- Mondial 2022
Mondial 2022 au Qatar : Au milieu du désert, le robinet d’eau tiède coule toujours
Bâillonnés par les instances, les joueurs font au Qatar ce à quoi ils ont toujours été conditionnés : ne pas se mouiller.
Le journaliste iranien qui s’est fait remarquer ce lundi lors de la conférence de presse américaine – avant le match entre les deux pays qui s’annonce déjà électrique – aurait difficilement pu être plus offensif à l’encontre de Tyler Adams, le capitaine du Team USA. Une première fois : « Vous dites que vous supportez le peuple iranien, mais vous prononcez mal le nom de notre pays. » Une deuxième fois : « Êtes-vous d’accord pour représenter un pays où il y a tant de discrimination envers les personnes noires au sein de ses propres frontières ? » Après s’être excusé pour la faute de prononciation, le milieu de terrain de Leeds a fait, avec classe, ce que Nicolas Pallois a aujourd’hui élevé au rang d’art : il a botté en touche. « Il y a de la discrimination partout où vous allez. […] Aux États-Unis, nous continuons à faire des progrès tous les jours […]. J’ai été bercé par des cultures différentes et j’ai été facilement capable d’assimiler la culture des autres. Mais tout le monde n’a pas cette facilité, et évidemment, cela peut prendre plus de temps pour certaines personnes. » Avec cette réponse de diplomate, le New-Yorkais réussit sans doute un sans-faute communicationnel, quitte à mettre de côté sa sensibilité propre pour ne froisser personne. Autrement dit, il est parfaitement dans le thème.
Bulle et muselières
Les zones presse n’ont jamais vraiment été, pour nos amis footballeurs, le théâtre de grandes prises de position. Et le Mondial qatari ne déroge évidemment pas à la règle, au vu de cette même soupe tiède et sans piment qui nous est servie. Rien de différent de d’habitude, donc, mais ce n’est pas tous les jours que Doha devient la capitale du football et qu’un événement sportif est autant chahuté. Un contexte qui, dans un monde utopique, aurait pu être propice à la libération de la parole chez les sportifs. Mais la FIFA, le Qatar et les fédérations de chaque pays – du moins la plupart d’entre elles – ont savamment installé les muselières, et c’est tout le contraire qui s’est produit, personne n’osant s’écarter du rang. Que se passe-t-il en ce moment au fond des petits cœurs de nos athlètes ? Nourrissent-il des remords, des interrogations, ou bien plutôt un ras-le-bol vis-à-vis de toute cette bien-pensance qui leur parle de boycott, de droits de l’homme et d’empreinte carbone ? Tout cela, nous ne le saurons jamais, du moins pas tant que cette drôle de parenthèse qatarie ne sera refermée et – très – loin derrière eux.
Ils ont pourtant été plusieurs à avoir montré la voie, sur le terrain ou en dehors, à l’heure où l’on veut censurer tout ce qui se rapprocherait d’un début d’engagement à n’importe quelle cause. Les Iraniens l’ont fait, et cela leur a coûté. Les Américains l’ont fait (pardon, Tyler). Les Allemands l’ont fait. Ce qu’Eden Hazard, du haut de ses 31 ans et de ses 124 sélections internationales, a eu du mal à concevoir, alors même que sa fédé fait partie de celles qui l’ouvrent discrètement : « Ils(les Allemands)auraient mieux fait de ne pas le faire et de gagner. On est là pour jouer au foot, je ne suis pas ici pour faire passer un message politique, des gens sont mieux placés pour ça. On veut être concentrés sur le football. » Hugo Lloris, garçon de bonne famille sans doute buté au media training depuis ses débuts, ne doit pas avoir beaucoup de mal à s’exprimer en société. Mais lui non plus ne se mouillera pas d’un orteil lors de la compétition.
Le monde réel, celui dont il ne veut pas entendre parler, est pourtant là, tout près de lui, à quelques mètres de la bulle dans laquelle les acteurs de cette Coupe du monde sont enfermés. Qu’ils le veuillent ou non, les footeux ont une voix qui porte, un statut d’étendard et des responsabilités sur les épaules, qui plus est en sélection et en période de Coupe du monde, où les cinq continents s’entrechoquent et interagissent, où les yeux et les oreilles de tout le globe se braquent l’espace d’un mois. Et si Emmanuel Macron s’est senti obligé de préciser qu’il ne fallait « pas politiser le sport », c’est peut-être parce qu’il n’a jamais été autant politique, justement. Victimes consentantes, les joueurs ne sont certainement pas les plus à blâmer, écrasés par un milieu qui veut depuis toujours développer leur QI foot sans trop faire marcher le reste de leurs neurones. Et en tribunes, Gianni Infantino et ses copains se frottent les mains. Car c’est peut-être encore mieux que ce qu’ils avaient imaginé.
Par Jérémie Baron