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Mondial : Comment la FIFA fait sa loi
Depuis juin 2012 au Brésil, un nouveau texte législatif, imposé par la FIFA aux pays hêtes, fait force de loi dans les 12 villes-sièges. La Lei Geral da Copa modifie à la marge le cadre législatif commun à titre temporaire et à la limite de la constitutionnalité. Entre autres petites perles, « les personnes habitant aux alentours des stades recevront une accréditation pour pouvoir rentrer chez eux ».
Il en est de la Lei da Copa (la loi de la Coupe) comme des nombreux débats nés de l’organisation du Mondial brésilien : il faut revenir quelques années en arrière pour comprendre l’origine du problème. Lorsque le Brésil est choisi en 2007 pour héberger la Coupe du monde, il doit signer un contrat, qui contient notamment les fameux « standards FIFA » . Le contrat liste toutes les obligations futures du candidat choisi et lie (dans le cas présent) la Confédération brésilienne de football (CBF) à sa tutelle internationale, la FIFA, qui lui commande et lui délègue la prestation de l’organisation de l’événement. L’État fédéral brésilien, quant à lui, devient le garant des obligations de la CBF. La FIFA délègue, la CBF exécute, l’état (fédéral) paie. Jusque-là, tout est clair.
En 2011, un projet de loi est rédigé, afin de rendre compatible avec la loi brésilienne certaines dispositions exigées par le contrat cadre. Il s’agit notamment des zones d’exclusion commerciale autour des stades (voir plus bas), de l’exonération de responsabilité de la FIFA et de la possibilité d’indemnisation de cette dernière quant aux dommages possibles à l’occasion de l’événement. Adoptée en 2012, la loi est l’objet d’une action directe en inconstitutionnalité par le ministère public fédéral, qui demande au Tribunal suprême fédéral (STF) de suspendre provisoirement les dispositions contestées. Toutes les objections ayant été écartées par le STF il y a quelques semaines, rien ne s’est opposé au caractère effectif de la loi, et à ses dispositions concernant plus particulièrement la période de l’événement dans laquelle nous sommes entrés (des 15 jours précédents aux 5 suivants). Retour sur les points polémiques tranchés par le STF, mais mal avalés par la population – et bon nombre de juristes brésiliens.
Les questions soulevées par la Lei Geral da Copa du 5 juin 2012 sont d’ordre différents (civil, pénal, constitutionnel), mais toutes questionnent l’intérêt supérieur d’un événement privé sur l’intérêt collectif brésilien, et l’égalité (des citoyens) devant la loi.
1/ L’exonération des frais de justice
La loi dit : la FIFA, en cas de poursuite, est exonérée des frais de justice qui devraient lui incomber.
Le problème : du point de vue juridique, ce texte est une entorse à l’égalité des personnes (physiques ou morales) devant la loi, ou plus exactement met en cause le « principe fondamental de droit brésilien appelé l’isonomie » , nous explique Rita Lamy Freund, avocate à Rio. « La FIFA a les moyens de se payer un avocat et n’a pas besoin de commis d’office. » Or le STF a estimé, par la voix de son président, que l’obligation du Brésil d’honorer les clauses du contrat signé avec la FIFA imposait l’adoption de cette loi, qui ne viole pas de principe fondamental.
Conclusion : c’est discutable et discuté, mais c’est voté. Si ses avocats sont trop occupés par le Qatargate, la FIFA aura donc le droit à un commis d’office brésilien en cas de pépin.
2/ La « responsabilité totale de l’union »
La loi dit (art. 23) que le gouvernement fédéral a une responsabilité civile totale autour de l’événement (il doit indemniser en cas de dommage) : « L’Union assumera les conséquences de sa responsabilité civile devant la FIFA et ses représentants légaux, employés ou sous-traitants pour tout dommage causé résultant des événements, ou pour tout incident ou accident de sécurité étant survenu à l’occasion des événements, excepté si et dans la mesure où la FIFA ou la victime auraient concouru directement au dit-dommage. »
Le problème : Rita Lamy Freund nous explique ce point technique : « Quand on parle de responsabilité civile de l’État, la constitution brésilienne adopte normalement la théorie du « risque administratif », ce qui signifie que l’État peut être désigné responsable (mais pas coupable) pour n’importe quelle action ou omission de ses agents publics qui cause des dommages à des tiers (indépendamment de sa culpabilité). Cet article de la lei geral da copa implique que la FIFA pourrait demander à l’État réparation si elle estime souffrir d’un préjudice à la suite d’un incident ou un accident, ce qui vaut aussi pour une catastrophe climatique, par exemple. »
Conclusion : c’est un article qui permet à la FIFA de se prémunir contre tout manque à gagner résultant d’un déroulement non conforme à ses prévisions. À l’heure où les manifestations menacent de mettre en péril le bon déroulement de l’événement, ou quand on voit par exemple que l’aéroport de Brasilia a un peu pris l’eau cette semaine, (sans incident) l’article prend un certain poids… Remarquons que la FIFA touchera ses bénéfices et royalties en organisant un événement privé et que cette loi lui permet de grandement minimiser ses risques financiers et juridiques. Si on considère que la « Coupe du Monde de la FIFA » est une marque propriété de l’organisation, c’est un joli tour de force contractuel – et donc législatif.
3/ La liberté d’aller et venir
La loi dit (art. 11) : « L’union collabore avec les États, les municipalités et les autorités compétentes respectives pour assurer à la FIFA (et à ses agents désignés) l’autorisation de promouvoir ses marques, de distribuer et vendre leurs produits et services (et autres activités commerciales) de manière exclusive dans les lieux de compétition, dans leurs alentours et les principales voies d’accès qui y mènent » (dans un périmètre maximal de 2km à la ronde, selon la spécificité des lieux).
Concrètement : cette zone d’exclusion commerciale est ainsi interdite à tous les vendeurs ambulants (n’ayant pas fait de demande préalable d’accréditation pour vendre les produits estampillés FIFA et partenaires) et à toute publicité pour une marque n’étant pas partenaire de la FIFA. Par exemple, les publicités des marques partenaires du Maracanã, à Rio, sont bâchées pendant toute la durée de la compétition.
Par ailleurs, les habitants des alentours des stades doivent solliciter des accréditations pour pouvoir rentrer chez eux les jours de match ! Les personnes non accréditées ne pourront par pénétrer dans un rayon de 1km autour du stade, à moins d’être en possession de billets pour les matchs.
Le problème : en obligeant les citoyens à s’accréditer pour rentrer chez eux, en sortir, inviter des amis, aller travailler, la FIFA oblige l’État (la ville, en l’occurrence) à privatiser une partie de son territoire et limiter le droit de circuler librement des citoyens. C’est d’ailleurs pour atténuer la gêne due à cette mesure que les villes-sièges ont décrété des jours fériés – pour tous les jours de matchs dans les villes concernées et dans toutes les villes les jours de match du Brésil.
Conclusion : que les riverains s’estiment heureux, la FIFA aurait pu réclamer une part du loyer de ceux qui habitent sur les éventuelles collines qui surplombent les stades…
4/ Les autres points nouveaux
Les ordonnances municipales votées à l’occasion de la Copa prévoient que :
– La garde municipale est « confiée » par les préfectures à la FIFA. Ce corps des forces de l’ordre, intégralement dédié à la protection de la FIFA pendant la compétition, doit également veiller au respect des règles édictées dans le contrat (faire notamment respecter les zones d’exclusion).
– Pour organiser des festivités sur la commune d’une ville siège, les associations doivent avoir l’autorisation de la préfecture, à qui la FIFA a demandé un droit de regard, afin qu’un autre événement (rassemblement politique, culturel, organisé) ne vienne pas troubler les « Fifa Fan fest » .
– Pendant toute la durée de l’événement, les attributions des banques changeront légèrement, pour permettre un meilleur accueil et une meilleure complémentarité avec les bureaux de change.
La question : on peut questionner la légalité de voir un événement privé et à but lucratif créer de fait un état d’exception dans les attributions constitutionnelles d’un corps de police, de la liberté des associations ou des droits et devoirs des institutions bancaires.
Conclusion : sur ce point comme sur les précédents, rien n’empêchera un citoyen ou une association d’intenter un procès s’il s’estime injustement lésé par l’une de ces dispositions. La jurisprudence liée à la Copa devrait alors constituer un intéressant feuilleton juridique dans les mois (années) suivant l’événement.
De manière générale, le Tribunal fédéral suprême a validé le caractère constitutionnel de ces mesures en expliquant que le jeu en valait la chandelle : selon une étude mise en avant lors du rendu du jugement, le gain prévisionnel pour le Brésil serait de 183 milliards de BRL, (soit environ 60 milliards d’euros entre 2013 et 2020) en recettes et investissements directement ou indirectement liés à la Copa. Raison pour laquelle le Brésil se doit de respecter point par point le contrat le liant à la FIFA. Quand on connaît la facture globale du Mondial, on espère pour le pays que la réalité se rapprochera au maximum de ces estimations prospectives.
Par David Robert, à Rio de Janeiro