Mondial 2010 : La vie de Jesus Navas

Allez savoir pourquoi mais l’Andalousie a toujours donné à l’Espagne des footballeurs différents. Ces dix dernières années, la région du sud de l’Espagne a enfanté deux des meilleurs ailiers que la Liga ait connus : Joaquin et Navas. Le premier est technique et rapide mais joue bien quand il veut. Capable du pire comme du meilleur, on pourrait dire que l’ancien joueur du Bétis est un joueur inconstant. En Espagne, il est pourtant qualifié comme un joueur “con mucho arte” (un artiste). Et on pardonne tout aux artistes. Jesus Navas, lui aussi, en est un. Dommage qu’il ne souhaite pas trop le montrer.

Repéré à l’âge de treize ans par le FC Séville dans le petit club de Los Palacios, Jesus Navas a bien failli ne pas connaître le football professionnel. Son découvreur, Pablo Blanco, se souvient : « Au départ, on pensait qu’il avait 10 ans tellement il était fluet, puis je suis allé voir ses dirigeants et sa famille pour lui dire qu’on voulait qu’il intègre nos équipes de jeunes. Tout le monde était OK sauf lui. Il a commencé à pleurer et à dire qu’il ne bougerait pas de son village. D’habitude, les gosses rêvent de telles opportunités mais pas lui. Ce qu’il voulait, c’était s’amuser et rester avec sa famille » .

Finalement, et après plusieurs années de sanglots et de gros coups de blues, Jesus Navas débute chez les pros à 16 ans et demi. Toujours collé à la ligne de touche, Jesus Navas est peut-être bien le dernier ailier pur de la Liga. Techniquement monstrueux et doté d’une vitesse supersonique, Jesus ravit le Sanchez Pizjuan toutes les deux semaines par ses débordements et ses nombreuses passes décisives vers Kanouté ou Luis Fabiano. Au contraire de Joaquin, la “Navaja” (le couteau) montre en outre une régularité digne des plus grands. Seulement voilà, si son style de jeu n’a jamais changé depuis son enfance, son mental non plus…

Malgré ses qualités et le fait d’être considéré comme le joueur le plus vertical du championnat, Jesus Navas n’a jamais joué pour la sélection espagnole. Ni pour les jeunes, ni pour la Roja. Convoqué irrémédiablement par les différents sélectionneurs, l’Andalou aux yeux revolver a toujours dit non. Sa fibre patriotique ne se discute pas, mais voilà, l’homme est atteint de crises d’angoisses violentes. Incapable de se séparer de sa famille plus de 48 heures d’affilée, Jesus Navas souffre le martyr à chaque déplacement européen de son équipe. Il y a deux ans, Lyon, Valence, l’Inter Milan ou encore Arsenal s’étaient renseignés sur lui sans avoir le temps d’être reçus par les dirigeants sévillans. Jesus ne veut même pas aborder un possible départ qui le séparerait de sa mère, « la femme la plus remarquable du monde » , et de sa grande blonde de fiancée. Comme une carrière à l’étranger est incompatible avec ses crises de panique, Séville n’a même pas besoin du coup de lui proposer une augmentation salariale. Une aubaine pour Kanouté, qui le côtoie depuis bientôt cinq ans : « Jesus est infatigable et son talent est indiscutable. Pour moi, il fait partie des meilleurs. Sans lui, le FC Séville ne serait plus le même » . Ou, si on le prend à l’envers : sans son problème psychologique et son amour pour sa mère, Jesus Navas aurait certainement quitté son club formateur depuis belle lurette pour jouer chez un très grand d’Europe…

Il y a deux ans, les dirigeants rojiblancos ont décidé de mettre des psychologues aux basques du Tanguy andalou, histoire de ne pas laisser moisir leur plus belle pépite. L’été 2007 a ainsi été un véritable calvaire pour Jesus. Pour la première fois de sa carrière, l’ailier a dû se résoudre à rester avec le reste de ses coéquipiers à Huelva (habituel lieu de concentration du FC Séville lors des avant-saisons) sans avoir la possibilité de voir sa mère et le reste de sa famille. Jusque-là, Jesus Navas faisait 200 Kms aller-retour pour venir se préparer physiquement avec ses compagnons et rentrer chez sa mère une fois l’entraînement terminé. En le séquestrant dans l’hôtel de Huelva, les psychologues du club se sont rapidement rendu compte qu’il souffrait également d’un manque alarmant de confiance en lui, outre ses crises d’angoisse habituelles.

Timide et taiseux, l’enfant bulle a fait un grand pas vers la guérison en exposant ses problèmes au deux psychiatres qui le suivent toujours quotidiennement. La maturité, Jesus Navas l’a pourtant véritablement acquise lors du départ de Daniel Alves, son meilleur confident sur et en dehors du terrain. Manolo Jimenez, l’entraîneur du Sévilla, théorise : « Daniel Alves comptait pour trois joueurs. Même si c’était un duo terrifiant, Jesus avait un peu de mal à s’exprimer à cause de l’hyperactivité de Daniel. Depuis que ce dernier est parti au Barça, Jesus a pris plus de responsabilités et il joue mieux » . Pendant longtemps, le duo Alves-Navas était d’ailleurs considéré par certains comme le meilleur côté droit d’Europe (notamment pour Deynoueix). Désormais, Navas est orphelin du Brésilien, mais continue toujours à briller, si ce n’est plus. En se séparant de son siamois, Navas s’est affirmé et beaucoup pensaient alors que ses problèmes seraient résolus. Luis Aragones était l’un de ceux-là. Juste avant l’Euro, l’ancien sélectionneur de la Roja avait inclus Jesus, sans le prévenir, dans sa liste de convocation pour des matchs amicaux préparatoires avant de rejoindre la Suisse-Autriche. Pour El Sabio de Hortaleza le but était de faire réagir Navas « Je veux qu’il dise publiquement s’il veut jouer ou non avec l’Espagne » . Bien sûr, Navas avait dit non pour la énième fois, mais s’était expliquer : « Je suis en passe d’être guéri de mes crises d’angoisse, mais il me faut encore un peu de temps. Le jour où je serai prêt, je réaliserai mon rêve de jouer pour l’Espagne » .

Avec son début de saison fracassant et une prestation magnifique contre le Real Madrid, Navas confirme qu’il est sur la voie de la guérison. En début d’année, son agent a même déclaré que son joueur était prêt à sauter le pas avec la Roja. Au lendemain de la victoire contre les Merengues, le président sévillan Del Nido s’est également enflammé sur une possible convocation de celui qu’il considère sérieusement comme « l’un des meilleurs joueurs du monde à son poste » . Le joueur a quant à lui freiné l’euphorie en expliquant qu’il n’avait pas reçu de coup de fil de Del Bosque et qu’il fallait de toute façon attendre un tout petit peu avant de gambader avec le maillot rouge sur ses épaules : « Je suis sur la bonne voie, mais il me reste encore un tout petit peu de chemin à parcourir avant d’être à 100% » .

Sa présence en coupe du monde ne dépend que de lui. Encore faut-il savoir si l’Espagne a vraiment besoin de ses services. En effet, les champions d’Europe jouent très bien sans véritables ailiers, et Iniesta, Silva, Cazorla ou Riera font déjà l’affaire pour ouvrir des espaces lorsque la Roja veut ouvrir des brèches sur les ailes, que ce soit en 4-4-2 ou 4-5-1. Pour info, Joaquin a été le dernier ailier pur à avoir joué pour la Seleccion. On souhaite à Navas qu’il ne finisse pas par synthétiser l’autre signification du joueur “con mucho arte” : le gâchis.