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Mondial : Les torcidas sèment la mort à coups de cuvette WC
Paulo Gomes Ricardo da Silva avait 26 ans. Tué à Recife par une cuvette de WC jetée du haut des tribunes, il est la dernière victime des violences qui gangrènent le football brésilien à l'approche de la Coupe du monde.
Vendredi 2 mai à Recife, il fait un temps de chien : des pluies diluviennes ajoutent des inondations au chaos quotidien des heures de pointe. Deux heures pour traverser la ville. En début de soirée, il faut d’autant plus de courage pour rejoindre le stade d’Arruda que rien ne dit que le match aura lieu : la pelouse, sur laquelle le Santa Cruz Futebol Clube doit recevoir le Paraná en série B du Brasileirão, est marécageuse. De fait, le stade est vide : moins de 10 000 fans dans une enceinte vétuste où s’entassèrent naguère jusqu’à 100 000 spectateurs – capacité aujourd’hui ramenée à 60 000 places. Le Santa Cruz compte pourtant sur l’un des plus importants publics de tout le Brésil. Mais les résultats du club, depuis le début de la saison, ont refroidi les ardeurs : les tricolores ont non seulement enchaîné matchs nuls sur défaites, mais ils ont aussi abandonné les lauriers au Sport, l’ennemi juré. La semaine dernière, une cinquantaine de torcedores ont envahi le siège du club, pénétré le vestiaire avant l’entraînement, menacé joueurs, dirigeants et journalistes. L’ambiance est délétère.
Projetées de 24 mètres de haut
Sur le terrain impraticable, malgré un nouvel entraîneur et un regain manifeste, le Santa Cruz s’embourbe : 1-1 contre le Paraná. L’impressionnante torcida Organizada Inferno Coral, l’une des plus puissantes et violentes du Brésil, quitte le stade. Vient ensuite le tour des visiteurs de la Fúria Independente : durant tout le match, ils ont été renforcés par des membres de la Torcida Jovem, les ultras du Sport auxquels ils sont alliés. Les lumières du stades sont éteintes et tout le monde va rentrer sagement se sécher. Mais certains traînent dans Arruda. Deux cuvettes de WC sont arrachées de leurs socles dans les toilettes, portées sur une centaine de mètres dans le stade sans que personne intervienne, hissées au sommet d’une tribune. Dessous, dans la rue, des supporters du Paraná sont visés. Projetées d’une hauteur de vingt-quatre mètres, les cuvettes pèsent l’équivalent de 350 kilos chacune quand elles atteignent leurs cibles. Trois hommes sont blessés. Le quatrième est tué sur le coup. Paulo Gomes Ricardo da Silva avait 26 ans et il était membre de la Torcida Jovem du Sport.
À Recife, on savait la situation explosive. Non que la rivalité entre le Sport, le Santa Cruz et le Náutico soit nouvelle : voilà un siècle que les trois grands clubs de la ville se fritent, tout en faisant le yo-yo entre les séries A à D du championnat national. Mais, depuis plusieurs mois, la rivalité entre torcidas organizadas échappe à la maîtrise des dirigeants comme des pouvoirs publics, chacun fuyant ses responsabilités. La misère sociale et la détresse morale ont fanatisé des hordes de jeunes qui, chaque week-end en marge des matchs, en profitent pour vandaliser, frapper et terroriser. Des métros sont mis à sac, des bus sont attaqués et chaque derby est l’occasion de batailles rangées en plein centre-ville où les torcidas ont leurs sièges. Les gens ont peur : dans une société recifense où la passion pour le futebol est l’un des rares points de convergence, les familles désertent les stades et préfèrent supporter leur équipe à la télé dans des appartements barricadés. Bref, il était écrit que Recife serait le théâtre de la prochaine tragédie qui gangrène le football brésilien à l’approche de la Coupe du monde. D’autant plus préoccupant que la fatalité l’emporte sur la volonté d’enrayer des drames annoncés.
Rançon de 1 600€
Depuis vendredi, le pays s’offusque. Fred, buteur de la Seleção, continue sa campagne contre les torcidas organizadas en dénonçant sur Twitter « un nouvel acte de barbarie » et la « certitude de l’impunité » . Même la présidente Dilma Rousseff, qui joue gros à quarante jours de la Coupe du monde et cinq mois de l’élection présidentielle, a tweeté que ce drame est « un nouveau triste exemple de l’urgence d’installer des unités spécialisées dans les stades » . Problème : une telle unité policière existe depuis un an à Recife, sans le moindre résultat. Du côté du club, on se prétend victime et non coupable. Le président du Santa Cruz FC, Antônio Luiz Neto, avouait déjà son impuissance alors qu’on le rencontrait il y a quelques semaines : « Les bagarres de rue, dans un pays où la violence est endémique, relèvent de la police et non du club. Punir l’institution Santa Cruz, c’est une injustice. » Le stade a été suspendu pendant trois matchs en début de saison, suite à une énième rixe mettant en cause Inferno Coral avec qui le club nie toute relation. Contactés, les responsables se retranchent derrière le communiqué officiel : « Ce ne sont pas des supporters. Nous ne les considérons surtout pas comme des membres de la torcida tricolor. Ce sont des bandits, des délinquants, des criminels en bande organisée. Ils doivent être piégés et punis selon la loi. »
Restait à connaître la position d’Inferno Coral, torcida organizada vers qui les regards sont tournés depuis le drame. Mais lundi 5 mai en début d’après-midi, son directeur esquive le rendez-vous fixé : dans le local des ultras, un nervi informe que la consigne a été donnée de ne répondre à aucune question. Le regard est sévère et la voix glaçante. Il faut dire que la tension est vive. La veille, le corps de Paulo Gomes Ricardo da Silva a été porté en terre, son cercueil tenu par des hommes vêtus du maillot du Sport, tandis que retentissaient les cris de ralliement de la Torcida Jovem. Ce lundi matin, la récompense pour celui qui dénoncera le criminel était placardée en « une » des quotidiens de Recife : 5 000 réals (environ 1 600€). Le téléphone a vite fait de sonner : au bout du fil, un jeune homme confesse le nom d’un suspect qui est arrêté dans la foulée. Tout l’après-midi, les médias balancent en quasi-direct son identité, la vidéo de son interpellation, et enfin ses aveux en début de soirée : trois jours auparavant à Arruda, le jeune homme a bien jeté une cuvette de WC du sommet des tribunes, en compagnie de deux complices. Il s’appelle Everton Felipe Santana, il a 23 ans et il est membre d’Inferno Coral.
Par Eric Delhaye, à Recife