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Monténégro-Serbie, comme au bon vieux temps
Ils ont, jusqu’en 2006 et la proclamation de l’indépendance du Monténégro, été les derniers dépositaires de l’identité yougoslave sur les terrains de football. Rivalisant au passage, dans les années 1990 avec les meilleures nations européennes. Depuis, Serbes et Monténégrins tracent leur route chacun de leur côté. Celles-ci se croisent ce soir à Podgorica, pour la première fois dans l’histoire des deux sélections. Mais plus que d’histoire et de souvenirs, c’est d’avenir qu’il sera question entre les Aigles et les Faucons.
Vingt-cinq passes. À une époque où le toque n’avait pas encore totalement retrouvé ses lettres de noblesse, la séquence, conclue par le pied gauche d’Esteban Cambiasso, encore chevelu, pour le deuxième but argentin, faisait office de référence dans ce domaine. C’était le 16 juin 2006, à Gelsenkirchen. Et si les nostalgiques du mondial allemand gardent forcément cet Argentine – Serbie-et-Monténégro (6-0) dans un coin de leur tête, c’est pour mieux situer trois choses. 1) Qu’en 2006 déjà l’Argentine faisait un très beau champion du monde des premiers tours. 2) Cette action collective passée à la prospérité. 3) Le premier but en Coupe du monde, à pas encore 19 ans, de Lionel Messi, auteur ce jour-là d’une entrée prodigieuse. Moins pour se souvenir qu’il s’agissait là de l’avant-dernier match international disputé ensemble par la Serbie et le Monténégro, les deux ultimes États de l’ex-Yougoslavie à jouer sous la même bannière. C’est triste, mais c’est comme ça : la mémoire est sélective.
Retrouvailles entre colocs
Le dernier ? Une malheureuse défaite 3-2 en toute fin de match, après avoir mené 2-0, face à la Côte d’Ivoire, cinq jours plus tard à Munich. Encore sept jours, et la Fédération de Serbie-et-Monténégro sera dissoute, conséquence de la proclamation d’indépendance du Monténégro un gros mois plus tôt par référendum. Nous sommes le 28 juin 2006, et l’équipe de Serbie-et-Monténégro n’est plus. Le souvenir de la grande Yougoslavie, celle qui bouffait à la table des plus grands dans les années 1960, atteignant une demi-finale de Coupe du monde (en 1962) et deux finales d’Euro (1960 et 1968) est alors déjà loin. Pas celui d’une sélection qui malgré les pertes, au gré des proclamations d’indépendance, de la folle génération croate troisième du mondial 1998, et de ses meilleurs éléments slovènes, macédoniens ou bosniens, a regardé les grands d’Europe dans les yeux une bonne partie des nineties. Même si, au regard du palmarès, cette équipe-là tient davantage du mythe que de la réalité.
Mais il faudrait un bouquin pour instiller dans les plus jeunes mémoires Predrag Mijatović, Dejan Savićević, Siniša Mihajlović ou Piksi Stojković, entre autres porte-étendard de la Yougoslavie en France et à l’Euro 2000. Et le fait est que la sélection de Serbie-et-Monténégro, son appellation entre 2003 et 2006, a plutôt donné envie de planquer le livre de son histoire que de l’ouvrir. Son absence à l’Euro 2004 et son vautrage collectif à la Coupe du monde 2006 (trois défaites) sont là pour le rappeler. Et inciter, alors que se profile un Monténégro-Serbie, à se pencher sur le présent des deux équipes plutôt que sur les derniers vestiges de leur histoire commune. Le reste est trop loin. Et l’essentiel est ici : ce jeudi, à 20h45, le Monténégro et la Serbie s’affrontent pour la première fois depuis leur séparation politique et sportive en 2006.
Aigles et Faucons en plein décollage
On peut reprocher beaucoup de choses à la Ligue des nations, mais pas d’offrir parfois, comme sur ce coup-là, des affiches autant teintées d’histoire que d’enjeu. Entre deux formations qui ont chacune tapé la Lituanie et partagé les points avec la Roumanie, c’est la première place du groupe 4 de la Ligue C qui se joue ce soir à Podgorica. Soit un accessit pour la Ligue B lors de l’édition 2020-2021 de la compétition. Une division où la Serbie, présente au dernier Mondial et remontée à la 36e place du classement FIFA, ne ferait certainement pas tache. Pas plus que Ivanović, Kolarov – s’ils sont toujours là –, Tadić ou Matić, forfait ce soir. Y accéder acterait en tout cas pour de bon l’idée d’un retour au premier plan des Aigles blancs, champions du monde U20 en 2015 face au Brésil. Et à la tête, surtout, d’une tripotée de garçons pétris de talent, comme Aleksandar Mitrović (23 ans, déjà cinq buts avec Fulham cette saison), le Laziale Sergej Milinković-Savić (23 ans) ou les Benfiquistas Andrija Živković (21 ans) et Luka Jović (20 ans, prêté à Francfort), pour ne citer qu’eux.
Y accéder confirmerait aussi l’idée d’une montée en puissance du Monténégro qui, réduit à jouer les utilités dans son groupe de qualifs à la Coupe du monde 2010 après la partition avec la Serbie, a fini troisième des deux campagnes qualificatives suivantes. Passés également tout près d’une participation à l’Euro 2012 (sorti en barrage par la Tchéquie), les Hrabri Sokoli ( « Braves Faucons » ) lorgnent logiquement sur le championnat d’Europe des nations 2020. Après quoi, il sera temps de songer, pour une équipe que le Serbe Ljubiša Tumbaković s’efforce de renouveler depuis sa nomination en 2016, à faire émerger des générations à même de la maintenir à ce niveau. Pour cela, le Monténégro pourra toujours demander conseil à son voisin serbe. Comme on le fait généralement avec son ancien coloc’.
Par Simon Butel