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Moïse Sahi Dion : « Mon premier souvenir en France, c’est une allergie au saumon »
Buteur au Vélodrome face à l'OM en Coupe de France lors de l'exploit d'Annecy, Moïse Sahi Dion (21 ans) franchit des caps impressionnants avec le club haut-savoyard tant en Ligue 2 (il est 5e meilleur buteur du championnat avec 10 buts) qu'en Coupe de France. Entretien avec un buteur fan de Baky Koné et de gâteaux faits maison.
Je ne m’en remets toujours pas. Personne n’a vraiment compris ce qu’il se passait. Si on m’avait dit qu’on ferait nul contre l’OM en quarts de Coupe de France, j’aurais signé tout de suite. Mais là, on repart avec la qualification en plus !
Les gens ne vont sûrement pas le croire, mais on savait qu’on allait revenir. À la pause, on s’est dit : perdre au Vélodrome, quoi de plus logique ? Donc autant foncer en attaque, quitte à prendre une valise. C’est d’ailleurs pour ça qu’on marque nos deux buts dès la reprise. Parce qu’on s’est complètement lâchés. Idem en fin de match, hein. Ok, on prend un coup derrière la tête sur l’égalisation, mais on sait qu’il y a des tirs au but derrière, et que tout restait ouvert. C’est marrant parce qu’au coup de sifflet final, j’ai eu une pensée pour le petit qui a égalisé (François Régis Mughe, NDLR), c’était son premier ballon en pro, et il marque, c’était beau.
La folie ! Dès que l’arbitre a sifflé la reprise, j’ai foncé. Je me suis éloigné le plus possible de Balerdi, car je savais qu’en le prenant de vitesse à distance, il ne me rattraperait pas. Quand je reçois le ballon, lui pense que je vais m’excentrer vers le poteau de corner avec mon pied droit. Sauf qu’en allant vers la droite, je penche quand même mon corps vers la gauche, vers l’intérieur. Dès qu’il a un peu relâché son corps, j’ai crocheté vers la surface, et j’ai placé mon enroulé du gauche. Ensuite c’est la célébration classique : le doigt sur la tempe, pour montrer que tout se passe au mental.
Non, là c’était le stress… (Rires.) On ne me voit pas à la caméra, mais j’étais presque allongé sur le banc, en train de prier avant la séance.
Je marque contre le PSG, j’enchaîne contre l’OM, je pense que je vais prendre ma retraite. (Rires.) D’ailleurs, mon but contre Paris, j’ai dû attendre d’être seul chez moi pour le célébrer. Parce que sur le terrain, on s’est fait écraser (défaite 4-1, NDLR), donc je ne pouvais même pas le fêter. C’est en rentrant à la maison que je me suis dit : « Bon, il n’y a pas de honte à perdre contre ce PSG-là, donc autant célébrer mon premier but en pro ! »
Oui. Je viens d’une petite ville, Angré de Cocody, à deux heures du centre d’Abidjan. C’est un coin vraiment tranquille. Niveau football, c’était le calme plat, j’ai même récemment appris que j’étais le seul footballeur pro de cette ville. Dans ma famille, pareil, le football ne prenait pas de place. Mon père est professeur de SVT au collège et ma mère institutrice en primaire. Donc pour eux, il y avait les études et rien d’autre. Mes frères et ma sœur ont tous poursuivi leurs études, moi je n’étais pas très assidu en classe. Je passais mon temps à jouer dehors, et comme beaucoup de petits sur le continent, on m’a repéré comme ça. Les grands de mon quartier trouvaient que j’avais quelque chose, donc ils m’ont incité à prendre une licence en club, à 10-11 ans. Je suis d’abord allé au Majestic de Yopougon, un club plutôt coté entre chez moi et Abidjan, avant que l’Ivoire Académie, le grand centre de la capitale, m’invite à l’une de ses détections, à l’été 2012. Mon père avait dit non, il a fallu que je bataille, que tout le quartier lui explique qu’il y avait un sport-études dans l’académie pour qu’il accepte.
J’étais inscrit dans une école publique d’Abidjan, et les professeurs de cet établissement venaient nous donner des cours au sein de l’académie. C’est en partie grâce à ça que j’ai eu mes diplômes de secondaire. Nous étions logés là-bas, et tous les quinze jours, le week-end, nous rentrions chez nous. C’est là que j’ai rencontré mon « père de football », Monsieur Alain Tiemelé, un coach qui a dû m’apprendre 90% des choses que je fais encore aujourd’hui. Je l’ai suivi au Mali, à 16 ans, car il rejoignait une autre académie à Bamako, l’Afrique Football Elite (AFE). On lui avait dit avec d’autres qu’on le suivrait, et si pour certains, c’étaient des paroles en l’air, c’était réel pour moi. Mes parents ne devaient rien savoir, parce que sinon ils auraient refusé de me laisser partir. J’ai donc fait croire à mes entraîneurs que j’avais l’autorisation de mes parents, et à mes parents, que j’étais toujours à l’Ivoire Académie, mais que je ne pouvais pas encore rentrer à la maison.
C’est vrai qu’en y repensant, c’était bête. Mais je savais que cette opportunité au Mali était un tremplin. J’avais une confiance aveugle en Monsieur Charlton (surnom d’Alain Tiemelé, NDLR), la Côte d’Ivoire et le Mali sont des pays frontaliers et surtout, je savais qu’en matière d’organisation, c’était excellent. Kévin Zohi, Yves Bissouma, Rominigue Kouamé, tous ces mecs ont fait pareil que moi. Et surtout, je débarquais là-bas avec mon grand pote, El-Bilal Touré (ancien du Stade de Reims, actuellement à Almeria, NDLR). Après deux ou trois semaines, mes parents ont appris la nouvelle. Des dirigeants se sont alors rendus eux-mêmes en Côte d’Ivoire pour discuter avec eux après m’avoir fait la leçon. Moi, je n’y suis pas allé, sinon mon père se serait bien occupé de moi… (Rires.) Mais c’était le bon choix. Car finalement, les coachs nous ont surclassés et on jouait en D3 malienne, à 16 ans !
Je fais deux bonnes saisons au Mali. Une en D3, où on finit champions et promus, et la suivante, en D2, où on rate une nouvelle promotion à la différence de buts. J’avais fini meilleur buteur de troisième division, en ne jouant qu’une dizaine de matchs. Quelques scouts européens venaient régulièrement nous voir jouer, et c’est finalement Strasbourg qui m’a choisi. J’ai d’abord intégré la réserve, avant de rejoindre les pros trois mois plus tard.
C’était abusé ! Je sais que c’est toujours le même cliché qui revient, mais l’Alsace en hiver, c’est n’importe quoi ! En plus, le coach (François Keller, NDLR) faisait de longues causeries avant chaque entraînement, moi j’étais gelé sur le terrain. Je me disais : « Allez, finis vite, j’ai envie de courir, je vais mourir sur place. » Mais bizarrement, au-delà du froid, c’est à la nourriture que j’ai mis du temps à m’adapter. J’ai longtemps joué la sécurité en ne mangeant que des pâtes. La première fois que j’ai voulu goûter un truc « nouveau », j’ai pris cher ! On nous avait servi du saumon, et je n’en avais jamais mangé. C’est très bon, sauf que j’ai rapidement vu plein de boutons apparaître sur mon corps. Mon premier souvenir en France, c’est une allergie au saumon.
Vous pensez à ma blessure ? Et pourtant, c’était une « simple » déchirure à l’ischio. Mais 14 centimètres, c’est quand même beaucoup ! Je me souviens avoir ressenti une gêne en présaison contre Francfort. Les médecins me rassurent, et me disent que j’en ai pour trois semaines. Je me repose tranquillement, et je reviens donc aux dates convenues. Mais sur mon premier face-à-face à l’entraînement, j’entends comme un pneu qui éclate et je ne sens plus ma jambe. Fin du jeu : déchirure complète, un mois sur la touche. À cette période, j’étais presque obligé de ramper pour monter jusque chez moi. Je ne pouvais même pas bouger. Psychologiquement, c’était dur ! J’allais au centre faire mes soins, je rentrais chez moi et je me posais sur le canapé, sans télé, ni rien. De toute façon, la télécommande était trop loin. (Rires.) Je fixais le mur devant moi, et je pensais à la vie. Le plus dur, c’était d’être seul. Ma compagne n’était pas encore arrivée de Côte d’Ivoire, et ma famille était encore au pays.
Tout se passe à l’instinct. Quand je mets ma talonnade contre l’ASSE ou mon enroulé à Valenciennes, croyez-moi que je décide vraiment à la seconde près. C’est un détail assez propre aux joueurs africains ou sud-américains, ce côté improvisation. Les Européens excellent dans l’aspect théorique, placement, jeu sans ballon, etc. Nous, on y ajoute de la fantaisie et que ça marche ou pas, on ne change rien ! Quoi de mieux qu’un beau but en vérité ?
Alors pas du tout ! Je suis posé chez moi, avec ma chérie, je sors rarement et je profite de sa présence. Elle m’apprend d’ailleurs à cuisiner, surtout les gâteaux. Le cake marbré, c’est ma spécialité. J’en ai déjà ramené à mes coéquipiers d’Annecy, ils kiffent. Les coachs adjoints me disent : « Tu marques des buts, tu cuisines bien et tu n’as que 21 ans ? » Et ouais, je suis l’homme idéal ! (Rires.)
Je regarde pas mal de séries. Actuellement je suis sur You, et juste avant, celle sur Jeffrey Dahmer. Je sais, ce sont des trucs bizarres, mais j’aime bien. Pour ce qui est de la musique, je conseille le dernier album d’Hamza. Je l’écoute en boucle depuis une semaine, c’est sublime.
Ce serait une énorme fierté. Cette opportunité serait la plus belle des récompenses. Mais je sais que tout passe par mon rendement en club, et c’est ce qui me motive encore plus. Au pays, l’un de mes modèles, c’est Monsieur Baky Koné, « le Petit ». Quand j’étais plus jeune, je demandais toujours le numéro 14, comme lui, encore aujourd’hui, je mets mon maillot et mon short comme lui le faisait. Donc ce serait incroyable de suivre ses pas aussi en sélection.
Propos recueillis par Adel Bentaha