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Mohamed Salah, plaie d’Égypte ?
Toute l'Égypte a retenu son souffle lorsque Mohamed Salah s'est assis sur la pelouse du stade Félix-Houphouët-Boigny, quand bien même ses dernières performances ne lui ressemblent pas. Un guide reste un guide, mais son retour à Liverpool pour soigner son ischio interroge. Est-ce un manque de respect pour son pays que d'écouter Jürgen Klopp ?
Depuis plusieurs semaines maintenant, Mohamed Salah n’échappe plus aux polémiques sur le plan sociopolitique : photo de famille devant l’arbre de Noël déclenchant la colère d’une partie du monde musulman, positionnement pro-palestinien pas assez apparent aux yeux de ses habituels soutiens… Justifiées ou non, ces polémiques rappellent à quel point le meilleur buteur de l’histoire de Liverpool en Coupe d’Europe est scruté à la loupe, sur tous les terrains. Le rectangle vert, justement, le capitaine de l’Égypte l’a quitté la mine livide, peu avant la mi-temps du duel face au Ghana (2-2), à la CAN 2023. Souffrant d’une élongation du muscle ischio-jambier de la jambe gauche, « Mo » n’a ainsi pas pu aider sa sélection à revenir deux fois au score, laissant Omar Marmoush, Mostafa Mohamed ou encore Emam Ashour tirer leur épingle du jeu. Le verdict tombé, la star égyptienne a dû faire un choix, à savoir rentrer à Liverpool le temps de sa rééducation, tout en envisageant un hypothétique retour plus tard dans la compétition, plutôt que de rester au chevet du patient égyptien, jusqu’à être de nouveau apte. Ce choix est-il le plus logique et respectueux compte tenu de son statut ? Pourrait-il affecter ce qu’il va laisser en héritage ? Pire, l’Égypte de Rui Vitória n’était-elle pas, jusqu’ici, prisonnière de son statut d’intouchable ?
« Pourquoi pas ? »
« Peu importe la durée de son indisponibilité, je pense que tout le monde considère que cela fait sens qu’il se soigne avec nous. Je ne suis pas médecin. Mais je dirais que si l’Égypte se qualifie pour la finale et qu’il est sur pied avant, probablement que oui, il pourrait la jouer. Pourquoi pas ? » C’est en ces termes que Jürgen Klopp a annoncé la nouvelle à l’issue du déplacement victorieux des Reds à Bournemouth. Le communiqué officiel du club mentionne un retour potentiel plutôt en… demi-finales, signe que, déjà, tout n’est pas très clair, en commençant par la gravité de la blessure. Problème, le roi d’Afrique du haut de ses 7 titres, le pays des légendes Mohamed Aboutrika, Ahmed Hassan, Essam El-Hadary et Mohamed Zidan, ne mérite-t-il pas mieux qu’un vague « Pourquoi pas ? » Faire miroiter un retour pour le dernier carré, en attendant en réalité un miracle, est-ce bien là un plan de bataille juste ?
À en croire la version délivrée dans le Merseyside, Salah, dans sa grande bonté d’âme, serait-il en train de faire une fleur à son équipe nationale, en assurant son rôle de grand frère contre le Cap-Vert, ce lundi soir, avant de plier bagage, que l’Égypte poursuive ou non l’aventure en Côte d’Ivoire ? Difficile, en effet, de croire que le staff des Pharaons soit incapable de soigner sa star, d’être aux petits oignons pour le remettre sur pied en un temps record, sans pour autant menacer sa deuxième partie de saison en club. De l’extérieur, Mohamed Salah peut donner l’impression de se dérober, de chercher déjà une porte de sortie en cas d’élimination prématurée – après les deux nuls concédés face au Mozambique et donc le Ghana – avant de revenir dans l’espoir de marquer l’histoire, après que Trezeguet & cie auraient déjà fait le travail de sape, pour qu’il en récolte ensuite les lauriers.
La CAN encore méprisée ?
Procès injuste ? Du moins, la communication de Liverpool laisse place à l’interprétation, et l’importance de la CAN est une fois de plus fragilisée. Parce que oui, depuis le premier match face au Mozambique (2-2), quand bien même il a transformé son penalty sur le gong avec l’aide du montant, Salah n’est plus le même qu’à la CAN 2021. Son influence dans le jeu est faible pour une légende du football africain, sa présence semblant même inhiber ses coéquipiers ou, a minima, leur laisser l’opportunité de se reposer sur leurs certitudes, en attendant son exploit individuel, en miroir de la CAN 2017. Représenter (et ici guider) son équipe nationale, quelle qu’elle soit, n’est pas un poste en intérim. C’est un poste à vie. Les clubs, qui rémunèrent leurs joueurs, semblent parfois oublier le caractère sacré de la sélection.
La CAN n’avait pas encore démarré, que le Cameroun devait gérer le cas André Onana, qui considère que privilégier sa nation ou son club, c’est « devoir choisir entre son père et sa mère ». Sous prétexte qu’il casse toujours la baraque avec Liverpool, Mohamed Salah n’échappe pas à la règle du devoir d’exemplarité, dans les performances comme dans l’attitude et l’image renvoyée. À ce titre, la comparaison permanente avec Sadio Mané, qui a toujours placé le Sénégal au-dessus de son club et qui avait par exemple accompagné ses Lions au Mondial 2022 malgré sa blessure, ne l’aide pas. Enfin, l’Égypte perd une cartouche potentielle pour la phase à élimination directe. Le bluff du « jouera, jouera pas », ce vice si cher aux Pharaons pour brouiller les pistes avant une rencontre qui se joue sur des détails, n’est plus à l’ordre du jour. En restant près des Pharaons, Salah aurait peut-être été encore plus utile aux siens (en ce moment) que sur un terrain. Reste cette question : ce drama va-t-il enfin lancer l’Égypte ?
Par Alexandre Lazar