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Mohun Bagan, légende indienne en danger

Par Guillaume Vénétitay, à Kolkata
5 minutes
Mohun Bagan, légende indienne en danger

La première division indienne reprend ce samedi. Le champion en titre, club de 125 ans et adulé par 10 millions de fans, est concurrencé par l’ISL et miné par de graves problèmes financiers.

« Mec, dans la foule, j’en ai perdu ma sandale. C’était complètement fou ! » Rahul, la vingtaine, se souvient de la journée du 31 mai dernier. Une soirée avec des litres de bière et une fête jusqu’à l’aube dans les rues de Kolkata (ex-Calcutta, capitale du West Bengal). Son club fétiche, Mohun Bagan, venait d’être sacré champion d’I-League, la première division indienne. « Toutes les avenues de l’aéroport jusqu’au centre d’entraînement étaient bondées. Je n’avais jamais vu ça » , continue-t-il. Le club le plus titré d’Inde, fondé en 1889, renouait avec son glorieux passé.

Car Mohun Bagan est connu dans tout le pays, y compris par les Indiens ne pigeant rien au foot. En 1911, l’équipe est la première à battre les colons britanniques en finale de l’IFA Shield, avec des joueurs pieds nus. Une date clé dans la lutte pour l’indépendance de l’Inde. La légende s’entretient avec une rivalité dingue contre East Bengal, l’autre grand club de Kolkata. Le derby attire régulièrement 75 000 personnes, au minimum. Un pic de 131 000 spectateurs a été atteint en 1997. « Ce match est dans le sang des Bengalis. On est supporter de Mohun Bagan ou de East Bengal à la naissance » , résume Sanjoy Sen, l’entraîneur de Mohun Bagan. Les petites histoires et la démesure des 10 millions de fans dans tout le pays font le reste : un vendeur de thé qui vend sa maison pour voir son équipe en déplacement, un supporter qui se suicide après une lourde défaite… « C’est notre vie. Si je rate un match, ça me coupe l’appétit » , clame Arghar, 20 ans.

Aucune boutique officielle en ville contrairement à… Manchester United

La passion et le titre de champion ont toutefois du mal à masquer ce qu’est devenu Mohun Bagan aujourd’hui : un club au bord de la banqueroute, symbolisant le vieux foot indien dépassé par l’arrivée de l’Indian Super League (ISL), tournoi privé entre huit franchises. « Mohun Bagan dira que leur affluence est meilleure, mais le derby contre East Bengal ne fait pas tout. On est autour de 10 000 personnes en moyenne (contre 27 000 en ISL, ndlr) » , précise Dhiman Sarkar, journaliste au Hindustan Times. Au club, on sert le refrain habituel. « Les fans sont plus importants que l’argent. Alors, bien sûr, l’ISL a ramené du monde au stade. C’est bien de voir des spectateurs taper dans les mains, mais après ? Qu’ont-ils fait pour améliorer le foot indien ? » , tacle Srinjoy Bose, secrétaire général adjoint de Mohun Bagan. Comprendre : on a l’histoire et la passion avec nous, pas l’ISL.

Les supporters peuvent ainsi s’impliquer en devenant membres et ont le pouvoir d’élire le conseil d’administration. Le modèle pourrait être séduisant si le standard des infrastructures n’était pas proche du niveau amateur. « Elles sont vraiment dépassées. Et le club ne possède pas son propre stade. Ils auraient dû le faire dans les années 60 ou 70, personne n’a pris l’initiative. Aujourd’hui, c’est quelque chose d’impossible » , estime Dhiman Sarkar. Srinjoy Bose se justifie par une situation ubuesque : « Notre siège et notre terrain d’entraînement se trouvent sur une propriété de l’armée. Et c’est donc dur de faire bouger les choses. Enfin, vous savez comment fonctionne le gouvernement… » Autre exemple surréaliste du niveau de développement d’un club comme Mohun Bagan : le club n’a pas de boutique officielle en ville, contrairement à… Manchester United. « Il n’y a aucun marketing, aucun produit pour les fans. En 125 ans, ils n’ont rien fait » , assène Susmita Gangopadhyay, journaliste pour Uttar Banga Sambad. La concurrence ne vient donc pas seulement de l’ISL, mais d’un foot mondialisé. À défaut de rêver du foot indien, les jeunes de Kolkata se passionnent pour la Premier League et la Liga.

« C’est le président qui complète avec ses sous »

C’est tout le football indien qui est resté à quai. Mohun Bagan aurait pu être un leader par son histoire et sa base. Et plus que la popularité, c’est la survie même du mythe qui est en jeu. Financièrement, le club a été touché par le scandale financier du groupe Saradha, une des plus grosses affaires de corruption ces dernières années en Inde. Le sponsor principal, McDowells, présent depuis 1998, a des retards de paiement à hauteur de 600 000 euros, ce qui représente près d’un quart du budget annuel du club. Depuis plus d’un an, le club galère à payer les salaires de ses joueurs et du staff. « C’est le président qui complète avec ses sous » , indique Srinjoy Bose. Cela se ressent sur le terrain. Plusieurs joueurs ne sont pas revenus, comme l’ancien Grenoblois Pierre Boya, essentiel dans la conquête du titre l’an passé. D’autres partent faire des piges en ISL, plus rémunératrice, et ne participent pas à la ligue régionale estivale ni à une grande partie de la présaison.

Avec une probable fusion dans quelques années entre l’I-League et l’ISL pour créer un championnat unique, Mohun Bagan peut-il disparaître ? « Certains journaux stoppent leur parution. Mais Mohun Bagan vivra pour toujours » , raille Srinjoy Bose. « Ils ont des problèmes financiers, mais ils les gèrent. Certes, les joueurs sont payés avec un ou deux mois de retard, mais ils sont payés. Je ne pense pas qu’ils disparaîtront. La Fédération a besoin de Mohun Bagan et East Bengal » , pense Susmita Gangopadhyay. Le club devra toutefois changer. Car s’il y a fusion entre les deux ligues, il faudra probablement se mettre aux standards des franchises de l’ISL. Sinon, le club ne pourra pas rivaliser, loi du marché oblige. Mohun Bagan peut attendre un mécène (Ettihad aurait été intéressé selon les médias indiens en mai dernier, sans suite). Ou bien passer un accord avec l’Atlético de Kolkata, la franchise ISL de la ville, au risque de perdre un peu d’âme ? Les discussions promettent d’être animées. Pour le moment, le coach prend les difficultés comme un défi et veut réitérer les exploits. « Je joue avec les cartes que j’ai. L’an passé, malgré les problèmes de salaires, je n’ai pas vu des joueurs tristes. Ils ont montré un caractère incroyable, ils sont restés concentrés pour aller chercher le titre » , dit Sanjoy Sen. On lui rappellera que, par définition, un miracle n’arrive qu’une fois.

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