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Mohamed Aboutrika, un Pharaon dans la tourmente
Retraité depuis fin 2013, le légendaire Égyptien Mohamed Aboutrika a fait un retour inattendu dans l'actu ces derniers jours, une partie de ses biens ayant été confisqués par les autorités de son pays. En cause, les sympathies de l'ancien joueur d'Al Ahly avec les Frères musulmans, mouvement aujourd'hui considéré comme organisation terroriste par les nouvelles autorités du président al-Sissi.
« Vous pouvez saisir de l’argent ou saisir ce que vous voulez, mais je ne quitterai pas ce pays et je continuerai d’y travailler. » Mohamed Aboutrika est un homme en colère, mais un homme dont la colère reste mesurée, avec une réponse en 140 signes postée en fin de semaine dernière sur Twitter et adressée aux autorités de son pays, l’Égypte. L’ancienne idole des Pharaons, l’homme aux 104 matchs avec l’équipe nationale, probablement le meilleur footballeur égyptien de l’histoire, est aujourd’hui un homme menacé, en sursis. Sa réaction sur les réseaux sociaux faisait suite à la décision prise par le président de la commission de gestion et de l’inventaire des biens de l’organisation des Frères musulmans de geler une partie de ses biens et de ses activités économiques. Khamis Ezzet, c’est son nom, par ailleurs adjoint du ministre de la défense, a tenu à se justifier : « Aboutrika est l’un des actionnaires d’une société touristique dont les activités se sont révélées en rapport avec l’organisation des Frères musulmans » , a-t-il accusé. L’agence de voyage en question, fondée à l’époque où les Frères musulmans étaient au pouvoir en Égypte, serait destinée à financer les activités d’un mouvement désormais considéré comme activité terroriste et classé comme tel depuis la fin de l’année 2013. C’est en tout cas ce que soupçonnent les enquêteurs, qui ont donc le néo-retraité du football dans la ligne de mire.
Une conscience politique aiguë
Du fait de l’immense popularité dont jouit encore Mohamed Aboutrika auprès de la population locale, cette affaire suscite l’émoi. On parle là d’une icône au palmarès impressionnant (Deux CAN, sept championnats, cinq Ligues des champions, deux distinctions en tant que meilleur joueur évoluant sur le continent africain…), d’un joueur dont le charisme et la personnalité ont dépassé le strict cadre de son sport. S’il a fait le choix d’effectuer toute sa carrière au pays et surtout pour le puissant club d’Al Ahly, ce n’est pas anodin : Aboutrika a l’Égypte chevillée au corps, et au-delà le monde arabe, avec une conscience politique aiguë qui se distingue dans une sphère sportive d’habitude si lisse et policée.
En 2008, il avait fait l’actu en exhibant un T-shirt sur lequel était inscrit « Sympathize with Gaza » pour célébrer un but avec la sélection. L’an dernier, il avait décidé de boycotter un « Match pour la paix » organisé à l’initiative du Pape en raison de la présence de Benayoun, se fendant d’un : « Je ne joue pas avec des sionistes » sur Twitter… Et sur le plan de la politique nationale, Aboutrika avait effectivement apporté son soutien public, via un message vidéo posté sur YouTube, à la candidature de Mohamed Morsi, le candidat des Frères musulmans qui remporta les élections. Un soutien qu’il semble donc payer aujourd’hui dans ce que les détracteurs de l’actuel régime du président Abdel Fattah al-Sissi considèrent comme une chasse aux sorcières.
Le soutien des autres anciennes gloires de la sélection
Cette affaire s’inscrit en tout cas dans un contexte tendu, avec quatorze dirigeants de l’organisation qui ont été condamnés à mort le 11 avril dernier. Cette répression d’une grande sévérité vis-à-vis de la récente première force politique du pays divise la population et n’épargne pas la sphère sportive. Outre Aboutrika, un ancien coéquipier de l’équipe d’Al-Ahly avait lui aussi affiché un soutien clair aux Frères musulmans. C’était en novembre 2013, à l’occasion de la finale de la Ligue des champions de la CAF. Ahmed Abdel Zaher avait célébré le but de la victoire en montrant ostensiblement le signe de ralliement des pro-Morsi : le pouce replié et les quatre autres doigts tendus. Un geste qui lui avait valu un prêt forcé hors d’Égypte la saison suivante…
En tout cas, dans cette nouvelle affaire impliquant cette fois l’idole Aboutrika, ce dernier a reçu le soutien de nombreux ex-coéquipiers, parmi lesquels le recordman de sélections Ahmed Hassan et l’ancien Marseillais Mido. Une ancienne gloire de l’équipe nationale, Wael Gomaa, actuel directeur sportif d’Al-Ahly, a quant à lui dû démentir les rumeurs concernant une interdiction faite aux joueurs du club d’évoquer le cas Aboutrika dans le vestiaire, alors que les médias locaux prétendaient le contraire. Drôle d’ambiance, décidément…
Par Régis Delanoë