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Mon nom est long, très long

Par Arthur Jeanne, à Llanfairpwll
Mon nom est long, très long

À la base, un bled paumé au fin fond du pays de Galles. Sauf que ce bled porte le nom le plus long du monde, et que c'est un sacré argument marketing pour vanter le football local. C'est en tout cas ce que croient quelques joueurs du coin, qui ont décidé de transformer leur équipe de bras cassés en club de foot le plus hype du globe. Idée lumineuse ou projet voué à l'échec ? Reportage sur place, entre lampées de bière et grottes rouges introuvables.

Pour venir jusqu’ici, il faut prendre un avion pour Manchester, sauter dans un train à destination de Chester, puis emprunter un autre tortillard qui chemine sur les rivages accidentés du Nord du pays de Galles. Au bout d’un trajet interminable, le panneau de la gare indique qu’on est enfin arrivé à destination : Llanfairpwllgwyngyllgogerychwyrndrobwllllantysiliogogogoch. Soit, en version française : « L’église de Sainte-Marie dans le creux du noisetier blanc près d’un tourbillon rapide et l’église de Saint-Tysilio près de la grotte rouge » . Cinquante-huit lettres qui nécessitent au moins dix secondes d’épellation et qui ont permis à la ville galloise – communément appelée Llanfairpwll – de figurer au Guinness book des records, catégorie « plus long nom de localité du monde » . Le sobriquet fut inventé de toute pièce au XIXe siècle par un tailleur local pour sortir l’endroit de sa torpeur. Coup marketing génial. Grace à cela, plus d’un siècle plus tard, le village de 3 000 âmes reçoit chaque été des cars de touristes qui s’arrêtent quelques instants sur la route des plages voisines, le temps de prendre des photos devant le panneau indiquant le nom du bled et d’acheter un cendrier à son effigie. Et coup marketing d’autant plus génial qu’il n’existe en vérité aucune grotte rouge à Llanfairpwll. Quant au tourbillon rapide, personne ne sait où diable il a bien pu passer. En vrai, il n’y a pas grand-chose à voir à Llanfairpwll. Une rue principale, un fish and chips, deux pubs, quelques boutiques un peu défraîchies. Et une équipe de football connue mondialement.

Une entrecôte-frites et des faux Brésiliens

L’affaire a démarré en novembre 2012, quand la télévision brésilienne est venue consacrer un sujet au club local dans le cadre de son programme Futebol no Mundo. Steve Smith, un Mancunien qui joue à Llanfairpwll depuis 13 ans, n’en est toujours pas revenu : « Quand j’ai vu ça, je ne pouvais pas y croire. Je veux dire, on est un club de cinquième division ! » , hallucine-t-il encore. Pas né de la dernière pluie, Steve Smith comprend pourtant que ce coup de projecteur est une aubaine sans pareille pour son équipe. Il envoie un maillot à Gustavo Hofman, le journaliste d’ESPN qui a réalisé le reportage. Belle intuition : Hofman se prend en photo avec le maillot et l’affiche sur son profil Twitter. « Ce type a 18 000 abonnés ! » , se réjouit Samantha Jones tandis qu’elle dévore une entrecôte. Samantha est la copine de Steve. Quand elle ne fait pas l’opératrice dans un call center à Bangor, la grande ville locale, Samantha aide son boyfriend dans sa quête. « De mon côté, j’ai envoyé un maillot à Adam Richman, le présentateur deMan VS Food, un mec que j’adore. J’espère qu’il le portera lors d’une de ses émissions » , explique-t-elle en repoussant ses champignons sur la nappe – avec sa viande, Sam ne souhaitait pas de légumes, mais que des frites. En tout cas, le plan de communication du couple semble fonctionner. « J’ai déjà vendu trois maillots du club à des fans brésiliens, un en Argentine et un au Chili. Et pas plus tard qu’aujourd’hui, j’ai reçu des mails d’Espagne et de Belgique » , sourit Steve en dévoilant ses petites dents.

Parmi ces nouveaux supporters, Talisson Ferreira, un Brésilien de 19 ans. Un adolescent soutenant une équipe de cinquième division galloise sans jamais avoir mis les pieds au Royaume-Uni est forcément un type étrange. Pourtant, Talisson explique sa passion le plus naturellement du monde : « J’ai toujours adoré le football alternatif, et après le reportage de Gustavo Hofman, je me suis intéressé à l’histoire du club et à tous les résultats incroyables qu’ils ont réussi à avoir jusqu’à maintenant » , soutient-il, même si les chiffres, têtus, indiquent que Llanfairpwll n’a jamais fait mieux qu’une participation à la troisième division galloise. Qu’importe, Talisson a même mis la main à la pâte pour aider le village : « J’aime tellement ce club que je suis tous ses résultats. Je traduis même les comptes-rendus des matchs en portugais sur le site officiel du club » , poursuit celui dont le rêve est de venir un jour à Llanfairpwll. Rich Owen, attaquant du club, avoue avoir parfois du mal à comprendre la folie douce de ce fan des antipodes : « Ce mec est complètement cinglé. Après un match où j’avais mis trois buts, il a posté sur Facebook :« Rich Owen est le nouvel Éric Cantona. » Alors qu’il ne m’a jamais vu jouer ! » Encore plus fou : Steve Smith, qui est aussi community manager du club à ses heures perdues, s’est récemment mis à recevoir des… CV en provenance d’Amérique du Sud. « Plusieurs footballeurs professionnels brésiliens m’ont contacté et ont proposé de jouer pour Llanfairpwl. Je leur ai répondu de venir faire un essai au club, mais les mecs voulaient qu’on leur paye leur billet d’avion. En fait, je pense qu’ils voulaient juste jouer sur notre naïveté et venir en Europe gratuitement. Je ne sais même pas s’ils étaient footballeurs » , explique-t-il. Leandro Pedrini est l’un de ces charlatans. Contacté sur ses envies de pays de Galles, il confirme malgré lui les doutes de Steve : « Je veux vraiment aider ce club, mais ils n’ont pas les moyens de me payer le billet. Vous ne pouvez pas m’aider, vous ? »

À la mémoire de Gary Speed

Si elles enthousiasment Steve Smith et sa copine, ces histoires de connexion Brésil-Pays de Galles font à peine lever le sourcil des autres habitants de Llanfairpwll. « Le club fête ses 115 ans et il a toujours eu le même nom sans que personne n’en ait rien à foutre » , Lappe Gareth, l’ancien manager du FC Llanfairpwll, solidement accoudé au bar du Penrhos Arms. En réalité, le quotidien du club est beaucoup moins glamour que la télévision brésilienne n’a pu le laisser supposer. Faux airs de Gérard Houllier, Alun Mummery occupe le poste de councellor du village et, surtout, celui de secrétaire général du Llanfairpwll F.C. Tous les week-ends, il circule entre les tables du Penrhos Arms en demandant 1 pound à tout le monde. Une dîme qui est aussi une loterie. Le gagnant de la tombola gagne une cuisse de bœuf. L’argent, quant à lui, file dans les poches du club. « Pour acheter les arbitres » , se marre Mummery. À 73 ans dont 50 passés au club, Mummery est la mémoire vivante de Llanfairpwll. Pas besoin de le lancer pour qu’il revienne de lui-même sur les heures de gloire du club : « En 1988, en Coupe du pays de Galles, on n’a perdu que 1-0 contre Shrewsbury ! Et c’est David Moyes, qui avait marqué. » En attendant le retour des grandes heures, Alun Mummery souligne les vertus familiales de l’équipe : « Tout le village est derrière le club ! La preuve, c’est que tous les week-ends, je réussis à récolter pas mal d’argent pour l’équipe. »

Une version nuancée par Aluwyn, professeur de gallois venu boire un verre dans le pub avec la chorale du village : « Mummery, on lui file 1 pound pour qu’il nous foute la paix et qu’on puisse boire nos Guinness tranquilles. Le club de foot ? En vérité, tout le monde s’en fout un peu. » Même si 75% de la population locale s’exprime en gallois, personne ici ne s’enflamme non plus pour les autres clubs du pays. « Cardiff en Premier League, franchement on s’en fout. Les bons résultats de Swansea, pareil. De toute façon là-bas, au sud, personne ne parle gallois ! » affirme Rhys, tatouage Cymru fièrement arboré sur l’avant-bras. En fait, Llanfairpwll vibre surtout pour les clubs du Nord de l’Angleterre. « Tout le monde ici supporte Liverpool ou United. Ou à la rigueur Everton » , affirme Gethin, de la mousse de Guinness sur la moustache. Raison : les racines ouvrières, prolétaires et authentiques de ces clubs. « Personne dans cette ville ne supportera jamais City ou ce PSG qui achète Beckham pour vendre des maillots. Récemment, on a joué en coupe contre une équipe placée une division au-dessus de nous, qui payait son meilleur joueur 200 pounds la semaine. Ils nous ont battus seulement 2-1. La honte pour eux » , illustre Steve. Un symbole : l’idole à Llanfairpwll ne s’appelle pas Gareth Bale, le golden boy gallois à la mode, mais Gary Speed, l’icône discrète, disparu il y a deux ans. « Son suicide a été l’un des moments les plus tristes de ma vie. J’ai pleuré. Tout le monde était au Penrhos Arms devant Sky Sports, mais personne ne comprenait » , affirme Sam, les yeux soudain tristes.

Autre symbole : située à l’entrée de la presqu’île d’Anglesey, reliée au continent par deux ponts, Llanfairpwll est un point de passage obligé pour les Irlandais qui arrivent en Grande-Bretagne par ferry. Toutes les deux semaines, les supporters verts de Liverpool venus en pèlerinage à Anfield font donc une halte au Penrhos Arms sur la route du retour. Un « jumelage » un peu emmerdant pour Alun Mummery – « Comment on peut lutter contre Liverpool ? Même mon fils est pour eux, s’ils jouent un samedi après-midi, personne ne viendra au stade pour voir Llanfairpwll » -, mais fécond pour Simon, le gérant du pub : « C’est la merde dans leur pays, ils n’ont pas beaucoup d’argent, mais quand ils passent ici en rentrant, ils viennent boire des pintes, et pas juste une ou deux. Et il n’y a jamais de bagarre, c’est ça qui est bien avec les Irlandais ! »

Un voyage à Blackpool et une dernière pinte

Ce week-end de printemps, avant que les gens de Dublin n’arrivent, Llanfairpwll a un match important à jouer. Proche de la montée en quatrième division, le club doit gagner. Pour la réception de Greenfield, une cinquantaine de locaux – plus grosse affluence de la division – a fait l’aller-retour entre le pub et Maes Ellian, le stade champêtre. Mais pas Gareth : « Je peux pas y aller mec, j’ai bowling cet après-midi » , dit-il en trempant le museau dans le houblon. Les autres piliers de bar, eux, sont au rendez-vous, sous un soleil inhabituel. Le board du club – 70 ans de moyenne d’âge – est là aussi, péniblement soutenu par la rambarde qui borde le terrain. Sur le pré, les coéquipiers de Steve Smith affrontent Greenfield à coups de longs ballons aériens. Combats, ennui. Seule l’entrée en jeu d’Arwyn Owen secoue le public. Dans chaque patelin perdu, il existe un joueur frisson vendu par tous comme une future star. Arwyn, 21 ans, est, ici, ce joueur. Surnommé Messi par ses potes en raison de ses cheveux longs et de sa silhouette frêle, le gamin réveille son équipe, qui finit par s’imposer 1-0, et part fêter la chose au Penrhos Arms.

Très vite, les conversations dérapent sur les beuveries passées : « Tous les ans, pour fêter la fin de saison, on fait un voyage à Blackpool. Lors de notre dernière virée, on a été en boîte et le manager assistant a fini à poil sur scène devant 400 personnes. C’était génial parce qu’il n’est pas vraiment mince. Disons qu’à côté de lui, Wayne Rooney, c’est Brad Pitt » , dévoile Rich, hilare. Une fois leurs verres vides, la plupart retournent vaquer à leurs occupations. Les plus jeunes, eux, ne sont même pas venus. En sortant des vestiaires en Algeco, ils ont directement grimpé dans leur Vauxhall et ont filé à Liverpool pour une bonne saoulerie entre lads, loin du pub propret. Une absence qui rend Steve, 31 balais au compteur, un peu chafouin : « La plupart des mecs ont 21, 22 ans. Pour eux, le club, c’est juste un passe-temps. Parfois, je voudrais que mes coéquipiers en fassent plus, mais bon quand j’avais leur âge, j’étais sans doute pareil. » En attendant que ses partenaires grandissent, le milieu de terrain joue tranquillement aux fléchettes avec son pote Phil. Il enquille les pintes et dévoile ses prochains projets de développement pour Llanfairpwll, quand la hype Brésil sera redescendue. « J’aimerais créer un partenariat avec le magasin de souvenirs du coin pour vendre des écharpes et des pin’s à l’effigie du club. Et j’ai aussi décidé de vendre les programmes des matchs des années précédentes sur eBay pour que nos fans puissent les acheter » , dit-il. Moins versé dans les nouvelles technologies, Alun Mummery lui aussi poursuit sa mission. Au Tafarn Ty Gwynn, le second pub du village, le secrétaire général interrompt le show d’une Yvette Horner locale pour annoncer les résultats de sa loterie. Dans la salle, les dames continuent de siroter leur cherry malgré ses efforts. Le vainqueur n’est pas là, mais Mummery cabotine : « C’est parce qu’il a voté pour moi qu’il a gagné » , fanfaronne celui qui est actuellement en pleine campagne électorale.

1h du matin. Simon, le taulier, dissuade les derniers clients de commander une énième pinte et ferme le Penrhos Arms. Après quoi l’église de Sainte-Marie dans le creux du noisetier blanc près d’un tourbillon rapide et l’église de Saint-Tysilio près de la grotte rouge retombe dans sa torpeur. Loin des lumières de Copacabana.

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« Les traditions ne sont pas une raison pour ne pas arrêter les chants homophobes »
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