Moggi, faites entrer l’accusé !
Ce matin démarre à Naples le versant pénal du procès du plus grand scandale de l'histoire du football italien, le calciopoli. Des matches truqués, des arbitres achetés et un grand parrain derrière la barre des accusés : Luciano Moggi, l'ex patron de la Juventus Turin. Qui ne compte pas se laisser faire. Décryptage.
L’accusé. Le roman de Luciano Moggi, ou comment un petit chef de gare provincial devient l’homme le plus puissant du foot italien. Passé dans le calcio par la grâce de contacts patiemment noués avec des agents et des dirigeants de seconde classe, Moggi démarre en tant que conseiller sportif à la Roma, en 1979.
Un rôle un peu vague qui consiste essentiellement à dîner avec des arbitres, tard le soir, dans des trattorie du centre ville. On le retrouve ensuite chez l’ennemi de la Lazio, au Torino puis au Napoli, de 1987 à 1990, au moment de la splendeur puis de la chute de Maradona.
Sa spécialité : réaliser des transferts inattendus et spectaculaires dans les dernières heures du mercato. Recruté finalement par la Juventus en 1994 en tant que directeur général, il y forme, avec Antonio Giraudo et Roberto Bettega, la fameuse “triade” des dirigeants les plus redoutés d’Italie. S’en suivent dix ans de succès suspects et de polémiques arbitrales. Surnommé “Lucky Luciano”, Moggi fait aujourd’hui figure de mafioso n°1 de l’autre côté des Alpes. Aux dernières élections présidentielles, plusieurs bulletins portant son nom furent déposés dans les urnes. La rançon de la gloire.
Les faits. Le 4 mai 2006, le parquet de Turin ouvre une enquête à propos de conversations téléphoniques sur lesquelles on peut entendre Luciano Moggi s’entretenir avec Pierluigi Pairetto, l’homme chargé de désigner les arbitres des rencontres de Serie A. Les deux semblent choisir les noms des hommes en noir en totale concertation.
Les jours suivants, d’autres écoutes sortent dans la presse italienne (à son maximum, Moggi passait 416 coups de fil par jour, soit au moins sept heures de communications). Il y est question d’arbitres à influencer, de joueurs à menacer, de dirigeants à récompenser. De quoi poursuivre d’autres dirigeants et pénaliser sportivement les moins discrets : la Juventus (reléguée en seconde division), le Milan AC et la Fiorentina (pénalisés).
Dans le même temps, la GEA, la société de représentation de footballeurs managée par le fils de Moggi, Alessandro (et qui emploie également Davide Lippi, fiston de l’ancien entraîneur de la Juve Marcello Lippi), fait également l’objet de poursuites pour cause d’irrégularités. Une broutille pour laquelle Luciano vient d’écoper, le 8 janvier dernier, de 18 mois de prison et cinq ans de suspension d’activité dans le football. « Je n’ai rien fait » , a-t-il réagi. Évidemment.
L’enjeu. Toute la question du procès de Naples est la suivante : Moggi a-t-il agi en franc-tireur ou était-il le Parrain d’un véritable système mafieux impliquant tout le monde du calcio ? Aux côtés de “Lucky Luciano” sont appelés à la barre Antonio Giraudo, Andrea et Diego Della Valle (patrons de la Fiorentina), Claudio Lotito (président de la Lazio), plus quelques responsables de l’arbitrage.
Tous sont accusés de méfaits allant de la « fraude sportive » à l’ « association de malfaiteurs » . La défense de Moggi, rodée ces derniers mois dans les émissions de TV et la rubrique qu’il tient pour le journal Libero, est simple comme bonjour : « Ce système a toujours existé et il n’est pas si grave que ça » . Les écoutes ? « Des blagues » , a-t-il justifié l’autre jour dans le poste.
Si on l’emmerde, Moggi menace de tout balancer et il a déjà prévenu, il ne tombera pas tout seul. Dans les témoins cités à comparaître, l’ex DG de la Juventus a d’ailleurs fourni à la cour une liste de près de 400 noms, dans laquelle on trouve tous les grands blazes du football italien, y compris celui du plus illustre d’entre eux, Silvio Berlusconi. Comme dit la (mauvaise) chanson, va y’avoir du sport.
Ennio Gnocchi
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