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Mort de Jack Charlton : l’Angleterre pleure son géant
L’immense Jack Charlton s’est éteint vendredi à l’âge de 85 ans. Éternel frère de Bobby, international tardif, il avait pourtant réussi à se faire un prénom dans l’histoire du football anglais, des terrains de Leeds au banc de touche de l’équipe d’Irlande. Récit d’un grand homme dans l’ombre, que ses pairs appelaient affectueusement « Big Jack », que les Anglais avaient surnommé « la girafe », mais que Jean-Paul II aurait préféré appeler « le boss ».
Lorsque l’on évoque le nom de Charlton, c’est généralement immédiatement le petit frère Bobby qui vient en tête. Son mètre soixante-treize de génie indéniable, ses buts à la pelle, ce rouge qu’il portait si bien et sa calvitie qu’il tentait de masquer tant bien que mal. Seuls les observateurs les plus fins du football anglais et de son histoire ont une pensée pour Jack, de deux ans son aîné et qui en était, à bien des égards, l’exact opposé. Bobby était un attaquant court, rapide, implacable devant le but, comptant plus de 100 sélections avec les Three Lions et qui, s’il n’a pas vraiment réussi sa reconversion en tant qu’entraîneur, avait hérité en 1994 d’un titre de noblesse réservé aux plus illustres sujets de la couronne britannique. Jack, au contraire, était un défenseur central au physique imposant (1,87m) et au long cou – ce qui lui avait valu le sympathique surnom de « girafe » – qui n’a pas connu la sélection avant ses 29 ans. S’il n’a lui jamais été fait chevalier, il a malgré tout continué d’écrire sa légende sur les bancs de touche bien après avoir raccroché les crampons. Des différences qu’éclipsent un point commun majeur : en 1966, c’est côte à côte, sur le terrain, que les frères Charlton étaient allés remporter la Coupe du monde pour l’Angleterre, la seule de l’histoire du pays, à la maison, terrassant en finale l’Allemagne de l’Ouest d’un tout jeune Franz Beckenbauer.
L’homme d’un seul club
Cinquante-quatre ans après avoir soulevé le trophée Jules Rimet, Jack Charlton est décédé paisiblement ce vendredi à l’âge de 85 ans, entouré des siens, dans sa maison au nord de l’Angleterre. Et à l’étendue des hommages qui lui sont rendus, on mesure toute la sympathie que le bonhomme inspirait et la trace qu’il a laissée dans le football britannique. Son histoire, celle d’un leader toujours souriant, débute à Ashington, une ville du Northumberland, où trône depuis 1995 une statue du cousin de sa mère, Jackie Milburn, légende de Newcastle et des Three Lions. Chez les Charlton, le football est de famille. Ses quatre oncles, Jack, George, Jimmy et Stan, ont également eu de belles carrières dans le foot anglais, dont trois à Leeds où « Big Jack », comme il était surnommé, jouera l’intégralité d’une carrière longue de 23 ans. Il rejoint le club à 15 ans, en 1950, et jouera le premier de ses 773 matchs avec les Whites, record absolu du club, en 1953. À la fin des années 1950 et dans les années 1960, il est l’un des piliers de l’une des plus belles périodes de l’histoire du club, marquée par deux montées en première division (1956, 1964), un titre de D2 (en 1964), mais surtout, entre 1964 et 1973, année de sa retraite, un titre de D1 (1969), une FA Cup (1972), une League Cup (1968), un Community Shield (1969) et deux Inter-Cities Fairs Cup, l’ancêtre de la Coupe de l’UEFA (1968 et 1971).
C’est à ce moment-là, après le titre de D2 glané avec Leeds et alors qu’il approche tout doucement de la trentaine, que Jack Charlton va découvrir la sélection anglaise. Son jeune frère Bobby y fait déjà des miracles depuis 1958, lui va y arriver sur la pointe des pieds, en 1965, enregistrant une première cape contre l’Écosse, à Wembley. Plus tard, Charlton racontera qu’il a demandé à Alf Ramsey, le sélectionneur de l’époque, pourquoi il l’avait sélectionné. Réponse de l’intéressé : « Tu sais Jack, j’ai un plan de jeu en tête, une idée de comment je veux que l’équipe joue. Donc je choisis toujours les joueurs appropriés pour faire fonctionner ce plan. Je ne prends pas toujours les meilleurs, Jack. » Le meilleur, Jack ne l’était pas, sans doute pas à côté d’un partenaire de défense aussi brillant que l’était Bobby Moore. Mais ensemble, ils ont formé l’une des plus illustres paires de centraux de l’histoire des Trois Lions. Celle qui permettra, un an plus tard, à l’Angleterre de soulever le trophée Jules Rimet à la maison. Une anecdote, racontée ce samedi sur Twitter par son ancien collègue à ITV (où Jack s’est reconverti en tant qu’expert après sa retraite) Clive Tyldesley, le résume bien : « C’était la dernière minute de la finale, l’Angleterre menait 3-2. Jack et Bobby venaient de repousser une ultime attaque allemande. Le ballon arrive dans les pieds de Bobby, et Jack nous a raconté comment il a hurlé à Bobby de dégager le ballon, de s’en débarrasser. Mais Bobby a voulu chercher une longue passe. Jack a crié : « Nooooon ». Et, comme on le sait tous, cette passe est arrivée à Geoff Hurst pour le but du 4-2. Jack nous a dit : « J’avais quand même envie de l’engueuler, de lui dire de ne plus jamais faire ça. ». Puis, j’ai réalisé : lui pouvait faire ce genre de choses. Pas moi. »
Une légende irlandaise
Pas le plus talentueux balle au pied, ni dans la famille Charlton, ni dans la défense centrale anglaise, Jack compensait avec une personnalité forte, une âme de leader. Il était ce point de stabilité dont toutes les équipes ont besoin. Ce sont ces qualités qui ont fait de lui un entraîneur brillant, un pionnier même. Il y eut bien évidemment, dès sa retraite, en 1973, une première expérience couronnée de succès à Middlesbrough, avec un titre de D2 dès sa première saison ; suivie de six années à Sheffield entre 1977 et 1983 et d’une saison à Newcastle, son club de cœur, en 1984. Mais il y eut surtout dix années monstrueuses à la tête de la sélection irlandaise.
Dix ans durant lesquels il mit sur pied une équipe ultra-solide, permettant à l’Irlande de choper une place sur la scène internationale et qui lui auront valu, en plus de recevoir la citoyenneté honorifique irlandaise, une superbe statue à l’aéroport de Cork, le représentant en pleine partie de pêche, un saumon à la main. Sur le terrain, il mène les Verts à la Coupe du monde 1990, en Italie, la première de leur histoire, lors de laquelle ils iront même jusqu’en quarts de finale après s’être extirpés d’un groupe comptant l’Angleterre de Lineker, Waddle et Gascoigne et les Pays-Bas de Rijkaard, Koeman et Gullit. Dans le documentaire « Jack Charlton: The Irish Years » , Charlton raconte qu’avant la compétition, il avait promis à ses joueurs que s’ils allaient jusqu’à Rome (où devait se jouer la finale), il les emmènerait voir le pape. Comme le destin est bien fichu, leur quart de finale, contre l’Italie, s’est évidemment joué à Rome, et Charlton a donc dû tenir sa promesse. Après s’être endormi pendant la bénédiction prononcée par Jean-Paul II, il a quand même eu l’occasion de le rencontrer, et de lui présenter ses joueurs. C’est à ce moment-là que le souverain pontife aurait eu ces mots : « Vous, je vous connais : vous êtes le boss ! » Voilà ce qu’était avant tout Jack Charlton.
Par Alexandre Aflalo