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Mokhtar Dahari, légende du foot malaisien
164e au classement FIFA, derrière des nations comme le Kosovo ou Saint-Vincent-et-les-Grenadines, la Malaisie a, un jour, compté dans ses rangs un joueur largement au-dessus du lot, un certain Mokhtar Dahari. C'était dans les années 70.
Le match amical, qui se dispute ce lundi matin (8h heure française) entre la Malaisie et la Papouasie-Nouvelle-Guinée, ne fait pas franchement saliver. Le 164e du classement FIFA face au 159e. Aucun joueur connu, ni d’un côté ni de l’autre. Ces deux nations semblent même n’avoir jamais existé dans le panorama du foot mondial. Faux ! Pendant un bref laps de temps, dans les années 70, la Malaisie a tenté de prouver au monde qu’elle pouvait faire entendre sa voix. Et elle l’a fait par l’intermédiaire d’un homme, qui a porté l’équipe sur ses frêles épaules. Mokhtar Dahari. Si ce nom est étranger à 99% des observateurs de foot, le bonhomme est pourtant le plus grand joueur de l’histoire du football malaisien. Une histoire belle, excitante, mais aussi dramatique.
Boulot l’aprèm, foot le soir
Elle débute donc en Malaisie dans les années 50. À Setapak, un 13 novembre 1953, très précisément. Aminah Binti Sharikan et Abeng Dahari, un jeune couple à peine marié, donnent naissance à leur premier enfant, Mokhtar. Abeng est conducteur de camions. Il gagne mal sa vie, mais veut offrir un bel avenir à son fils. Alors, en 1964, la petite famille déménage à Kampung Pandan, pour que Mokhtar puisse aller à l’école à Kuala Lumpur. Le gamin est plutôt bon élève, mais semble toutefois plus intéressé par le sport que par ses cahiers. Il s’essaie au badminton, au sepak takraw (un sport d’équipe proche du volleyball), au hockey. Mais c’est finalement le football qui va le conquérir. Son papa décide donc de l’inscrire au Selangor FA, le club local. Il débute dans l’équipe des jeunes, avec laquelle il va remporter la Burnley Youth Cup, puis est rapidement surclassé. À dix-sept ans, il se retrouve en équipe première, et son coach confie à papa Dahari qu’il n’a « jamais vu un joueur avec autant de talent dans les pieds » .
Pour rapporter un peu d’argent au foyer, Mokhtar le moustachu travaille l’après-midi dans une entreprise de développement (PKNS), et se rend aux entraînements le soir. Parallèlement, il commence à être reconnu comme le meilleur joueur de foot de son pays. Avec son club de Selangor FA, il remporte plusieurs fois la Coupe de Malaisie et marque des buts à la pelle. Pour les fans, il est désormais « Supermokh » . Fait inimaginable à l’époque pour un joueur malaisien, son nom va même résonner jusqu’en Amérique du Sud et en Europe, notamment après qu’il a été convoqué en équipe nationale malaisienne.
À un point d’une qualif’ pour le Mondial 74
Ses débuts en sélection, en 1972, correspondent d’ailleurs à la seule période durant laquelle la Malaisie va faire parler d’elle en foot. Cette année-là, elle dispute les JO de Munich. Après avoir perdu contre la RFA, elle flanque une fessée aux USA, 3-0, avec deux buts de Dahari. L’aventure s’arrête toutefois au premier tour. Quelques semaines plus tard, la Malaisie participe pour la première fois aux éliminatoires du Mondial 74. Dahari porte les espoirs du pays et est tout près de réaliser l’impossible. Quasiment à lui seul, il bat la Thaïlande, fait chuter le Japon (ce qui n’était jamais arrivé auparavant) et tient en respect la Corée du Sud. Regrets éternels : malgré ces excellents résultats, la Malaisie manque les barrages pour un misérable point.
Malgré la déception, Mokhtar Dahari continue son petit bonhomme de chemin. En 1975, une équipe composée des onze meilleurs joueurs du championnat malaisien se rend à Londres pour y affronter Arsenal. Le Malaysia Super League XI s’impose 2-0. Doublé de Dahari.
Après cette rencontre, des clubs anglais commencent à se renseigner. Qui est donc ce joueur de vingt-deux ans qui dribble comme un Brésilien, court aussi vite qu’un ailier italien et marque autant de buts qu’un buteur allemand ? Les clubs anglais ont à peine le temps d’entamer les discussions que le Real Madrid débarque avec ses gros sabots et pose une offre sur la table. Dahari aux côtés de Del Bosque, Breitner, Roberto Martínez et Camacho ? Non. Le joueur décline l’offre. Motif du refus ? Son patriotisme envers la Malaisie et son club du Selangor FA.
Mokhtar, Bobby et Diego
L’Europe continuera donc de regarder ses prouesses de loin. Comme ce jour de 1978, lorsque, lors d’un amical face à l’Angleterre B de Bobby Robson, il marque du milieu du terrain avec un tir qui lobe Joe Corrigan, le mythique portier de Manchester City. Après ce match, Gordon Hill, alors joueur de Manchester United, déclare dans une interview au magazine Shoot! que Mokhtar devrait être renommé « Hero Dahari » . Ce qui vous situe le bonhomme. Et en 1981, avant un match amical entre Selangor FA et Boca Juniors, Dahari, désormais âgé de vingt-huit ans, serre la main d’un jeune prodige qui s’apprête à marcher sur le monde : Diego Maradona.
Dahari quittera finalement Selangor en 1987, après quinze ans de bons et loyaux services, et 177 buts inscrits avec le maillot rouge et jaune. Il s’en ira jouer pendant trois ans pour l’équipe de la Banque Kwong Yik, pour laquelle il travaille désormais, toujours en parallèle de sa vie de footballeur. Il raccroche définitivement les crampons en 1990. Des statistiques non officielles parlent de 125 buts en 167 sélections avec l’équipe de Malaisie, ce qui en ferait évidemment le meilleur buteur de l’histoire. Une histoire qui va néanmoins brutalement s’interrompre quelques mois plus tard.
Le malheur de la SLA
À la fin des années 80, Mokhtar commence à avoir des problèmes à la gorge. Après des premières analyses au pays, il décide de se rendre à Londres avec sa femme pour obtenir des diagnostics précis. Les médecins anglais lui décèlent une sclérose latérale amyotrophique (SLA), ce même mal qui a touché plus tard d’autres joueurs professionnels, à l’instar de l’ancien de la Fiorentina Stefano Borgonovo.
Dahari ne va parler à personne de sa maladie, hormis à sa femme. Il continue de jouer au foot. Mais après trois années de bataille, le 11 juillet 1991, Supermokh s’éteint, à l’âge de trente-sept ans. La presse malaisienne évoque alors des dystrophies musculaires à l’origine de sa mort. La vérité ne sera rétablie que vingt ans plus tard, dans un documentaire diffusé le 30 août 2010 sur The National Geographic Channel et intitulé The Untold Truth About Supermokh. De nombreux terrains de football portent désormais son nom en Malaisie, et en 2014, une académie de football bâtie à Gambang est baptisée Mokhtar Dahari National Football Academy. Une énième reconnaissance, pour un joueur adulé, et dont l’actuelle équipe malaisienne aurait bien besoin pour venir à bout de la Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Par Éric Maggiori