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Monty Python, sacrés footballeurs !
En 1974 pour la télévision ouest-allemande, la célèbre troupe comique des Monty Python organise une rencontre de foot fictive au stade olympique de Munich. L’affiche ? Philosophes grecs contre philosophes allemands. L’histoire d’un des sketchs les plus fous de la troupe, avec Confucius au sifflet et Beckenbauer en guest star.
Sócrates entre dans le stade olympique de Berlin, mais il y a quelque chose qui cloche. Le maillot devrait être jaune Brésil, il n’est que blanc cassé. Le col devrait être vert, le voilà remplacé par une toge longue et des protège-tibias qui descendent sous le genou. Plus inquiétant encore, si la barbe et les cheveux bouclés sont toujours là, le Doctor les porte en blanc. Teintés par le poids des ans, comme si le bonhomme dans l’écran avait pris 30 ans par rapport à ces images de la Coupe du monde 1986. Mais à y regarder de plus près… le flocage dans le dos n’est pas Sócrates. Pas tout à fait.
Plutôt Socrate, ou Sokrates en allemand. Le philosophe. Tout s’explique. Car si le stade est bien réel, le match, lui, ne l’est pas. Et les joueurs non plus. Composée d’Archimède, Platon, Sophocle ou Épicure, une équipe de philosophes grecs affronte en ce soir du 5 décembre 1974 une équipe de philosophes allemands. Dans les rôles principaux, la troupe des Monty Python dans son ensemble, metteurs en scène d’un sketch pour leur émission Monty Python’s Flying Circus sur la première chaîne ouest-allemande. Terry Jones, Michael Palin, John Cleese, Graham Chapman, Eric Idle et Terry Gilliam. Six hommes et une histoire de fans de football, mais surtout de « foutage de gueule » pour ces génies du comique.
Et surprise, Beckenbauer
« Eric Idle détestait pratiquer le sport, il s’échappait du terrain à l’université pour aller au cinéma. Mais il disait : « Le football et le rock’n roll sont les deux seules choses qui rendent ma vie acceptable. » Il s’arrangeait toujours pour récupérer les vieux maillots des joueurs de Wolverhampton dont il était fan. » Pour Patrick Marcel, traducteur français de la saga Games of Thrones et auteur de Monty Python ! : petit précis d’iconoclasme sorti en 2011, le rapport du groupe avec le football tient essentiellement à l’amour que lui portent ses deux auteurs principaux : Eric Idle et John Cleese. « Cleese a fait ses études secondaires en banlieue de Bristol, et il a réussi à faire créer une équipe de foot dans son lycée. C’est toujours un vrai fan de l’équipe locale. Plus tard, il a été professeur assistant et s’est fait un devoir d’enseigner le foot à ses élèves : ils connaissaient tellement peu le sport qu’au début ils ne savaient même pas qu’il fallait marquer des buts. Il était juste mort de rire à les voir se faire des passes sans chercher à marquer. »
Les deux passionnés de football, issus de la prestigieuse université de Cambridge, rencontrent dans le campus au début des années 1960 l’étudiant en médecine Graham Chapman. Michael Palin et Terry Jones sortent d’Oxford, où ils ont respectivement étudié l’histoire et la littérature, tandis que le dernier, Terry Gilliam, est lui diplômé de sciences politiques. Un sextuor aux connaissances impressionnantes qui voit dans le football le parfait pendant à leur intellect.
Alors, pour le deuxième épisode du Deutsche show des Monty, uniquement diffusé sur la télévision allemande et enregistré dans la langue locale – « ce qui donnait des accents un peu bizarres » -, la troupe décide de mêler deux de ses passions.
Un épisode dont se souvient très bien Jérôme Didelot, leader du groupe Orwell et fan de l’escouade : « Le premier gag qui m’avait fait vraiment mourir de rire, c’est la feuille de match des philosophes allemands. Que des mecs avec des fringues de philosophes. Et là, le commentateur qui dit : « Et surprise, la présence de Beckenbauer ! »Lui a un vrai maillot de foot et c’est le seul. (rires) » La star effectue en effet un caméo inattendu au milieu d’un stade olympique… pas si olympique que ça, puisqu’il s’agit en réalité du Grünwalder Stadium, 21 000 places, maison du Bayern à l’époque.
L’enceinte est vide, mais la chaîne rajoute au montage des extraits avec du public retrouvés dans les archives, comme un symbole de la puissance médiatique du groupe : « Ils bénéficiaient d’accords spéciaux. S’il avaient fait ça dans un petit stade pourri en Angleterre, ça n’aurait pas eu le même effet » , explique Pacôme Thiellement, essayiste et réalisateur français.
Marx qui crie au hors-jeu
Après la présentation des équipes, le début du match. Et logiquement, entre philosophes, ça philosophe. Cleese est Archimède, Idle est Socrate, Chapman est Hegel, Palin est Nietzsche et la voix du commentateur surexcité, Jones est Marx et Gilliam est Kant.
Au moment du coup de sifflet, aucun mouvement. Pacôme Thiellement : « Ce que raconte ce sketch, c’est la distance entre la pensée et les actions. Ce sont des types qui trouvent toutes les explications du monde pour ne pas faire le geste le plus simple, une passe. C’est avant tout pour se foutre de la gueule des philosophes. » Une satyre qui va jusque dans le choix de l’arbitre, représenté par le chinois Confucius et son sablier : « Ceux qui sont absents, ce sont les Chinois, la question ne les concerne pas, eux sont détachés. Ce qui est montré, c’est aussi la compétition dans la théorie. Les philosophes se présentent comme des gens capables d’avoir des idées très hautes, mais qui sont en perpétuelle compétition. »
Quatre-vingt-neuf minutes de purge à la Marseille-Guingamp, seulement rythmées par un carton jaune de Nietzsche, reçu pour avoir affirmé à l’arbitre qu’il n’avait pas de libre arbitre. Puis, au bout du temps réglementaire, ce coup de génie d’Archimède : il s’écrie « Eureka ! » et s’engouffre dans la défense. Le reste appartient au commentateur : « Socrate a marqué ! Les Grecs deviennent fous ! Les Allemands contestent. Hegel affirme que la réalité est simplement un a priori auxiliaire à l’éthique non naturaliste, Kant invoque un impératif imaginaire, et Marx crie au hors-jeu. »
Jérôme Didelot, qui lui non plus n’a rien compris, explique : « C’étaient des férus d’histoire, de philo et de sciences. Ils entretenaient ce côté faussement intello pour faire des vannes qui n’ont aucun sens. Ils ont fait plusieurs sketchs sur le football, un match entre des gynécologues et des Sir Long John de L’île au Trésor, ou des fausses interviews. La base de leur humour est là : il y a une juxtaposition entre culture potache, le côté limité que peut évoquer le football pour une catégorie de la population, et le truc très érudit. » Pacôme Thiellement résume : « C’est une violence de classe sociale. Dans leur espèce de monde transitoire régi par l’illusion, le comique vient de l’absurdité de la confrontation. »
Une véritable pièce de théâtre sur pelouse à la portée bien plus grande que ce que voulaient laisser entendre les Monty Python, symbolisant l’affrontement historique perpétuel entre les philosophies allemandes et grecques.
Pour une des œuvres les plus mémorables de la troupe. Tout cela à base de quoi ? Une tranche du passé, toujours, selon Patrick Marcel : « Le célèbre sketch du perroquet mort, c’est au départ Palin qui avait des problèmes avec son garagiste qui lui sortait des absurdités. Et ils sont arrivés au marchand d’animaux. Là ? Personne ne sait quel est le but du football, exactement comme les élèves de Cleese. »
Par Théo Denmat
Tous propos recueillis par TD