- José Mourinho / Polémique interview Canal +
Mourinho, Eto’o, le journalisme et le off
Une caméra braquée sur la tête. Une petite lumière rouge allumée. Deux journalistes avec le sourire. Aucun doute, ça filme. José Mourinho est en train de patienter pour son interview avec Canal +. Il se livre alors à des déclarations qui sortent des sentiers battus : « On n’a pas de buteur. Samuel Eto’o ? Oui, mais il a 32 ans, peut-être même 35, je ne sais pas. » Et puis, il se lance sur Falcao et Monaco... Rien de fou, mis à part quelques mauvaises blagues. En fait, ce n’est pas le propos qui dérange mais bien la manière dont l’information a été ramassée. Mourinho en off, c’est certainement la dernière fois que l’on verra ça.
José Mourinho, the Special One. Scène 8, plan 3, prise 5. Clap. Et Action ! « Bonjour José Mourinho… Au revoir José Mourinho » . Voilà comment l’entraîneur de Chelsea conçoit l’exercice journalistique : « Bonjour » – Les questions – « Au revoir » . Et en aucun cas, le réalisateur n’a le droit de filmer en dehors des scènes de tournage. C’est aussi simple que ça. D’où la surprise du Portugais à l’heure du Canal Football Club le 23 février dernier. La chaîne cryptée diffuse alors la fameuse vidéo. Une discussion privée dans laquelle Mourinho ironise sans gêne (c’est du off) sur Eto’o, Falcao et Monaco. Le journaliste n’a pas dit qu’il démarrait son interview, c’est donc du off. Mourinho a beau voir la petite lumière rouge, il s’en fout puisque c’est du off. Mourinho se croit à l’abri. Il comprendra que non.
À cette rare scène footballistique, s’offrent alors quatre explications plausibles. La première : Mourinho est un blagueur. Il s’emporte. Ses farces vont plus loin que ses pensées. La vidéo a été diffusée et il se rend compte de sa connerie. Mais jamais il n’aurait pensé que le journaliste allait laisser passer ces boutades à la télé. Il s’en prend à Canal +, qui ne comprend rien à son humour. Il s’est laissé avoir par le off. Deuxième solution. Mourinho veut se faire virer de Chelsea. L’homme rêvait de Manchester United cet été. Il a finalement choisi les Blues. Un peu par défaut, mais aussi par confort. Du coup, il décide de réitérer ses frasques madrilènes. Il se met tout le monde à dos et se mue dans son coin. Il quittera Chelsea en fin de saison. Il a utilisé le off à bon escient. Troisième solution. Mourinho est un génie et il veut titiller les joueurs en question. Eto’o ne marque pas assez. Il le vexe pour mieux le remotiver. Et Falcao s’emmerde à Monaco. Il exacerbe sa fierté. Radamel est touché. Il signe à Chelsea cet été pour prouver à José le contraire. Coup de poker risqué. Il s’est servi dangereusement du off. Et enfin quatrième et dernière solution. À la fois la plus probable et la plus triste. Comme de nombreux politiques, Mourinho sait que le off a complètement disparu des pratiques journalistiques modernes. Et il ne s’est pas gêné pour parler librement parce qu’il sait que les journalistes ne se servent plus du off.
Le off n’existe plus
OK, le journaliste filmait. Eh oui, José a bien vu la petite lumière rouge. Mais pour une fois que ses propos sortaient un petit peu des discours rodés et efficaces, il a certainement pensé que ça n’intéresserait pas un journaliste. Comme si tout était normal, puisque ça se passe TOUJOURS comme ça. Dans sa tête, José a imaginé que le journaliste allait bien sagement se débarrasser de ses images sans rien avoir à lui demander. Tout ça parce que ce n’était pas l’objet du jour. C’est une situation que connaît bien Daniel Carton, un ancien journaliste. Tellement, qu’il a écrit plusieurs bouquins sur le sujet : « Le off n’existe plus aujourd’hui. À force de soigner leur discours, les communicants ne se rendent plus compte de l’objet de notre métier. À l’inverse, si les journalistes montraient un peu l’exemple et habituaient tous ces « Grands Hommes » à pratiquer sérieusement leur métier, cette histoire ne se serait jamais passée ainsi. Mourinho aurait su que le journaliste allait se servir de ces images. »
Cette interview reflète donc la situation absurde dans laquelle se trouvent les journalistes et les communicants : « En réalité, on est tellement dans l’aboutissement d’un système que le gars ne pose même plus la question. Il est sûr que ça va rester off. Il ne pose même plus la règle parce qu’il sait qu’elle est tacitement édifiée. Il ne se faisait aucun souci. » D’où le regard serein de Mourinho en direction de la caméra. Et de sa réaction après coup, en visionnant les images. Ce qui donne lieu à un non-sens : Mourinho se plaint donc d’un journaliste qui fait son métier.
Mourinho et la déontologie journalistique
Après, la pratique du off dans le sport et la politique n’est pas la même. On entend plus parler d’un déjeuner entre un politique et un journaliste, que d’une virée en boîte de nuit entre un chroniqueur et un joueur. Les intérêts ne sont pas les mêmes, et puis ça choque moins qu’un Pierre Ménès parte en vacances avec un Bafé Gomis. La connivence dans le foot n’est pas un tabou. C’était vrai jusqu’à ce qu’un entraîneur se plaigne du contraire. En effet, José critique le manque de complicité de Canal + : « En tant que médias, vous devriez être embarrassés qu’un collègue ne respecte pas l’éthique du métier, qui est quelque chose de fondamental » , a-t-il grondé les journalistes présents lors de la conférence de presse d’avant-match face à Galatasaray. C’est en parlant d’éthique qu’il confirme donc l’hypothèse de la disparition du off. Plus aucun journaliste ne se comporte ainsi. La pratique journalistique, qui s’assimile à de la caméra cachée, pose aussi la question de l’éthique. Le off est fourbe, mais rien ne l’interdit (même s’il est généralement convenu que le journaliste doit prévenir l’interlocuteur en cas d’utilisation de propos off). Libre au journaliste de dévoiler ou non ce qu’il a entendu, enregistré, filmé sans permission. Ce n’est pas très réglo, mais c’est dans ces moments que l’on obtient le plus d’informations.
Une chose est sûre : la méthode ne plaît pas. Forcément, puisqu’elle flirte avec les limites de l’éthique. Aussi parce que la situation est contrôlée par le journaliste et puis parce qu’on n’en a tout simplement plus l’habitude. José a le droit d’être furieux, il ne savait peut-être même pas qu’un journaliste pouvait agir ainsi. Quoi qu’il en soit, en connaissant l’agilité médiatique du Special One, il y a très peu de chances pour qu’on le surprenne à nouveau.
Par Ugo Bocchi