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Monaco : Y a d’la joie
Étouffée par ses problèmes et l'excitation européenne entourant le PSG et l'OL, l'AS Monaco a du pain sur la planche pour espérer susciter l'enthousiasme. Mais elle doit pourtant s'efforcer à ramasser ses miettes de bonheur. Y compris ce soir à Madrid pour son dernier déplacement européen de la saison.
Samedi soir, dans la grisaille normande, l’euphorie a conquis les visiteurs le temps d’un instant. Il fallait un homme pour s’emparer enfin du canon qui chasse les nuages. Il n’en reste plus beaucoup dans l’effectif monégasque, malmené par les défaillances physiques et mentales et qui ressemble toujours un peu plus à une colo de Youth League. Radamel Falcao n’a plus rien d’un prédateur. Il a traîné laborieusement son corps éreinté à D’Ornano comme il le fait sur chaque pelouse de France depuis des mois maintenant. Mais c’est encore un homme qui fait face. Alors, il a soigneusement déposé son ballon à un petit mètre de la surface, s’est concentré comme si sa vie en dépendait et a enfin trouvé ces filets qui le fuient toujours un peu plus. Et l’homme a pu laisser place à l’enfant, empli d’une joie pure comme s’il venait de marquer en quarts de finale de Ligue des champions, comme s’il venait de planter dans une cour de récré. Tous ses copains l’ont alors entouré et ils ont célébré comme rarement on célèbre.
La dernière et seule fois que le Tigre avait inscrit un coup franc sous le maillot monégasque, c’était en avril 2017, contre Dijon. Il en avait d’ailleurs quasiment inscrit deux ce jour-là pour renverser presque à lui seul l’un des derniers obstacles séparant le club de la Principauté d’un titre qui cristallise encore les souvenirs. Aussi paradoxal que cela puisse être, si le bonheur était mesurable, sans doute que la différence d’intensité entre les deux événements serait minime. À chaque saison son Everest. Celui de l’ASM version 2018-2019 était tout simplement de réapprendre à gagner un match. Et il commençait à paraître aussi infranchissable que celui de gagner un titre face au PSG. Dieu soit loué, grâce au « seigneur Jésus » (dixit Falcao) et sans doute un brin grâce à l’attaquant colombien, Monaco a conquis son Everest du moment.
Réapprendre à jouir autrement
« Je demande aux jeunes joueurs de prendre du plaisir, on aime tous jouer. Ils ne sont pas dans un rêve ici, c’est la réalité. Aucun problème pour moi d’aligner de jeunes joueurs, ce n’est peut-être pas l’idéal pour eux, mais il faut bien commencer un jour. Cela met en plus en valeur la qualité de l’Academy de l’AS Monaco. » Ce mardi, Thierry Henry n’a pas exprimé autre chose qu’un retour aux plaisirs simples. La réalité, c’est aussi que cet Atlético-Monaco n’aura pas la saveur d’un match de Coupe d’Europe. Alors, il faut ramasser l’enthousiasme, l’arracher à sa propre résignation. Cette boule au ventre qui s’amplifie heure après heure les jours de grand frisson, les supporters de l’ASM n’y auront pas droit.
Mais nul doute qu’elle sera bien présente ce soir chez quelques Monégasques, de ce grand enfant de Falcao qui rembobinera un morceau de vie à ces futurs hommes que sont Badiashile, Massengo ou Silva. C’est l’essentiel. Les sombres coulisses peuvent bien subir le feu des projecteurs, inciter certains à hurler que les sauveurs sont des fossoyeurs, rien ne peut éteindre la lumière du terrain, car c’est le seul vecteur d’émotions véritables. Mais délestée du poids à la fois excitant et contraignant des ambitions, l’ASM doit réapprendre à jouir autrement. En souffrant ensemble, en se découvrant de nouvelles espérances, de nouveaux visages.
Sous les cendres, la braise
Il y a plus à prendre et à apprendre de cette saison chaotique que de la précédente qui n’aura finalement servi à rien, qui n’était qu’une saison à points traversée par deux ou trois frémissements. La baraque tenait debout grâce à ses fondations, mais on n’y vivait déjà plus, il ne s’y passait rien. Elle s’est effondrée depuis, sans qu’il faille le vivre comme un drame, tant qu’il est permis de croire que quelque chose sera rebâti par-dessus. Les premiers pas d’Henry, son désir à la fois réel et contraint de puiser dans le centre de formation et ses idées de jeu qui se dévoilent fébrilement laissent poindre un horizon très incertain, jonché de problèmes, mais un horizon tout de même. C’est tout ce qui compte pour un club, même au fond du trou : avoir des perspectives.
Celles de l’ASM ne sont pas les plus excitantes, mais elles le sont au moins tout autant que celles d’une bonne quinzaine de clubs de Ligue 1. Apprécier rencontre après rencontre l’élégance de Sofiane Diop, l’étonnante maturité de Benoît Badiashile, l’envie bordélique de Moussa Sylla, l’altruisme d’Aleksandr Golovin, la rage intacte de Radamel Falcao et voir naître, peut-être, un collectif laborieux qui sortira grandi de cette saison en enfer, ça a aussi son charme. Il faut en tout cas s’efforcer d’y chercher du charme. Car si la réalité broie chaque jour un peu plus le rêve, que la colère et le dépit ne sont jamais bien loin, il n’est pas interdit de fermer les yeux un instant et de garder sa candeur d’enfant, le temps d’une parenthèse étoilée ou d’un coup franc.
Par Chris Diamantaire