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Morgan Schneiderlin, le ballon d’Alsace

Par Régis Delanoë
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Morgan Schneiderlin, le ballon d’Alsace

Le dernier arrivé dans la bande à Deschamps est aussi le plus méconnu. Pur produit de la formation strasbourgeoise, Morgan Schneiderlin a pourtant connu une ascension brillante chez les jeunes, intégrant l'équipe de France à chaque catégorie d'âge, jusqu'à une cassure brutale à sa majorité, avec cet exil contraint dans les bas fonds du foot anglais.

La dernière apparition de l’Alsace en Coupe du monde remonte à 1986 avec Albert Rust et Bernard Genghini, soit trois ans avant la naissance de Morgan Schneiderlin à Strasbourg. Le gamin grandit à Zellwiller, un petit bourg rural situé à une demi-heure de là. Caroline la maman est animatrice en gériatrie, Albert le papa couvreur-zingueur la semaine, footballeur amateur le week-end dans le club du village fondé par son propre père, le grand-père de Morgan. Forcément, le petit grandit dans une maison où le ballon est omniprésent, dans le jardin comme dans la cour d’école. Mais lorsqu’il s’agit de prendre une première licence en débutant, ce n’est pas pour les SR Zellwiller que le bambin s’engage, mais directement au RC Strasbourg, qui le repère dès l’âge de 5 ans en 1995, au cours d’une journée de détection. « Il est arrivé tellement tôt ici que c’est un peu l’enfant du club » , pose François Keller, qui évoluait à l’époque en tant que joueur, avant de prendre en main la réserve à partir de 2003. Pour les entraînements comme pour les matchs, Morgan est amené par ses parents à Strasbourg. Près de 80 bornes le trajet aller-retour. « Réussir dans le football exige bien souvent des sacrifices, quels qu’ils soient » , estime Claude Fichaux, qui intègre le staff du centre de formation strasbourgeois au début des années 2000. C’est à ce moment qu’il découvre le petit Schneiderlin, à la « trajectoire linéaire. Je l’ai connu à partir des moins de 13 ans et jusqu’aux moins de 19, il a progressé de manière régulière, sans accroc ni pépin physique. »

Le départ de Strasbourg, « un traumatisme »

« Personnellement, j’ai commencé à l’entraîner quand il a eu 17 ans et il était déjà au-dessus, jouant souvent avec plus vieux que lui, la génération 87-88 (Schneiderlin est de la fin de l’année 89, ndlr), des bons mecs, sur le terrain comme en dehors, ce qui a pu créer une forme d’émulation » , enchaîne François Keller. Cette génération va d’ailleurs remporter la Gambardella en 2006, dominant en finale au Stade de France l’OL de Karim Benzema et Loïc Rémy. Dans les rangs de la jeune équipe strasbourgeoise, il y a Anthony Weber, Quentin Othon, Simon Zenke, mais aussi Thomas Zerbini, le grand pote de Morgan, son colocataire pendant les années de formation. C’est peu dire qu’il est fier de parler de son « meilleur ami » , un « super mec » dont il reconnaît qu’il a « toujours été au-dessus de la moyenne » parmi les jeunes joueurs du RCS. « Il avait déjà les qualités techniques qu’on lui connaît aujourd’hui, ainsi que la vision du jeu. Partir en Angleterre lui a permis de compléter sa panoplie en s’endurcissant physiquement. C’est devenu un roc endurant et dur au mal. »

Car après une formation parfaite récompensée par la signature d’un premier contrat pro à même pas 17 ans, un record, ainsi que des débuts encourageants avec l’équipe première du RC Strasbourg, il est contraint à l’exil un an et demi plus tard. Nous sommes au printemps 2008 et le club alsacien, à l’issue d’une catastrophique fin de saison, est condamné à la Ligue 2. Une relégation dont il ne s’est jamais remis. En plus des résultats sportifs décevants, la trésorerie est alors déjà dans le rouge et les dirigeants doivent se séparer des meilleures valeurs marchandes, y compris « l’enfant du club » cher à François Keller. « À la formation, ce départ a été vécu comme un drame, se rappelle ce dernier. Tous les jeunes se passaient l’info comme quoi le meilleur d’entre eux était poussé vers la sortie, en termes de message envoyé, c’est catastrophique. Quant à Morgan, il a vécu ça comme une forme de trahison. Sur le coup, ça a été un traumatisme. Le gars monte toutes les marches une par une sans faiblir et au moment de la dernière, on lui barre le passage. »

Dunga pour premier modèle

À 18 ans, c’est donc le départ pour une nouvelle aventure qui attend Schneiderlin, avec une destination a priori inattendue et vaguement inquiétante pour le futur de sa carrière : Southampton en Championship, la D2 anglaise, alors qu’un intérêt d’Arsenal avait été évoqué. Il parle mal anglais et se retrouve bien malgré lui intégré dans une nouvelle sale affaire de club en galère de finances. Les Saints sont en effet à l’époque aux abois et sanctionnés de 10 points en moins, conduisant une inévitable relégation en League One, la D3, un an après son arrivée en 2009. « Franchement, j’ai eu un peu peur pour lui que ça se passe mal, reconnaît son formateur des années strasbourgeoises Claude Fichaux. Ils étaient nombreux, les jeunes Français, dans ces mêmes années, à partir tenter de s’imposer en Angleterre et à revenir un peu plus tard au pays sans rien trouver de mieux qu’un contrat amateur. » « Il a pris un gros risque en choisissant ce club, mais ça s’est avéré payant, relaie François Keller. Je suis quand même resté toujours confiant pour lui, car c’est non seulement un bon joueur, mais il a aussi une bonne tête. Il est intelligent et passionné, très connaisseur des choses du foot, un peu à la manière de Thierry Henry. »

Malin, Schneiderlin pointe ses défauts et les travaille, comme il l’expliquait lors d’une interview au blog Kickoff. « J’avais trop de kilos pour mon âge, entre 15 et 21 ans. On ne le voyait pas, car je suis un mec qui fait 1m84 et qui a l’air assez fin, mais je tractais trop de kilos, j’étais moins endurant. J’ai fait beaucoup de travail sur mon physique et je me sens super rapide en comparaison. (…) Avant, je n’avais pas cette capacité à jaillir. Je suis content de le faire maintenant car j’arrive à casser les lignes, accélérer, passer. » Il a progressé et enchaîné les succès au même rythme que son club : retour en D2 d’abord, puis la promotion en Premier League, où les Saints se sont imposés depuis deux saisons, avec Schneiderlin indéboulonnable dans l’entrejeu, où il a toujours évolué, dès ses premières années de foot. Normal pour un gamin qui avait reçu de ses parents pour premier maillot un auriverde floqué… Dunga.

Le Brésil plutôt que Saint-Tropez

« Je suis vraiment content de le voir au premier plan car il le mérite. C’est finalement un retour à la normale que de le voir intégrer la A des Bleus par rapport à son parcours en jeunes » , estime Luc Rabat, qui l’a sélectionné en équipe de France chez les U16 et jusqu’en U18. Il poursuit : « Morgan est de la même promotion que Moussa Sissoko, Gonalons, Obertan, N’Gog, j’en avais même fait mon capitaine lors de certains matchs, que rejoignait parfois Mamadou Sakho, qui était surclassé. C’était une vraie bonne génération que j’ai eu plaisir à coacher, et Schneiderlin en était le symbole : agréable, travailleur, battant, bien éduqué, qui savait prendre ses responsabilités. » Et qui a donc attendu 2014 et le forfait de Clément Grenier pour attraper in extremis l’un des deux derniers tickets pour le Brésil. Une fois sorti de la liste des 30, il était resté en France, au cas où. Un retour chez lui en Alsace, avant de normalement partir en vacances à Saint-Tropez avec des potes, dont Thomas Zerbini, qui témoigne : « L’après-midi de sa convocation par Deschamps pour remplacer Grenier, j’étais avec lui, c’était surréaliste. Tout de suite, il s’est concentré sur l’objectif Brésil. Bien sûr, il n’espérait pas que quelqu’un se blesse, mais il restait en condition, au cas où. Il s’est entretenu et avait justement prévu des vacances en France pour être prêt si on faisait appel à lui. Les Bleus, ça faisait deux ans qu’il y pensait. Je lui disais ʺarrête, c’est loin !ʺ Et puis finalement, il a atteint son objectif, comme toujours avec lui. »

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