- Rétro 1978
- Mönchengladbach-Dortmund (12-0)
Mönchengladbach-Dortmund 1978 (12-0) : le match le plus dingue de l’histoire de la Bundesliga ?
Le 29 avril 1978, le Borussia Mönchengladbach pouvait espérer remporter la Bundesliga à la dernière journée. Il lui fallait battre Dortmund par plus de dix buts d’écart pour coiffer le FC Cologne, à égalité de points. Les Poulains de Gladbach ont failli le faire...
Il est 15h30 ce samedi 29 avril 1978 en cette 34e et dernière journée de Bundesliga. Pour le titre, les jeux sont « mathématiquement » faits. Le FC Cologne qui s’apprête juste à jouer chez le dernier et relégué Sankt Pauli devance son co-leader, le Borussia Mönchengladbach. Même si à égalité parfaite à 46 points chacun, la différence de buts confortable des Boucs du FC Köln (+40, 81-41) laisse peu d’espoirs aux Poulains de M’Gladbach (+30, 74-44). En clair, si ces derniers veulent être champions, ils doivent battre Dortmund, 11e, par plus de dix buts d’écart. « Kann Gladbach 11 Tore schiessen ? » (« Est-ce que Gladbach peut marquer 11 buts ? ») s’interroge la presse ? Impossible, pense-t-on ! Sauf que… Ce Gladbach coaché par le grand Udo Lattek y croit. « La semaine précédente, nous avions battu Hambourg 6-2, c’est pourquoi nous étions assez confiants et euphoriques, racontera l’immense buteur d’alors Jupp Heynckes. Le FC Cologne était entraîné par notre ancien coach Hennes Weisweiler, notre père spirituel. Et comme des fils révoltés, nous avions la sensation d’avoir été trahis car Hennes avait signé chez le voisin, Cologne, notre grand rival à l’époque. Bref, nous étions très motivés ! » Il faut dire qu’outre Heynckes, M’Gladbach compte dans ses rangs d’autres champions du monde 1974 allemands tels le défenseur et capitaine Berti Vogts (« der Terrier », le roquet), le gardien doublure de Maier, Wolfgang Kleff, et les milieux Herbert Wimmer et Rainer Bonhof (absent ce 29 avril 1978). Devant, le lutin supersonique danois, Allan Simonsen, a gagné le Ballon d’or 1977. Rivaux numéro 1 du grand Bayern, les Poulains dominent le foot allemand des seventies avec cinq titres de champion (1970, 1971, 1975, 1976, 1977), plus deux Coupes UEFA et une Coupe d’Allemagne. Leur style résolument offensif leur valut un surnom terrifiant, la Tor Fabrik : l’usine à buts !
« Sortez et marquez ! »
Dans le vestiaire du Rheinstadion de Düsseldorf (le Bökelbergstadion de Gladbach étant en travaux), Udo Lattek essaye d’y croire encore. Conscient que « tout est joué et que tout discours tactique est vain », il exhorte ses joueurs : « Sortez et marquez ! » Et bam ! La Fabrik entre en action au bout de 27 secondes de jeu sur une tête victorieuse de Super Jupp, qui joue son dernier match pour son club adoré : 1-0 ! Puis la machine s’emballe : 2-0 à la 12e d’une frappe du droit du même lascar ! Et coup de boule du Danois Carsten Nielsen une minute plus tard (3-0). Mais la riposte de Dortmund, coaché par Otto Rehhagel, est immédiate : une tête violente sur corner secoue la barre du grand gardien gladbacher Wolfgang Kleff. Ouf ! En cas de but, le rêve se serait définitivement envolé… À la 22e minute, Karl Del’Haye remonte tout le terrain côté droit façon Rummenigge et shoote dans la surface : 4-0 ! C’est du délire dans les tribunes. Un assistant branché à fond sur la radio communique une sale nouvelle à son boss Lattek : Heinz Flohe vient de marquer pour Cologne au Sankt Pauli de Hambourg. Scheisse ! Heynckes, lui, ignore tout ça et pousse derrière la ligne un centre à la 32e : 5-0 ! À la 38e minute, son vieux compère Wimmer, qui arrêtera aussi sa carrière après le match, marque de près, face au gardien, dans le petit filet opposé : 6-0 à la pause ! La TV allemande filme au même moment les rues de Mönchengladbach désertées par leurs habitants, accros à ce match de dingue. Les hommes d’Udo Lattek ont quasiment refait la moitié de leur retard sur les Boucs qui mènent toujours 1-0. Là-bas, à Hambourg, les gars de Cologne, abasourdis par le 6-0 à Düsseldorf, s’inquiètent soudainement.
À cet instant précis, la différence de buts des Poulains est de +36, celle de Cologne est de +41 : plus que six buts pour passer devant. Otto Rehhagel réclame aux joueurs du BvB au fond du trou de montrer un peu d’honneur et propose à son gardien, le pauvre Peter Endrulat, de laisser sa place. Refus ! En fin de contrat, persuadé que l’hémorragie du score sera jugulée en seconde mi-temps, il veut démontrer qu’il a le niveau Bundesliga et reste à son poste. Alors que le jeu a repris, Otto pense à faire entrer son attaquant-star Siggi Held : « Il y avait 6-0, nous n’avions aucune chance contre ces Gladbacher. J’ai regardé Otto :« Je dois encore renverser le score ? »Otto a compris : « Tu as raison, rassieds-toi. » » À la 59e minute, Jupp Heynckes marque de la tête (7-0), puis à la 61e, patate du gauche de Nielsen (8-0), et à la 66e, but de renard de Del’Haye : 9-0 ! Pourtant sur le banc, la nervosité agite son coéquipier Rainer Bonhof : Cologne mènerait 3-0 à Hambourg… « Sur le banc, tout le monde se demandait combien de buts on devait encore marquer pour enlever le titre à Cologne, racontera Heynckes. À 9-0, ils nous sont dit :« Encore trois ! » Je leur ai répondu : « Mais vous êtes dingues ? » »
La Fédé allemande enquête…
Jupp repart et signe d’une volée un quintuplé à la 77e minute (10-0), puis Lienen plante à son tour à la 87e (11-0). Wolfgang Kleff sauve encore les Gladbacher d’une superbe parade à bout portant. À la 90e, Kulik achève Dortmund d’une mine à ras de terre juste avant la fin : 12-0 au tableau d’affichage ! Tout simplement inouï. Un score record en Bundesliga… Contrat rempli, mais en vain : Cologne a bien coulé Sankt Pauli 5-0 en marquant dans la dernière demi-heure. Le club d’Harald Schumacher remporte le titre pour trois petits buts (+45, 86-41 pour les Boucs et +42, 86-44 pour les Fohlen). Udo Lattek s’en va rejoindre ses gars sur la pelouse. Il est livide, abattu. Il avait fini par y croire… Le retour en bus à Mönchengladbach dans des rues envahies de supporters consolera la bande de Berti Vogts. Accablé, Wolfgang Kleff ressassera l’incroyable final perdu sur le fil : « Mais quels trois buts aurais-je pu éviter cette saison ? » Peut-être les trois qui ont fait la différence lors d’une défaite à domicile ? Un 5-2 bien tassé. Contre le FC Cologne… Herbert Wimmer déclarera plus tard avoir été « heureux que notre club n’ait pas été sacré cette saison-là. Parce qu’il y aurait eu des soupçons innombrables de match arrangé. » Car du côté du FC Köln, le scepticisme accusatoire à l’annonce de ce 12-0 avait un temps plané à Sankt Pauli, Toni Schumacher confiant ainsi son « dégoût à propos de la piètre prestation de Dortmund ». Le Borussia Dortmund vira Otto Rehhagel, en poste depuis 1976, dès le lendemain de l’humiliation de Düsseldorf et sanctionnera ses joueurs d’une amende de 2500 Deutsche Mark. Suspicieuse, la DFB – la fédé allemande – enquêtera sur les soupçons de match truqué en auditionnant les joueurs de Dortmund. Le témoignage très fataliste d’Amand Theis (« À la fin de la rencontre, chaque frappe de l’adversaire était un but, nous avions tout simplement lâché ») exonérera les joueurs du BvB de toute culpabilité, sous forme d’un simple blâme pour « comportement antisportif » . On ne badine pas avec la Disziplin !
Par Chérif Ghemmour