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Mourad Boudjellal : « Pour l’OM, la date limite, c’est ma mort »

Propos recueillis par Adrien Hémard.
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Après des mois de silence radio, Mourad Boudjellal est de retour. En marge de la sortie de son livre J'en savais trop..., l'ex-boss du Rugby Club Toulonnais a réaffirmé son souhait de devenir président de l'Olympique de Marseille. Entre l'offre de rachat à laquelle il travaille avec Mohamed Ajroudi, les tentatives ratées à Toulon ou Aix-en-Provence et ses ambitions pour l'OM, le Varois fait le point.

Vous brisez le silence dans votre livre J’en savais trop… C’était prévu que le foot y prenne autant de place ? J’aurais pu ne faire un bouquin que sur le rugby, mais j’étais obligé d’expliquer comment l’histoire s’est passée cet été, ça me semblait normal. J’ai toujours été honnête vis-à-vis des gens, j’avais envie de dire la vérité.

Moi, je peux dire que je déteste Bill Gates, c’est mon ennemi. Mais je ne pense pas que je sois l’ennemi de Bill Gates, il y a pas mal de choses qui nous séparent. Toulon déteste l’OM parce qu’il n’a pas les moyens de le concurrencer, comme l’OM déteste le PSG.

Dans ce livre, vous dites aimer l’OM depuis tout petit, mais vous écrivez aussi qu’aucune équipe ne pourrait vous rendre plus fier que Toulon. On a un peu de mal à vous suivre.J’aime l’OM depuis gosse, mais je suivais le Sporting parce que c’était chez moi. J’allais au stade parce que c’était gratuit. C’était une équipe de Ligue 2. Tous les ans, on se disait que c’était la bonne année, et puis non. Je suis comme tout le monde, j’aime Marseille, mais quand le club de ma ville est monté en L1, je me souviens d’où j’étais, ce que je faisais. C’était magique de venir voir jouer les cadors de la D1 à Mayol.

Vous assumez ne pas comprendre la rivalité entre Toulonnais et Marseillais. Vous avez conscience que cela passe pour un manque de culture foot ?Possible, oui. Mais la détestation n’est pas de la culture pour moi, c’est de la connerie. Moi, je détesterai l’OM quand ils nous battront tous les ans. Pour l’instant, ils ne battent pas Toulon tous les ans. Moi, je peux dire que je déteste Bill Gates, c’est mon ennemi. Mais je ne pense pas que je sois l’ennemi de Bill Gates, il y a pas mal de choses qui nous séparent. Toulon déteste l’OM parce qu’il n’a pas les moyens de le concurrencer, comme l’OM déteste le PSG. C’est une façon d’exister, là où on ne peut pas exister sur le terrain.

Si je suis président de l’OM, un Marseille-Toulon, je ne peux pas aller au stade. Je serais casque bleu, l’ONU, en attendant le résultat.

Les matchs de D1 dans les années 1980-1990, et la proximité géographique, ça ne vous suffit pas ?Non. Pour moi, détester Marseille, c’est prétentieux. Pour détester un club, il faut pouvoir se mettre à sa hauteur. Mais ça ne veut pas dire que je suis marseillais : je suis toulonnais dans l’âme. Si je suis président de l’OM, un Marseille-Toulon, je ne peux pas aller au stade. Je serais casque bleu, l’ONU, en attendant le résultat.

Revenons au projet de rachat. Le 19 juillet, vous promettiez de « payer le café » avec Mohamed Ajroudi. Il arrive quand ce café ?Ah, vous savez que les Américains, ce sont des cafés allongés qu’ils boivent ? C’est plus long à couler apparemment. (Rires.) Aujourd’hui, sur le dossier de l’OM, c’est très difficile pour nous. Je pense que McCourt vendra. Je ne sais pas si ce sera à nous, parce qu’il y a du monde de placé. J’ai eu vent d’autres propositions très structurées, très concurrentielles. Mais je n’aurais jamais cru qu’il tienne comme cela avec le stade à huis clos, l’incertitude des droits TV, le déficit… Je pensais que le club allait s’écrouler. Bravo !

Vous continuez donc à travailler autour du rachat de l’OM ?Oui, avec les mêmes hommes. On se dit qu’on peut encore se renforcer. On n’aura pas plus fort que Mohamed Ajroudi, mais on peut avoir plus d’ambitions et réunir un pool d’actionnaires encore plus forts. Il y aura toujours Mohamed Ajroudi, il fait partie de l’histoire. Je n’ai pas signé un CDI, mais c’est moi qui suis prévu comme président.

Dans le livre, vous dénoncez les communiqués lunaires d’associés de Mohamed Ajroudi. Mais certains ont aussi critiqué votre stratégie très médiatique.C’est un choix collectif. Mohamed Ajroudi a pensé qu’on devait se dévoiler, il pensait que McCourt était très vendeur d’après les bruits qui nous remontaient. Quand on cache les choses, c’est pour ne pas avoir la honte si ça ne se fait pas. C’est tout. Moi en général, j’essaye plutôt de porter mes couilles.

Aujourd’hui, le problème de l’OM, comme d’autres clubs, c’est qu’il prend les droits TV et il est content.

Si vous arrivez à l’OM, vous aurez les moyens de vos ambitions ? Parce que parler de concurrencer le PSG, de Zidane, ce n’est pas la première fois, et ça paraît peu crédible. Si c’est pour venir et faire perdre 500 millions d’euros par an à un Émirat, ça ne m’intéresse pas, je ne sers à rien. Aujourd’hui, le problème de l’OM, comme d’autres clubs, c’est qu’il prend les droits TV et il est content. Or, s’il y a bien un club en Europe qui a tous les éléments requis pour développer une économie très forte, c’est l’OM. Il y a l’engouement, la frustration, le potentiel économique, le stade, la notoriété, l’identité très forte : il y a tout. Si on a des investissements massifs, on prendra. Mais je n’en ai pas besoin. Je ne viens pas pour de l’immobilier, même si monsieur Ajroudi a des moyens.

Vous parlez d’un projet méditerranéen autour de l’OM. Concrètement, ça veut dire quoi ?Avant de s’occuper du Japon et des États-Unis, l’OM doit être le maître en Méditerranée. Il n’y a pas un joueur de talent méditerranéen qui doit échapper à l’OM, ou ne pas rêver d’y jouer. S’il y a bien un club qui peut susciter cette adhésion sur la Méditerranée, c’est l’OM. Ça passe par l’ouverture d’académies, etc.

Vous savez que pour diriger un garage, ce n’est pas nécessaire d’avoir son permis de conduire ? Moi, ma référence, c’est d’avoir multiplié le budget d’un club par cinq ou six.

Qu’est-ce que Marseille a de plus que Naples, Barcelone ou Valence par exemple ?Pour moi, Marseille est au-dessus. Marseille, c’est une ville qui fait rêver. Surtout aujourd’hui, il y a une frustration… Celui qui réveillera tout, ce ne sera peut-être pas moi, il verra la différence. Aujourd’hui, Marseille est endormi.

Vous qualifiez Jacques-Henri Eyraud de « nul » : qu’est-ce que vous feriez de mieux que lui, alors que vous n’avez pas non plus d’expérience dans le football ? Quand je vois le budget de l’OM à 130 millions, et celui de Lyon à 300 millions, c’est la conclusion que je tire. Vous savez que pour diriger un garage, ce n’est pas nécessaire d’avoir son permis de conduire ? Moi, ma référence, c’est d’avoir multiplié le budget d’un club par cinq ou six. Voilà. J’ai un modèle d’économie qui est que la billetterie, le partenariat/hospitalité et le marketing soient plus forts que les droits TV. En football, le trading est un poste où il faut investir énormément aussi. Surtout avec le bassin marseillais.

Votre OM ne serait donc pas une équipe de stars, mais de joueurs en devenir ?Ce serait un mélange des deux. On a besoin de stars. Le prix d’un joueur dépend aussi de ce qu’il vous rapporte. À Toulon, il y a des joueurs qui m’ont coûté cher en salaire, mais qui m’ont coûté zéro finalement, vu ce qu’ils nous rapportaient. Aujourd’hui, une star à l’OM, vu l’engouement que ça peut créer, ça peut s’amortir. Une, voire même deux.

Vous pensez vraiment que l’OM peut attirer des stars ?Attendez, l’OM c’est connu dans le monde entier !

Mais ça ne suffit pas toujours, il faut que ce soit sportivement intéressant.L’OM l’est ! Au niveau des résultats, ils ne sont pas dégueu. Ils sont en Ligue des champions, ils sont dans la bagarre en championnat. D’ailleurs, la direction est pourtant détestée. Comment Eyraud fait pour se faire détester comme ça ?

Le critiquer ouvertement risque de compliquer la vente, non ? Je ne le critique pas, je dis qu’il a de bons résultats. (Rires.) Je ne comprends pas pourquoi il n’est pas aimé, c’est une énigme.

Dans votre livre, vous érigez Bernard Tapie en modèle absolu, ce qui peut passer pour un argument de campagne.J’ai trop de respect et aucune légitimité face à lui. Jamais je ne me comparerais à lui. Je glorifie le modèle Bernard Tapie, c’est vraiment quelqu’un d’exceptionnel. Quand il gagne la Coupe d’Europe 1993, en même temps il gagne la Coupe du monde 1998. Ça, tout le monde l’oublie. Je ne suis pas en campagne. Je dis du bien de Bernard Tapie depuis toujours, dans tous mes bouquins. Avant d’être sur le dossier OM, je prenais déjà sa défense. Toujours.

Peut-être que j’irai dans un autre projet sans y mettre toute mon énergie. Je suis comme un sportif de haut niveau, j’ai besoin de m’entretenir.

Vous avouez aussi avoir été surpris de l’ampleur prise par le feuilleton OM. Ce qui passe pour un manque de lucidité sur le foot, et qui ne rassure pas les supporters.La seule chose qui m’intéresse, c’est comment gagner si j’arrive à récupérer l’Olympique de Marseille. Voilà. Je ne m’attarde par sur tout ça. Je m’en doute. L’entourage, la folie de l’OM : tout ça, je connais bien. Ce qui m’a surpris, c’est le nombre de messages que j’ai reçus. Je ne pensais même pas que les supporters de l’OM me connaissaient. J’étais surpris.

Puisqu’on parle des supporters, ils sont mitigés à votre sujet. Certains vous voient comme un imposteur.Je n’ai jamais empêché la communication pour ou contre moi. Sauf quand on m’insulte. Ils ont le droit de le penser.

Vous laissez aussi entendre que si ça ne se fait pas avec Ajroudi, vous trouverez un autre projet dans le sud de la France.Peut-être que j’irai dans un autre projet sans y mettre toute mon énergie. Je suis comme un sportif de haut niveau, j’ai besoin de m’entretenir. Voir si je sais encore compter, on oublie parfois en vieillissant. Je ne sais pas aujourd’hui. La seule chose que je peux vous garantir, c’est que je ne ferai rien en 2020, vu que c’est une année de merde.

Toulon, ça n’avançait pas. C’était du Claude François, ça s’en va et ça revient. Ça a été comme ça pendant six mois.

Avant Marseille, vous avez multiplié les pistes (Toulon, Cannes, Aix-en-Provence). Pourquoi ?Le premier choix, c’était Toulon, mais ça n’avançait pas. Et dès que je regardais ailleurs, ça avançait à Toulon. C’était du Claude François, ça s’en va et ça revient. Quand je revenais à Toulon, ça rebloquait. Ça a été comme ça pendant six mois. Claude Joye (président et propriétaire du club, N.D.L.R.) ne voulait pas de moi au club, il était forcé. C’est bien pour le club que ça ne se soit pas fait. Quand vous êtes forcé, ça peut clasher et ça aurait clashé très vite. Quant à Aix-en-Provence, je pense qu’on a voulu empêcher ce projet. Moi, j’ai été harcelé de messages par l’ancien président de Marseille Consolat.

Finalement, vous avez laissé tomber Toulon après y avoir signé, pour l’OM : une trahison. Vous n’avez aucun regret ?Si : parler de l’OM devant le logo du Sporting, avec le recul je ne le referai pas. Quand je vois l’importance que ça a pour les supporters, que ça les blesse… Je suis au courant de l’antagonisme. Ce n’est pas pour autant que je le comprends. Je ne suis pas un lèche-botte. Les Toulonnais me prennent comme je suis. Quand je ne suis pas d’accord, je le dis. Bon, avant que je ne retourne au Sporting, la Covid sera dans les musées… Mais je vis toujours à Toulon, ça se passe très bien. Je n’ai aucun souci.

À 60 ans, vous vous donnez combien de temps pour arriver à l’OM ?Pour Marseille, la date limite que je me fixe, c’est ma mort. Je suis têtu, vous savez. Il n’y a que les combats qui ne sont pas menés qui sont perdus d’avance. Je me bats. Tout le monde reconnaît que j’ai les couilles de m’avancer. J’ai perçu que Marseille, c’est particulier. On sent que si vous donnez, vous allez recevoir. Pour l’instant, je suis spectateur de ma vie. J’attends que celui qui écrit le scénario avance.

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Propos recueillis par Adrien Hémard.

J'en savais trop... par Mourad Boudjellal, paru le 3 décembre aux Editions Solar.

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