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Mondial U20, une victoire en trompe-l’œil ?

Par Christophe Gleizes et Fabien Gauvin
Mondial U20, une victoire en trompe-l’œil ?

Quelques jours après le sacre des Bleuets au Mondial des U20 en Turquie, la France ne boude pas son plaisir de retrouver enfin une sélection qui gagne. Logiquement félicités pour leur succès, les jeunes de Mankowski ont pourtant produit un jeu qui était stigmatisé il y a peu comme la base des limites françaises. Alors, véritable récompense de la formation hexagonale ou simple coup d'épée dans l'eau ?

« C’est beaucoup de joie, beaucoup de satisfaction et de fierté. » Trois jours après la finale du Mondial qui a sacré l’équipe de France des moins de 20 ans, le sélectionneur Pierre Mankowski savoure. Il peut. La France vient de conquérir le dernier trophée qui lui manquait encore sur la scène mondiale et remis au goût du jour une formation française critiquée. Francis Smerecki, son collègue des U19, ne boude pas non plus son plaisir : « C’est du bonheur. Avec la génération 91, je m’étais arrêté en demies du Mondial U20, mais maintenant nous avons le seul titre qui nous faisait encore défaut ; c’est une bonne chose, on peut être fiers. »

« La formation n’est pas si mauvaise qu’on veut bien le dire »

La France s’avançait en Turquie avec le costume de favori, partagé avec l’Espagne et la Colombie. Après une qualification souffreteuse en poule (défaite contre l’Espagne et nul contre les États-Unis), la bande à Pogba a réussi à hausser son niveau de jeu en phase finale, à l’image des Bleus en 2006. Deux victoires probantes face à la Turquie (4-1) et… l’Ouzbékistan (4-0), une troisième aux forceps grâce à un Thauvin de gala face au Ghana en demies (2-1) et puis le sacre face à l’Uruguay en finale, avec un immense Areola. Contrat rempli pour cette génération dorée. « La victoire était annoncée, elle n’en a donc que plus de valeur. Il y a eu des matchs plus compliqués que d’autres, mais c’est aussi parce qu’il y a des adversaires de qualité en face. D’une manière générale, la victoire de l’équipe de France est enthousiasmante et ne souffre aucune contestation » , commente Jean-Michel Larqué, d’ordinaire avare en compliments. Même constat pour Claude Dussault, l’ancien directeur de l’INF Clairefontaine : « Cette victoire est une très bonne chose pour le football français. Cela prouve que la formation n’est pas si mauvaise qu’on veut bien le dire, même si tout reste à confirmer. »

Pas si mauvaise, la formation à la française ? Le résultat est incontestable. La manière un peu moins. Alors que l’affaire des quotas avait fait émerger l’idée d’un retour à plus de technique, on ne peut pas dire que ce soit cette idée qui se soit détachée du succès français. Parfois inférieurs en qualité intrinsèque à leurs adversaires, les Bleuets ont gagné « à la française » : beaucoup d’impact physique, un bon niveau individuel, une discipline tactique et une organisation sans faille, le tout doublé de beaucoup de courage et de solidarité. Mais faut-il vraiment s’en réjouir ? « Nous disposons de jeunes joueurs de grande qualité, mais il ne faut pas tomber dans l’excès d’enthousiasme » , tempère effectivement Claude Dussault : « Contre l’Espagne, les États-Unis ou le Ghana, on a clairement été à la peine. »

Les mêmes causes ne produisent pas les même effets

Un constat lucide de la part de l’ancien cadre de la FFF, qui a jugé de nombreuses équipes « meilleures techniquement » , au premier rang desquelles l’Espagne ou l’Uruguay. « Les Français ont gagné avec leurs arguments, leur préparation a été excellente, et je les félicite, mais je ne pense pas que ce succès serve durablement l’équipe de France. Le but, ce n’est pas d’être champion du monde à 20 ans, mais d’installer l’équipe de France A dans les cinq meilleures nations mondiales sur le long terme. Pour inverser la tendance actuelle, il faut donc avant tout repenser notre formation vers plus de technicité et d’esprit offensif. »

À l’image de Claude Dussault, Jean-Michel Larqué dénonce lui aussi en filigrane « l’absence de changement » dans la conception et l’enseignement du jeu en France : « Aujourd’hui, il faut qu’on revienne à des bases techniques beaucoup plus solides. On manque encore de qualité technique, surtout face à des formations comme l’Espagne ou l’Allemagne. Si, à nos qualités physiques et tactiques, on ajoutait une meilleure technicité, ça serait parfait, mais bon, c’est difficile, ennuyeux et ingrat de progresser dans ce domaine. » Un discours déjà entendu à l’époque de l’affaire des quotas, sans que rien n’ait véritablement évolué.

« On peut dire que l’équipe de France a du talent individuellement, mais pas collectivement » , confirme Claude Dussault : « Pour remédier à ce problème, selon moi, il faut baser la technique sur le collectif et faire réfléchir les joueurs dès l’âge de 9, 10 ou 11 ans. À la récupération du ballon, par exemple, les équipes étrangères comme le Barça ou le Bayern ont une récupération collective très élaborée, basée sur la débauche d’énergie, avec toujours quelqu’un sur le porteur. Tout cela, ça s’apprend très jeune. Ce n’est pas question de qualité et d’adresse, mais une question de réflexion. » Il faudrait pour cela une réelle harmonisation du jeu pratiqué à toutes les échelles de la sélection. Un préalable indispensable que Pierre Mankowski estime déjà mis en place. « Ça fait des années que les formateurs travaillent de la même manière, obtiennent les mêmes diplômes. On a terminé demi-finalistes de l’Euro (2012 en Estonie), avec Smerecki ils font aussi demi-finalistes (Mondial U20 en 2011)… Tous ces résultats prouvent qu’on fait du bon travail » , se défend le récent champion du monde.

Toujours pas de mentalité offensive

L’autre problème identifié du jeu français reste une mentalité frileuse. « Nous ne faisons pas assez jouer nos équipes de manière offensive. Selon moi, c’est impensable de s’arrêter à mi-chemin ; c’est avant tout une question de vouloir aller de l’avant et chercher à jouer de manière libérée » , explique Dussault. Le professionnalisme de la FFF ou des centres de formation n’est pas à remettre en cause : les talents qui émergent chaque année en Ligue 1 sont là pour le rappeler. Mais force est de constater qu’il y a toujours en France une restriction mentale dans le jeu offensif, qui a été visible lors de ce tournoi comme dans d’autres.

Des critiques que Pierre Mankowski, le sélectionneur des Bleus, accueille avec une certaine incompréhension : « Je ne suis pas du tout d’accord avec vous, si cette équipe a attiré autant de sympathie, ce n’est pas pour rien. On a simplement un peu moins bien joué contre l’Espagne, mais c’était plus dû à la manière d’aborder ce match, c’était un match de poules… Je ne peux pas vous laisser dire ça ! Je trouve que ça fait un petit moment que le jeu déployé est intéressant, il y a une vraie identité, on essaye d’aller toujours de l’avant, de repartir proprement de derrière. » Avant d’ajouter, à propos de la ligne directrice qu’il essaie d’insuffler : « Mon message, c’est d’abord de ne jamais douter de notre manière d’évoluer. C’est toujours l’adversaire qui doit s’adapter à nous, pas l’inverse. Je leur dis aussi de prendre des risques sur le plan offensif. » Malgré ses réserves, Jean-Michel Larqué confirme : « On aimerait bien qu’il y ait une telle qualité de jeu dans toutes les sélections tricolores. En terme d’animation, ce n’est pas le Barça, mais le niveau de jeu n’est pas dramatique. Ils ont marqué, ils ont été bons, nettement mieux que les A. »

Certes loin d’être dramatique, le jeu déployé est pourtant symptomatique de la formation bleu-blanc-rouge. Comme les grands n’ont jamais vraiment su fonctionner sans un leader charismatique, les Bleuets se sont avant tout appuyés sur le talent d’une génération qui promet… individuellement. À la FFF, on affirme que le sélectionneur a bâti une équipe pour gagner et que, par définition, le gagnant a toujours raison. Francis Smerecki ne dit pas autre chose : « Quoi qu’on en dise, Pierre Mankowski a la légitimité puisqu’il a l’étoile. » Il serait juste dommage que cette étoile devienne l’arbre qui cache la forêt.

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