- Liga
- J17
- Real Madrid-FC Barcelone (0-3)
Modriniesta est-il le football ?
Le Barça est allé gagner 3-0 au Bernabéu, et Messi a marqué un but de plus que Ronaldo en 2017 : voilà pour la banale réalité. Puis il y a la science-fiction et ses rêves, l'interdiction des buts, la notation artistique : Luka Modrić et Andrés Iniesta Ballon d'or.
La vie est parfois mal foutue. Noël est une période de retrouvailles, mais c’est aussi la saison des microbes. Le Real Madrid a vécu une année 2017 historique, mais la termine sur un 0-3 dans un Clásico à domicile. Luka Modrić et Andrés Iniesta sont deux footballeurs d’exception, mais le monde ne retiendra que le but en plus de Lionel Messi (54) sur Cristiano Ronaldo (53) cette année. Non, vraiment, les paradoxes du monde sont parfois difficiles à saisir. Alors qu’il serait si simple d’en résoudre quelques-uns. Modrić et Iniesta, par exemple : enlevons les buts ! Intégrons-les à une note artistique globale, focalisons-nous sur leurs jeux merveilleux et tant pis pour Opta ! Et dans quelques années, si le meilleur aliment de ce monde – le boudin noir – n’aura toujours pas la reconnaissance qu’il mérite, les livres d’histoire titreront bien sur les deux génies de leur génération.
« Ballons d’or sans le trophée »
Si Luka Modrić et Andrés Iniesta ne jouent pas dans la même équipe, ils savent en revanche parfaitement qu’ils jouent au même jeu, qu’ils en ont la même conception et le même amour. Alors ils se respectent mutuellement, même lorsqu’ils s’écartent un instant de leur philosophie commune. 29e minute : Iniesta va au contact, Modrić lève le pied très haut, les deux hommes sont au sol. La faute est madrilène, le Croate roule encore un peu pour échapper au carton. Puis vient l’Espagnol. Une main tendue, une accolade, et chacun peut repartir sur sa route pavée de touchers de balle discrets et de passes lumineuses. Celle du jeu.
Au bout du compte, Modrić n’aura joué qu’une mi-temps, et Iniesta n’aura pas été directement décisif. Mais pour combien de courses chaloupées et d’ouvertures créées par le Croate ? Pour combien de figures géométriques et de transitions parfaites pour le capitaine catalan ? Pour que ce Clásico, pas inoubliable dans le jeu, ne sombre pas dans la médiocrité, il aura bien fallu que deux phares rayonnent au milieu du terrain. Deux phares qui surnagent dans le temps long, quelles que soient les conditions. Deux « Ballon d’or sans le trophée » , ainsi que le rappelait Francisco Pavon à Goal avant la rencontre.
Dites-le avec les pieds
À respectivement 32 et 33 ans, Modrić et Iniesta sont plus proches de la retraite – avec ou sans cheveux – que des premières promotions. Ce qui ne les empêche pas de jouer : 1 778 minutes toutes compétitions confondues pour l’un, 1 298 minutes pour le second, plus souvent remplacé en cours de match par Valverde. Mieux, ils restent dépositaires de deux schémas connaissant une (r)évolution nouvelle : le passage du 4-3-3 au 4-4-2. Qu’ils soient de circonstances ou appelés à durer, ces 4-4-2 illustrent deux choses : un, les grands joueurs subliment tous les systèmes ; deux, les joyaux doivent être correctement sertis pour briller. En l’occurrence, Modrić et surtout Iniesta se retrouvent au cœur d’équipes plus denses et mieux équilibrées, leur demandant moins d’efforts et leur offrant plus de solutions à portée de passe courte ou longue. Du sur-mesure pour le natif de Fuentealbilla, à l’image de son contrat à vie en Catalogne.
Andrés Iniesta ne parle pas avec sa bouche, ou alors seulement pour enchaîner les poncifs, à la fin du match : « C’est un pas de plus au classement, trois points de plus. Mais le Real est toujours un adversaire dangereux (à 14 points, ndlr), rien n’est impossible dans le football » et caetera. C’est qu’il avait déjà réservé ses meilleures saillies à ses pieds, 76 minutes durant. En toute discrétion, comme l’ensemble de Luka Modrić en seconde période. Mais ce n’est pas de la faute du numéro dix du double Z : ses passes avaient déjà hurlé à l’amour pendant 45 minutes, les cordes vocales étaient grillées. Alors, comme tous les autres, il a dû rester sans voix face au Barça d’Iniesta.
Par Eric Carpentier