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Moravcík : « J’allais boire des cafés avec un Ranger »
Lubomír Moravčík est une légende verte. Une légende de l'ASSE, mais aussi du Celtic, un club où le fin technicien slovaque s'est payé quatre saisons extraordinaires, pour finir sa carrière en beauté. Forcément, il connaît les succès, les échecs, les Old Firm, et ce putain de stade qu'est le Paradise. Interview nostalgie.
Tu es arrivé à Glasgow en novembre 1998, pour évoluer sous les ordres de ton compatriote Jozef Vengloš. À l’époque, tu sortais d’une expérience ratée à Duisbourg, à 33 ans…Les journalistes se méfiaient au début, ont émis des doutes sur mon âge. Mais moi, je savais que j’avais du ballon, je savais qu’il y avait de la ferveur, et j’étais convaincu que j’allais me régaler. J’avais joué 200 matchs en France, j’avais 70 sélections avec mon équipe nationale, je savais que je pouvais apporter quelque chose. Et j’ai tout de suite marqué des points : dès mon troisième match, j’inscris un doublé contre les Rangers et on gagne 5-1. À partir de là, les doutes se sont levés. Et on m’a tout de suite aimé pour mon engagement envers le club.
Henrik Larsson nous a confié que c’est une rencontre avec un vieux supporter en pleurs après une contre-performance, qui lui avait fait comprendre ce que voulait dire « jouer pour le Celtic » . Comment en as-tu pris conscience, toi ?
Je dirais que j’en ai pris conscience dès le premier jour. Quand j’ai signé mon contrat, Eric Black, ancien joueur de Metz (et qui était alors l’assistant de Vengloš, ndlr) qui parlait donc très bien français, m’a fait visité les installations, le stade… Je me souviens lui avoir demandé « Mais le stade, il est toujours plein ? » et il m’a répondu « Bien sûr, qu’il est toujours plein. » C’est ça le football. Tu joues pour les supporters. Et quand tu en as 60 000 derrière toi tous les dimanches, ça te pousse à donner le maximum. Tu serais presque obligé de bien jouer. À Saint-Étienne, on avait aussi un beau stade, mais franchement, c’était la première fois que je jouais devant 60 000 personnes.
Et du coup, qu’est-ce que ça signifie, jouer pour le Celtic ?C’est faire partie d’un club totalement à part. Un club créé par des Irlandais. Un club étranger, catholique, dans un pays protestant. Ce club, c’est le bébé de ses supporters. Un immense club, où j’ai simplement vécu une expérience enrichissante.
On en vient à parler du Old Firm et de la rivalité Rangers/Celtic. Pour reprendre les mots d’un autre homme, Paul Gascoigne, qui a joué aux Rangers, déclarait « que quand vous jouez au billard dans une famille qui supporte le Celtic, le billard est vert et il n’y a pas de boule bleue. Dans une famille qui supporte les Rangers, le billard est bleu et il n’y a pas de boule verte. » Bref, comment as-tu vécu cette rivalité ?
C’est tout à fait ça, c’est une énorme rivalité et un match à part. Pour moi, le match Celtic-Rangers est même le plus grand derby au monde. Mais c’est une rivalité qui animait davantage les supporters, dans cette opposition catholiques/protestants. C’était un match de football, pas la guerre.
Tu n’es donc jamais entré dans cet esprit ?Non. J’étais par exemple très ami avec Lorenzo Amoruso, un Italien qui jouait aux Rangers. On s’est rencontré à mon arrivée à Glasgow, on allait souvent boire un café… Il y avait la rivalité sur la pelouse, mais en dehors, c’était autre chose.
« Aujourd’hui, il n’y a plus de star au Celtic »
Est-ce qu’un Old Firm et un derby Saint-Étienne-Lyon, que tu as également disputé, peuvent être comparés en termes d’émotion, de tension ?En termes d’émotion et de tension, oui, c’est comparable. Un derby Saint-Étienne-Lyon est aussi important en France que le Rangers-Celtic ne l’est en Écosse. Le stade était plein… Il y avait quelque chose, aussi. Et il fallait, comme dans tout derby, sortir un gros match. La différence, outre la capacité du stade, tient dans la notoriété et l’intérêt. Un duel Rangers-Celtic est regardé par l’Europe entière, là où un Lyon-Sainté n’intéresse qu’en France.
En quatre années, tu as disputé bon nombre d’Old Firm, as participé à des victoires comme un 6-2 en 2001 ou, donc, ce fameux 5-1 où tu plantes un doublé. Mais la même année, en 1999, le Celtic abandonne justement le titre lors d’un derby, perdu 3-0 au Celtic Park… Match à l’ambiance particulièrement électrique. Quel souvenir gardes-tu de cette défaite ?Cette saison-là, bon… On avait déjà du retard sur les Rangers, et on était obligés de gagner pour espérer remporter le titre. Les Rangers étaient clairement au-dessus. Mais bizarrement, je me rappelle plus facilement des victoires. Donc de mon premier doublé, ou d’un autre, que j’ai marqué dans un 3-0 à Ibrox… Cette fois-ci, nous étions les meilleurs. La domination des Rangers et Celtic, c’est une histoire de cycles.
Dans nos colonnes, Larsson regrettait que le championnat écossais soit sous-estimé. Tu es d’accord avec son constat ?C’est vrai qu’on a tendance à résumer le championnat écossais au duel Rangers-Celtic. Le monde entier parle de ce match, pas des autres. Mais il faut avouer que le reste du championnat n’est pas très fort. C’est un championnat qui rassemble 12 équipes, l’Écosse c’est 5 millions d’habitants, quoi… Il est tout bonnement impossible que le championnat écossais ait autant de footballeurs talentueux et de possibilités que les championnats majeurs comme l’Italie, l’Angleterre, l’Espagne, l’Allemagne, la France.
Quand tu jouais, il y en avait, des stars…Exactement. Lorsque je jouais, on avait en attaque des Larsson, Sutton, Hartson… Au milieu du terrain, on avait aussi Petrov ou Lambert, soit le joueur le plus capé de l’histoire de la Bulgarie, ou un joueur qui a gagné la Ligue des champions avec Dortmund. Et puis l’actuel coach Neil Lennon, qui a joué un rôle de leader, dans l’ombre, très important. Des footballeurs de qualité internationale, des stars. Aujourd’hui, au Celtic, il n’y en a plus. Les dirigeants n’ont plus les moyens de faire venir des joueurs de la trempe d’un Larsson par exemple. À l’époque où je jouais, ils en avaient la possibilité, simplement parce qu’il n’y avait pas autant d’argent dans le football qu’aujourd’hui. Maintenant, un fossé s’est creusé entre les clubs les plus riches et les autres. Le Celtic est encore et restera un grand club, mais le fait qu’il évolue dans un petit pays et un petit championnat ne jouent pas non plus pour lui. En cela, je lui tire mon chapeau : réussir à exister dans un championnat comme l’Écosse, alors que les Rangers sont descendus, obtenir des résultats sur la scène européenne… Le Celtic est toujours là. Il se bat avec les moyens qu’il a, et avec des supporters extraordinaires, qui constituent sa plus grande force.
Propos recueillis par Alexandre Pauwels