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Mourinho, de l’inconvénient d’être normal
Cinq mois après son retour à Chelsea, on n’a toujours pas vu le Special One. L’homme qui avait passé 10 ans à bousculer l’establishment footbalistique européen n’est plus un rebelle. C’était donc ça le Happy One.
Il faut faire la peau à la légende. La fin de l’automne, c’est la saison humide des règlements de compte dans la pénombre. C’est le temps des chiens, des loups et des supplices dans le crépuscule du soir. C’est l’heure des intrigues d’antichambres, des poignards entre les oreilles et des exécutions dans les impasses fumeuses. L’homme qui se jetait dans le public après une victoire contre City au début de l’automne (le 27 octobre), qui embrassait son fils contre Southampton comme on intronise un prince héritier ( « c’est un peu comme un assistant pour moi. Ce gosse adore le foot, c’est fantastique. Il n’est pas ici seulement pour lui mais aussi pour représenter sa mère et sa sœur » ), qui ensuite remerciait Stamford Bridge de sa fidélité ; bref, cet homme qui enfin était rentré dans son royaume, dans sa ville, dans sa Premier League, allait retrouver les cimes de son passé glorieux. José Mourinho allait redevenir celui qu’il était avant d’aller courir l’Europe. Il allait faire rougir tous ceux qui ne le regrettaient plus à Madrid, à Barcelone, à Milan. Il leur ferait goûter à tous ces charognards la saveur de la chair fraîche, celle des victoires spectaculaires et des trophées qui tombent comme des grâces. Comme Ulysse à Ithaca, Moïse en Terre Promise, Magellan en Europe, le roi José rentrait dans son royaume. Les grandes histoires sont toujours celles d’un retour attendu, espéré mais toujours impossible.
« J’ai toujours été une sorte d’explorateur »
En rentrant au bercail, José est rentré au berceau. Il a gagné des cheveux blanc, des lunettes pour lire les messages de son fils, et la mine mielleuse d’un acteur cinquantenaire qui retrouve son public après quelques années passées à se reposer d’une jeunesse trop tumultueuse dans un institut médicalisé de Californie. Les années d’excès ont fatigué le héros. Quand en juin il revient à Londres et présente sa nouvelle aventure, il est méconnaissable. Pour la première fois depuis qu’il a un jour décidé d’être le plus grand entraîneur du monde, il se présente à ses adeptes sans rien promettre d’autre que « la stabilité » . Pas de titre, pas d’épopée, pas de défi. Celui qui « a toujours aimé l’aventure, qui étai(t) une sorte d’explorateur » , qui faisait ce que les autres ne font pas, qui disait ce que les autres ne disent pas, qui promettait aussi fort qu’il agaçait, ce pyromane à temps complet qui mettait le feu à tout ce qu’il touchait, cette icône rock au milieu d’un bal viennois, quittait les zones de turbulences, s’installait dans son salon et contemplaît le monde occupé à lui rendre gloire. En revenant à Chelsea, José a fait le choix de ceux qui n’ont plus rien à prouver, de ceux qui n’ont plus rien à gagner. José est devenu bourgeois, le Mou est devenu mou.
Depuis quand Mourinho doit se justifier ?
En 2004 en foulant le sol anglais, il disait à ses boys « chaque entraînement, chaque match, chaque minute de votre vie sociale doit être centré sur l’objectif d’être champion » . Aujourd’hui il y a ces explications fumeuses pour expliquer les absences de son équipe contre Stoke City (défaite 3-2), les six buts encaissés en deux matchs, les erreurs sur coup de pied arrêtés . Elles n’éclairent pas les motifs. Elles les étouffent à peine : « Si on entraîne des corners contre des nuls, à un moment donné, on prendra bien un but nul » . Bien sûr il y a de l’esprit mais le corner marqué par Crouch est le fruit d’une paralysie collective et d’un Petr Čech mal sorti (cf Real Madrid en septembre 2012), pas d’une erreur fortuite. Le deuxième est la conséquence d’une absence totale d’opposition sur la relance de Begović puis des atermoiements de la vieille sentinelle John Terry. Enfin, le troisième est un but que le Chelsea d’avant, celui qui savait tenir ses nerfs, qui n’avait pas peur de gagner, qui savait « tuer son adversaire » n’aurait jamais toléré. La question ce n’est pas « jouer plus défensif ? Mettre David Luiz devant la défense ? » comme l’honni Benítez. Poser cette question c’est déjà y répondre. Pourtant, le José Mourinho d’après Madrid se justifie, s’emmêle, perd son temps à vendre sa nouvelle attitude, son nouveau projet esthétique, son dernier emballage : « Il n’y a rien de plus facile dans le football que de jouer en défense. Ce qu’il y a de plus difficile c’est de jouer comme nous. C’est dur de jouer dans un style offensif, créatif, dynamique. » Oui c’est dur. Surtout quand on a passé son temps à vivre à contre-courant et que tout à coup, on décide qu’on fera comme les autres. Son foot était celui des égorgeurs. C’est maintenant celui des publicitaires. Ceux-là même qui en voulaient à son pragmatisme, à son obsession de la victoire et des titres. Comme eux maintenant il veut jouer, tripoter, faire marrer tout le monde et en plus à la fin, gagner. Mourinho est un autre.
Une coupe de cheveux pour partir à la guerre
Sa « philosophie » , comme il disait avant le Mou, ce n’était pas de la frime. C’était dire aux autres ce qu’ils doivent penser, ressentir et décider. Rui Faria, son adjoint, la connaît par cœur : « Quand c’est nécessaire, il transmet du stress, de la pression, de l’exigence… Mais en même temps à l’intérieur de lui, il est tranquille et analyse tout ce qu’il se passe autour. C’est ce qu’il appelle « l’intelligence émotionnelle » : transformer en comportement réel les exigences d’agressivité, de tension, tout en restant très calme et posé dans ses analyses et ses observations. » Alors cette saison quand vient la campagne d’automne, qu’il faut transmettre à ses joueurs une mentalité de légionnaire, qu’il faut renoncer aux compromis et livrer son âme au combat hivernal, l’ex-Special One fait comme en juillet 2006 et en février 2012. Le 25 novembre dernier, le général se rase la tête pour ressembler à ses soldats. Mais la vieille recette ne prend pas. Cette fois-ci son armée perd deux matchs et sa défense est enfoncée 7 fois en 3 matchs. En vouloir au hasard, aux accidents, aux autres c’est trop facile. Ses équipes pensent, respirent, vivent comme lui parce que ses joueurs et lui ne font qu’un. En devenant le Happy One, un homme qui cherche le bonheur et la stabilité, le Special est redevenu normal. Son équipe aussi.
Par Thibaud Leplat