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- Interview Jacques Abardonado
« Mon père voulait que je sois musicien ou footballeur »
« Mouiller le maillot », sa devise. Sur le terrain, on reconnaissait Pancho le Gitan à son engagement, sa hargne et ses cheveux longs. Aujourd'hui retraité, l'ancien défenseur s'occupe de la réserve de l'OM. Retour sur un destin atypique.
D’où vient le surnom Pancho ?Mon père me l’a donné à la naissance pour faire plaisir à mon grand-père qui s’appelait lui aussi Pancho. Pour l’anecdote, mon père a joué en CFA à l’OM.
Parle-moi de tes origines gitanes.Nous sommes des Gitans espagnols. Cette culture m’a aidé à me forger une personnalité, un caractère, une identité. On est une famille de battants, qui ne lâchent rien. La vie n’était pas rose tous les jours, donc on devait être soudé. Mes grands-parents ont souffert lorsqu’ils sont arrivés à Marseille. Ces origines, cette culture nous ont permis de surmonter pas mal d’épreuves. Mon grand-père est né à Valence, il est arrivé à 12 ans à Marseille. C’est aussi ici que sont nés mes parents, que je suis né et que mes enfants sont nés.
Quelles épreuves avez-vous traversées ?Lorsque j’habitais à la Castellane, mon papa n’avait pas de quoi payer l’essence pour nous amener mes frères et moi à l’entraînement à Endoume, notre premier club.
Mais il voulait à tout prix que j’y aille. Son objectif, c’était que je devienne footballeur professionnel. Il m’a mis dans les meilleurs conditions pour que je puisse réussir. Les voisins lui prêtaient de l’argent pour mettre de l’essence dans la voiture. Ces mêmes voisins m’ont vu démarrer en pro à l’OM quelques années plus tard. Lorsqu’ils me demandaient des maillots, des survêtements du club, je leur donnais en double. Je devais les remercier pour ce qu’ils ont fait pour mes parents et pour moi.
Ton père était un ancien joueur, il voulait que tu deviennes pro, la situation économique de la famille était difficile. Tu n’avais pas trop de pression ?Oui, j’avais beaucoup de pression. Mon père a souffert étant petit. Il passait de boulot en boulot. Quand j’avais 9, 10 ans, il voulait qu’on réussisse, il ne nous a pas laissé le choix. Il nous a attrapés, nous ses trois fils, pour nous dire : « Vous deviendrez musiciens ou footballeurs. » Nous avons pris ça à la rigolade, mais lui ne plaisantait pas. Nous, on voulait s’amuser, sortir, mais lui ne l’acceptait pas. Mes deux grands frères ont réussi dans la musique. L’un a son studio à Marseille. L’autre est le guitariste de Kendji Girac. Ce fut un aboutissement pour mon père. Il était tout le temps derrière nous, ne voulait pas qu’on se relâche. À la base, mes frères étaient footeux, mais ils sortaient avec les copains, rentraient au petit matin. Mon père leur a dit : « Maintenant, vous allez arrêter de me prendre pour un con. Le football c’est fini, vous vous consacrez à la musique. » Une fois au centre de formation de l’OM, j’ai été encadré par une structure, mais jusqu’à l’âge de 15 ans, c’est mon père qui nous a tenus. Un jour, il m’avait acheté un scooter pour me récompenser. Mais il a appris que j’ai loupé un entraînement. Quand je suis rentré à la maison, il l’a cassé. Il m’a dit : « Soit tu te remets au boulot, soit tu ne sors plus de la maison à part pour aller à l’école. »
Comment définirais-tu le lien que tu avais avec ton père ?Professionnel ! On rigolait très peu, voire jamais avec lui. Il était très sévère avec nous. Il voulait qu’on réussisse. Il nous avait inculqué ça. Il avait eu une expérience de la vie qui n’avait pas été très bonne, il a beaucoup galéré. Il ne voulait pas qu’on soit comme lui. Mon père incarnait le respect. Il me disait toujours : « Si tu veux qu’on te respecte, respecte les autres. »
C’était quoi ton style de jeu ?J’étais un défenseur central, mais j’ai aussi joué arrière droit à mes débuts à l’OM sous l’ère Courbis. J’étais un garçon qui ne lâchait rien. L’entraînement, c’était déjà le combat. Les anciens me disaient toujours : « Tu joues comme tu t’entraînes. » Que ce soit une opposition, un tennis ballon ou un toro, c’était la compétition. C’est ce que j’essaie d’inculquer aux jeunes de l’OM.
Raconte-moi ton début de carrière.
J’ai démarré à Endoume, un club extraordinaire, familial, qui savait dans quelle situation on était. Ils ne nous faisaient pas payer les licences. Ils voyaient qu’on était à l’agonie. Ils nous ont offert les équipements, les chaussures, mon papa ne pouvait pas m’en payer. Je remercie Francis Di Giovanni, les Barbarisi, Hamed Baïla, Jean-Luc Cassini, Gérard Filippi, Paul Visiano, Fernand Aureil, Robert Lubrano. Ce sont des gens qui travaillaient pour le club et auxquels je me suis identifié. Je les cite parce qu’ils m’ont inculqué des valeurs, la gagne, la rage de vaincre.
Comment es-tu arrivé à l’OM ?C’était Jean Castaneda. Il venait régulièrement nous superviser. Cette année-là, trois joueurs d’Endoume ont signé à l’OM : Laurent Spinosi, Didier Wacouboué et moi. Les deux premiers, c’était pour jouer avec les pros. Moi, c’était pour intégrer le centre de formation.
Que retiens-tu de ton parcours à Marseille ?J’y suis entré à l’âge de 15 ans, j’ai fait toutes les catégories jusqu’en pro. J’ai commencé à m’entraîner régulièrement avec les pros à 18 ans. L’année suivante, j’étais capitaine de la CFA. Puis le coach Courbis a commencé à me lancer en équipe première. J’étais de la campagne jusqu’en finale de la Coupe UEFA contre Parme, on finit vice-champions de France également. C’était extraordinaire. Courbis m’a fait signer mon premier contrat pro. Et puis il est parti de l’OM, remplacé par M. Casoni, j’ai commencé à être titulaire. J’ai fait trois ans en équipe première.
Quel est ton meilleur souvenir ?La première fois que j’ai foulé la pelouse du stade Vélodrome. C’était contre Le Havre. Mes parents étaient à la maison.
Le match était télévisé. J’entre à 10 minutes de la fin en tant que latéral droit. J’avais l’impression de porter tous les supporters et Marseille sur mon dos. Je suis marseillais né à Marseille et je sais que tous les supporters sont derrière moi. En fait, j’avais tout faux, j’étais un joueur comme un autre, je voulais apporter ma pierre à l’édifice, jouer ma partition comme m’a dit le coach. Certains membres de ma famille étaient au stade, tous mes amis du centre de formation étaient là, mes anciens coachs aussi… je ne pouvais pas les décevoir. Il fallait que j’entre, et que j’arrache tout ce que je vois.
Ton papa a dit quelque chose ?Rien, rien. À la fin des matchs et jusqu’à la fin de ma carrière, je n’appelais pas mon père, j’appelais ma mère. J’avais peur de ses réflexions et même jusqu’à présent. Lors de ma dernière année à Valenciennes, j’appelais ma mère, je lui demandais : « Alors, comment m’a-t-il trouvé ? » Elle aussi se cachait, elle avait peur, elle me disait : « Mon fils, tu as fait un bon match, ton père est content de toi. » Quand mon père était à côté, il disait : « Ça va, il peut mieux faire ! »
Pourquoi es-tu parti à Lorient ?Il fallait que je gagne du temps de jeu. Je sortais de plusieurs mois titulaire. Le nouveau coach était arrivé, il me disait que je risquais d’être le deuxième ou troisième choix : « Pancho, tu ne dois pas perdre ce que tu as gagné. Il faut que tu joues régulièrement. » On m’a proposé Galatasaray, le Servette de Genève, mais j’avais 20 ans, j’avais peur, je n’étais pas encore sorti de Marseille. Ma fiancée, qui est aujourd’hui ma femme, je lui disais : « Mais qu’est-ce que je vais faire tout seul, là-bas, à Istanbul ? Le Servette de Geneve, OK, c’est la Suisse, c’est juste à côté, ça parle français » , mais j’avais peur. Alors l’OM a proposé de me prêter. En plus, financièrement, c’était intéressant. Mais moi, à 20 ans, je ne regardais pas l’argent, je voulais jouer le plus de matchs pour être récompensé par la suite. J’ai eu une proposition de Lorient. Le coach, Angel Marcos, m’avait appelé pour leur filer un coup de main. Je lui ai dit : « Coach, si je viens, il faut que je joue. » Il m’a répondu : « Je ne peux pas t’assurer une place de titulaire. Si tu es bon, tu joues. » Ça s’est bien passé, j’ai joué tous mes matchs titulaire. J’ai fini par être capitaine de l’équipe.
Avant de signer à Lorient, tu as demandé à ton père ?Oui. Je lui ai expliqué la situation. Il m’a dit : « Mon fils, tu es trop jeune pour partir à l’étranger. Reste en France. Tu dois encore faire tes armes. À 27, 28 ans, tu seras un garçon mûr. Mais c’est toi qui décides, tu es assez grand. »
Au sujet de Lorient, il m’a dit : « Il faut que tu fonces, c’est une équipe qui joue au football, en Ligue 1 comme Marseille. Maintenant, c’est à toi de confirmer ce que les gens pensent de toi. » À Lorient, on avait une équipe fantastique avec Darcheville, Feindouno, Keita… Cette année-là, on a remporté la Coupe de France.
En 2002, tu signes à Nice…(Il coupe) Avant Nice, je suis revenu à Marseille avec un bagage de 34-35 matchs en tant que titulaire. M. Perrin, l’entraîneur de l’époque, me reçoit et me dit : « Pancho, tu as fait une très belle saison à Lorient, tu étais titulaire, mais maintenant, il faut que tu joues, il ne faut pas que tu reviennes à Marseille pour être une doublure. Si celui qui est devant toi est meilleur, je vais le faire jouer et tu auras perdu tout le bénéfice de ta dernière année. » Il a été super correct avec moi. Ensuite, le coach Gernot Rohr m’a appelé : « Pancho, j’ai besoin d’un garçon comme toi à Nice. » J’appréhendais parce que Jean-Christophe Marquet est passé la-bas et je savais que les Niçois n’étaient pas tendres avec les Marseillais. Mais il fallait que j’y aille. Je n’avais pas le choix, aucun autre club ne s’était manifesté. Et puis je me suis dit : « Il faut que je fonce, je dois m’imposer dans ce club. » Cela a été six années extraordinaires.
Peux-tu m’expliquer la rivalité entre Marseille et Nice ?Ce sont deux clubs du Sud avec deux caractères extraordinairement forts. Nice est un vrai club de foot avec une forte identité. Marseille, je ne vais pas vous le décrire. Ça faisait un gros derby, des matchs électriques. On sentait la pression.
Les supporters marseillais ne t’en ont pas voulu de partir ?Non. À l’époque, Lionel Tonini m’a demandé pourquoi Nice. J’ai répondu : « Si je joue en CFA, je vais mourir. Je ne suis heureux que sur le terrain. » Il m’a dit : « On te comprend, on t’aime et on t’aimera toujours et lorsque tu finiras ta carrière, tu reviendras au club. »
Propos recueillis par Flavien Bories