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Moritz Marthaler : « Hoarau a prouvé que signer en Suisse n’est pas une connerie »
Entre 2014 et 2020, Guillaume Hoarau a planté en moyenne dix-huit buts par saison avec les Young Boys, offert au club bernois son premier titre de champion depuis 32 ans ainsi que sa première participation à la phase de groupes de la C1, avant de partir discrètement - Covid oblige - sur un dernier trophée : la Coupe de Suisse. Aujourd’hui au FC Sion, le Réunionnais (36 ans) a écrit le plus gros chapitre de son histoire personnelle de l’autre côté des Alpes. Au point de convaincre le journaliste bernois Moritz Marthaler d’écrire sa biographie. Et en allemand s’il vous plaît !
Guillaume Hoarau a, certes, un profil atypique et une carrière loin d’être dégueulasse, mais en France, personne n’a encore eu l’idée de lui consacrer une biographie. Alors, pourquoi ce choix ?C’est vrai que ce n’est ni Pogba ni Schweinsteiger, un gros nom sur qui l’on écrirait un livre sans réfléchir. L’idée est née il y a un an, à l’initiative de son conseiller marketing. À l’époque, Guillaume pensait encore que son contrat avec YB (prononcer « ibé » , NDLR) serait prolongé et que ce livre constituerait une sorte de cadeau de remerciement pour les supporters. Puis les choses se sont compliquées à cause de la Covid, et le projet a failli tomber à l’eau. Hoarau ne le sentait plus. Mais moi, j’ai insisté pour qu’on le fasse, je trouvais ça intéressant. Et puis j’avais quand même déjà bossé dessus pendant un mois !
Ce livre, c’est un coup de communication ou il va plus loin que cela ?Un peu des deux. Au début, j’avoue avoir été un peu sceptique et m’être posé la question de la pertinence d’un tel projet. Mais en discutant avec pas mal de monde, j’ai compris que c’était bien plus qu’un simple travail de commande. En Suisse, les vraies stars, ce sont les skieurs. Même si le foot reste le sport numéro 1, les joueurs de Super League ne sont pas vus comme des super-héros et on ne va pas trouver leur biographie dans toutes les librairies. Mais Hoarau est devenu le symbole du premier titre remporté par YB depuis 1986, et cela a beaucoup touché les gens dans tout le pays. C’était donc l’occasion d’inverser la tendance et, pour une fois, d’écrire un livre consacré à un footballeur qui évolue dans la ligue suisse.
Est-il devenu une célébrité nationale ?Même si on le connaît un peu partout, surtout depuis son doublé en Ligue des champions face à la Juventus, c’est surtout une star bernoise. Sur les six chapitres que comporte le livre, quatre d’entre eux se déroulent à Berne (les deux autres évoquent son enfance à La Réunion et sa carrière dans l’Hexagone, NDLR). C’est pour cela qu’il n’a pas été traduit, sa portée est avant tout régionale.
Dans une vidéo diffusée sur la RTS, l’humoriste français David Castello-Lopes s’étonne qu’une ville loin d’être la plus importante du pays en soit la capitale fédérale. C’est comment Berne, pour ceux qui ne la connaîtraient pas encore ? Hoarau arrive dans une ville à taille humaine, moins germanique que Zurich, plus connectée avec la Suisse romande. Même si l’allemand y est la langue officielle, il est normal d’entendre du français dans la rue et au club, le gros contingent de joueurs francophones facilite son intégration. Au début, il avait le sentiment que ça ne lui plairait pas. Il disait que c’était trop propre, qu’il avait l’impression d’être dans un grand musée. Mais il a aussi vu qu’il pouvait boire un verre de vin au restaurant ou fumer une cigarette sans se faire tomber dessus. Les Bernois ont la réputation d’être plus relax, cela se ressent jusque dans leur parler qui est plus lent que celui des Zurichois par exemple.
Et musicalement parlant ? Pour quelqu’un qui chante et joue de la guitare pendant son temps libre, cela doit forcément compter un peu.Berne est très riche du point de vue culturel. Guillaume a pu assister à de nombreux concerts et rencontré pas mal de musiciens. Il est notamment apparu aux côtés de Lo & Leduc, deux célèbres rappeurs bernois, et s’est produit devant 1000 personnes au Bierhübeli, l’une des plus grandes salles de la ville. Le show a même été retransmis à la télévision nationale. À Paris, on lui aurait reproché de ne pas assez s’entraîner, ici on trouvait ça super. Je crois que c’est cet équilibre entre son métier et ses autres passions qui a su le séduire et je le verrais bien continuer sa vie ici après sa carrière, à cheval entre le monde du foot et celui de la musique. Peut-être dans le marketing, il a un don avec les relations humaines.
Entre chaque chapitre, des personnalités témoignent de leur amour pour Hoarau. Parmi elles, Kuno Lauener, chanteur du groupe de rock Züri West et qui affirme qu’« un héros comme lui, c’était nouveau à Berne ».
Déjà, c’est un hommage très fort, car Lauener compte parmi les Bernois les plus célèbres de Suisse, c’était déjà une star quand je l’écoutais petit. Ce qu’il veut dire par là, c’est qu’il a réussi à faire en sorte que le club reconnecte avec sa base, à commencer par les jeunes. Dans la rue, les maillots du FC Bâle ont disparu, maintenant les gamins portent celui d’YB.
Six ans plus tôt, en 2014, vous expliquez qu’on est très loin d’imaginer en arriver là un jour. Pour rappel, Hoarau débarque après un passage en Chine qui s’est soldé par un échec et il a tenté de se refaire la main une demi-saison avec les Girondins de Bordeaux.Je crois que lui, comme les observateurs dont je faisais partie, était convaincu qu’il ne resterait pas longtemps. Un joueur de 30 ans qui a remporté le championnat de France avec le PSG et porté cinq fois le maillot des Bleus, on se demande ce qu’il vient faire en Suisse. Hoarau signe d’abord un contrat de six mois et ne cache pas qu’il voit la Super League comme un tremplin pour rebondir dans un grand championnat. Par la suite, on a compris qu’on s’était trompé, lui comme nous.
Quel a été le déclic ?C’est un ensemble d’éléments. Avec le temps, YB s’est construit l’image d’un club avec un gros déficit de confiance en soi, incapable de gagner un titre. Guillaume arrive avec cette confiance manquante et il va réussir à l’insuffler à l’ensemble du club. À tel point qu’après avoir remporté le titre en 2018, il déclare que le prochain objectif, c’est la qualification en Ligue des champions, qu’il faut y croire. Finalement, c’est lui qui marque les deux buts face au Dinamo Zagreb qui permettent aux Young Boys de participer à la première phase de groupes de C1 de leur histoire. On n’avait jamais vu ça dans l’histoire du club. D’un point de vue personnel, il a réussi à prouver que signer en Suisse n’était pas une connerie, qu’il pouvait s’y épanouir sportivement, comme Gignac le fait au Mexique.
Malgré une victoire en Coupe de Suisse, la première de l’histoire d’YB, son parcours s’est terminé en demi-teinte l’été dernier.Oui, son contrat n’a pas été prolongé, il ne jouait plus titulaire et était de plus en plus blessé. J’ai d’ailleurs calculé qu’il a subi deux grosses blessures par saison en moyenne, qui lui ont fait manquer quatre à cinq matchs à chaque fois. Malgré ça, il avait une force mentale incroyable pour revenir en force et terminer meilleur buteur du club. Je crois que ce qui manquera le plus finalement, c’est qu’il n’a pas eu droit à son jubilé avant de signer à Sion, à cause du coronavirus. Maintenant c’est trop tard, mais cela ne l’a pas empêché d’entrer dans la légende.
Propos recueillis par Julien Duez
À lire : Guillaume Hoarau - Bern im Sturm erobert (LS Creative, 2020), non traduit.