces sommets et que Lukaku, par sa faible mobilité, affecte la fluidité offensive.
« Dans quatre ou cinq ans, on ne se souviendra probablement plus de moi »
Avant le déplacement à Chelsea dimanche, Mourinho en a alors profité pour remettre encore quelques mâchoires en place : « Je suis persuadé que les spécialistes n’ont pas oublié le football que l’on pratiquait en début de saison. Aujourd’hui, vous prétendez qu’il n’a jamais existé. Vous prétendez qu’on n’a jamais proposé un jeu attractif, qu’on n’a jamais marqué beaucoup de buts…(…)Mais ça a existé. Et on a des joueurs qui ont été blessés, on doit jouer de gros matchs sans eux, et ça sera une nouvelle fois le cas dimanche. » Oui, il faudrait alors s’en contenter, se rappeler qu’hier Manchester United allait à Chelsea pour gagner, pas pour ne pas perdre. Faut-il en attendre plus au regard des profils alignés ?
Non, et Mourinho n’est plus le pragmatique qu’on nous a vendu durant de longues années, mais plutôt un maître défensif qui a une nouvelle fois construit son équipe avec l’identité qui lui est propre, en imposant sa personnalité à son groupe plus que l’inverse. Comprendre une peinture revient à comprendre l’artiste, et voir le réalisme gagner a toujours eu quelque chose de déchirant, c’est une certitude et c’est une forme de mise à mort du jeu auquel on fait de nouveau face. José Mourinho ne changera jamais, gagnera sûrement encore un peu et s’en ira un jour avec fracas. Comme de Chelsea, il y a maintenant deux ans, ce à propos de quoi il racontait cette semaine avec ironie « qu’on ne se souviendrait probablement plus de [lui] en tant que coach desBluesdans quatre ou cinq ans » . Mais se souviendra-t-on de lui en tant qu’entraîneur de Manchester United ? La guerre morale entre la trace et l’oubli est rouverte.
Par Maxime Brigand
Propos de José Mourinho issus de The Special One : The Dark Side of José Mourinho et de conférences de presse, ceux de William Gallas recueillis par MB.