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Mohamed Al-Fayed, le supporter devenu gestionnaire
Il avait promis de faire de Fulham le « Manchester du Sud ». Seize ans après avoir racheté le club, Mohamed Al-Fayed vient de revendre ses parts à un milliardaire pakistanais. Loin d'avoir rempli les objectifs annoncés, l'ancien patron d'Harrods n'a quand même pas tout raté. Et n'aura pas laissé indifférents les habitués de Craven Cottage. Bilan.
« Omnia ubique omnibus. » Ou, pour les non-latinistes, « Tout, partout, pour tous. » Comme dans le slogan de Harrods, le magasin de luxe londonien, il y a à boire et à manger dans le bilan de Mohamed Al-Fayed à la tête du Fulham FC. Concernant les résultats, du correct, mais surtout du franchement médiocre. Niveau médias, de longs silences et des coups de gueule retentissants. Mais, alors que l’Égyptien vient de revendre à un milliardaire pakistanais, Shahid Khan, le club qu’il avait acheté en 1997, les supporters de Fulham restent sur leur faim. Le nouveau proprio l’a bien compris, lors de ses premières déclarations, en affirmant : « Je veux dire clairement que je me considère moins comme le propriétaire de Fulham que comme le dépositaire du club au nom de ses fans. Ma priorité est d’assurer l’avenir de Fulham et de Craven Cottage. » Deux phrases qui peuvent être perçues comme une critique en creux de la politique d’Al-Fayed à Londres, dont la venue pleine de promesses semblait synonyme d’un avenir doré. Seize ans plus tard, et alors que Fulham vient de terminer à une peu emballante douzième place sa saison, il ne faudrait pourtant pas réécrire l’histoire. Car si Fulham ne fait pas partie des places fortes du foot anglais, il est désormais un membre bien installé de la Premier League. Et ça, c’était pas gagné à l’arrivée du fantasque ex-PDG de Harrods.
Nicollin, le pled en moins
Avant d’être président de football, Mohamed est le fils d’un instituteur égyptien sans histoire. Vendeur de Coca-Cola dans les rues de sa cité, puis commercial dans les machines à coudre, il débarque en Angleterre en 1974, à l’âge de 41 ans, et ajoute le « Al » à son patronyme. Après s’être rapidement enrichi dans la création d’une entreprise maritime, il rachète l’hôtel Ritz, établissement de luxe parisien, puis la fameuse et chic boutique londonienne Harrods au début des années 1980. Trop classe pour les joueurs du Shakhtar Donetsk qui, en 2010, se feront virer par le personnel de l’établissement pour être entrés en survêtement avant un match d’Europa League face à Fulham. Code vestimentaire et technique d’intimidation obligent. Malgré tout, entre ses scandales financiers, la mort tragique de son fils Dodi, tué avec la princesse Diana dans un accident de voiture à Paris et quelques actes de corruption politique, Mohamed est depuis toujours un gros passionné de ballon rond. Amoureux de l’Écosse, longtemps il cherchera à y acquérir une petite équipe de football locale, en vain. Dans les Highlands, il prétend même pouvoir disposer d’un centre d’entraînement de haut niveau du côté de Balnagown Castle, un modeste domaine de 27 000 hectares dont il est l’heureux propriétaire. Au sein duquel, vêtu d’un kilt, il aime taquiner le saumon et tirer le coq de bruyère entre amis. « J’ai l’habitude d’organiser de nombreuses fêtes traditionnelles en costume dans ma propriété, note l’homme d’affaires. Mes invités bouffent tellement que j’ai été obligé de racheter 7 000 euros de nouveaux kilts il y a quelques années. Avec le temps, on est vraiment devenus des gros porcs. »
Finalement, quand Al-Fayed débarque à Londres, en 1997, Fulham est au bord de l’implosion. Des dettes colossales plombent le club, qui végète alors au troisième échelon national et craint la faillite. Mohamed Al-Fayed le rachète pour 30 millions de livres et, histoire de remotiver tout le monde, fixe des objectifs à atteindre. D’abord, faire des économies. Raison pour laquelle il réalise un joli coup en recrutant le défenseur Zat Knight en provenance du modeste club de Rushall. Montant du transfert ? Trente survêtements de sport, fermetures Éclair comprises. Puis, monter rapidement en Premier League. Enfin, comme l’Égyptien fait rarement dans la modestie et qu’il ne maîtrise pas trop l’art de la mesure, il souhaite devenir « le Manchester United du Sud » . Une formule exagérée et peut-être, avec le recul des années, la première erreur de sa présidence. Mais, en attendant, le nouvel homme fort – en gueule – de Fulham parvient à attirer Kevin Keegan, et le club débute son opération remontée. Dans les vieilles tribunes de Craven Cottage, les supporters croisent souvent la casquette de Mohamed Al-Fayed, qui vient aussi fêter les titres de champion de D3 (1999) puis de D2 (2001) sur la pelouse. Personnage au caractère bien trempé, « Momo » Al-Fayed s’investit dans le club, le montre, et s’en prend quotidiennement aux dirigeants de la Premier League et de la Football association. La raison ? Des droits TV en constante augmentation, mais jamais assez élevés pour son portefeuille : « Nous sommes dirigés par des ânes qui n’ont aucun sens de l’entreprise, éboulis par l’argent. En fait, ils peuvent venir déjeuner dans un de mes restaurants, j’ai des testicules de cerf sur ma carte. Car moi, dans mes affaires, je ne traite qu’avec les grosses couilles. » Une sorte de « Loulou » Nicollin, le plaid en moins. Mais ça ne va pas durer.
En 2000, Kevin Keagan ne pouvant refuser d’entraîner la sélection des Three Lions, c’est Jean Tigana qui prend le relais. Al-Fayed, qui, malgré de hautes ambitions, ne met pas trop la main au portefeuille, fait quelques exceptions pour faire venir un vieux briscard en manque de confiance – Edwin van der Sar -, un jeune Lyonnais prometteur – Steed Malbranque – et un attaquant qui a fait ses preuves – Steve Marlet, acheté 11 millions de livres – pour venir épauler une pépite un peu fragile – Louis Saha. Suffisant pour se faire une place en Premier League. Mais pas pour viser bien mieux. L’équipe assure tranquillement son maintien. Mention passable. Une étiquette qui n’a depuis cessé de coller au maillot des Cottagers, régulièrement englués dans le ventre mou de la Premiership. Mis à part les titres de champion de D2 et de D3, Mohamed Al-Fayed ne peut se targuer que d’une Coupe Intertoto, à l’été 2003. Un trophée en toc, un peu ridicule pour un mec qui aime autant le bling-bling. Pour être tout à fait complet, il faut juste se rappeler qu’en 2010, Fulham aurait pu accrocher, sous la houlette de Roy Hodgson, une Coupe de l’UEFA dont il atteint alors la finale à la surprise générale.
Bambi, Damian Duff et l’enfer
Finalement, le palmarès famélique de Fulham après seize ans de présidence est tout sauf une surprise. Car Al-Fayed n’a jamais semblé prêt à casser sa tirelire, évoluant, en matière de transferts, à des années-lumière d’un Roman Abramovitch à Chelsea. Sous sa présidence, les noms les plus « clinquants » – pas sûr que l’adjectif soit approprié – furent ceux d’Edwin van der Sar, de Carlos Bocanegra, de Steed Malbranque, de Damian Duff ou d’un Dimitar Berbatov déjà trentenaire. « C’est fou. Si tu veux gagner des titres, tu dois payer des types 150 000 euros la semaine, des joueurs qui ont peine à lire et à écrire » , explique ce fervent supporter d’une salary cap. Pas de quoi perturber Manchester and co. Plus grave, au fil des années, Mohamed Al-Fayed a semblé progressivement se désintéresser de son club. De président-supporter, il est peu à peu devenu un président-gestionnaire. Vendre Fulham peut d’ailleurs être interprété comme un moyen de ne plus perdre trop d’argent, alors que les dettes du club n’ont toujours pas été épongées. C’est peut-être cet éloignement progressif qui a provoqué le grotesque malentendu entre Al-Fayed et les supporters, en 2011. Cette année-là, Mohamed Al-Fayed décide d’inaugurer une statue aux abords de Craven Cottage. Pas celle d’un joueur, non, celle de Michael Jackson. Le président voulait ainsi rendre hommage au « King of pop » , sans s’imaginer que cette initiative susciterait la polémique. Mais les supporters, outrés que l’on puisse ériger une statue alors que la star ne s’était rendue qu’une seule fois au stade, et sur invitation du président, en 1999, ont immédiatement demandé son retrait. Aux grincheux, Mohamed Al-Fayed répliqua de manière cinglante, invitant ceux qui « ne comprennent pas et n’apprécient pas un tel cadeau,(à)aller en enfer ou à Chelsea » .
Par Yann Bouchez et Victor Le Grand