- Ballon d’or 2018
Modrić, Luka à part
Moderne, créatif, ouvreur d’espaces, Luka Modrić, finaliste de la dernière Coupe du monde et triple champion d’Europe en titre avec le Real, est le favori du prochain Ballon d’or. Problème : certains estiment déjà qu’il a perdu d’avance. Vraiment ?
Difficile d’ouvrir le débat avec Mario Stanić, retraité du foot depuis maintenant quatorze ans : « Pour moi, Luka est le meilleur, point final. Je n’ai besoin de personne pour me le prouver, ni de la FIFA, ni de l’UEFA. Il n’a pas besoin de remporter de trophées individuels pour me convaincre. Luka est le meilleur du monde. » Entre les records tombés par Kylian Mbappé, la campagne médiatique ouverte pour faire gagner Antoine Griezmann et le candidat Varane, adoubé par Michel Platini fin octobre, on aurait presque l’impression que Luka Modrić a disparu de la carte des candidats au Ballon d’or. Mais où est le Croate ? Simplement ailleurs, dans une autre sphère, une autre bulle : celle des romantiques, de Pirlo, Iniesta et Xavi, celle de Wesley Sneijder, celle de types qui ne sont pas forcément « extraordinaires » aux yeux du grand public, mais simplement « différents » . Pour Modrić, c’est la réflexion que se sera faite la première personne qui a posé les yeux sur lui, sur le parking d’un hôtel de Zadar, au début des années 1990.
Cet homme s’appelait Slavko Pernar, il venait d’accueillir dans son établissement toute la famille du milieu du Real, alors âgé de six ans à peine, et avait appelé son ami Josip Bajlo, directeur sportif du NK Zadar, le club local, pour qu’il jette un œil à la chose. « J’étais en train de boire mon café et je regardais ce gosse, à la fois maigre et rapide, c’était bluffant. Bluffant car pas incroyable, simplement hors du commun » , raconte Bajlo. Un peu moins de trente ans plus tard, rien n’a changé : les mots à son sujet sont restés les mêmes, le constat avec. Ainsi, l’ancien international croate Alen Bokšić a avoué lors de la dernière Coupe du monde être tombé « amoureux » de Luka Modrić, élu meilleur joueur d’une compétition que la Croatie a perdue en finale face aux Bleus. Jorge Valdano, champion du monde 1986, lui, est même allé un peu plus loin au sujet du génie triple champion d’Europe en titre et aura tiré cette phrase aussi définitive que brillante : « C’est ainsi qu’on joue au football, c’est ainsi qu’on vit le football. » Est-ce ainsi qu’on gagne un Ballon d’or ?
Le joueur dont le football a besoin
Interrogé il y a quelques semaines par France Football, Modrić a préféré jouer la carte du modeste, là où Kylian Mbappé, dix-neuf ans, estime simplement avoir mis « tous les ingrédients de son côté » pour remporter le trophée. Extraits : « Moi, je n’aime pas parler de cette manière et clamer que je mérite le Ballon d’or. L’important pour moi est d’être sur le terrain comme je le suis depuis des mois. Cette année 2018 a été sans aucun doute la meilleure de ma carrière, mais vous n’allez pas me faire dire : « C’est moi qui dois le gagner. » » Alors, Luka Modrić laisse les autres parler pour lui. Peut-être aussi parce que le Croate a conscience que voter pour lui revient à effectuer un choix de style. « Il fait partie de la dernière génération de meneurs de jeu avec une classe et un charisme particulier, dessine alors Robert Jarni, troisième de la Coupe du monde 1998 avec la Croatie. J’espère qu’à l’avenir, nous saurons à nouveau former des joueurs de ce type, car le football en a grandement besoin. »
Ce qu’il faut comprendre : Modrić ne sera jamais une bête à feuilles de stats, n’étalera jamais ses abdos à la face du monde après un but et se balade d’ailleurs avec une tronche alternant entre une caricature douteuse de David Guetta et un air de Johan Cruyff. C’est autre chose, une autre manière « d’interpréter le foot » comme l’explique Valdano. De Zagreb à Londres, où il aura porté pendant quatre saisons Tottenham, de Londres à Madrid, les mêmes mots reviennent sur « l’artiste » . « En fait, la force de Luka, c’est son intelligence, affirme Fernando Hierro, notamment ancien défenseur central du Real et adjoint de Carlo Ancelotti à la Maison-Blanche. Il n’est pas malin, il est intelligent. Et c’est une force de savoir prendre la décision au bon moment, mais c’en est une autre d’avoir la personnalité pour le faire. Lui, il a tout ça. » C’est notamment cette qualité qui lui aura permis de s’en sortir malgré ses 172 centimètres tout en devenant le représentant de la deuxième génération du foot croate, celle de l’après-98 et donc post-indépendance du pays. Cette qualité, aussi, qui fait aujourd’hui de lui le grand favori pour remporter le Ballon d’or après avoir gagné une nouvelle Ligue des champions, dansé sur la Coupe du monde et avoir été élu, par l’UEFA et la FIFA, joueur de l’année. Déjà. Il ne lui reste donc plus qu’à devenir le septième joueur de l’histoire du Real à choper la distinction individuelle suprême après Di Stéfano, Kopa, Figo, Ronaldo, Cannavaro et Cristiano Ronaldo. Possible ? Oui, évidemment, mais Jorge Valdano refuse d’y croire : « Comme l’intelligence n’est pas visible par le spectateur moyen et comme la discrétion ne vend pas, Modrić ne gagnera pas le Ballon d’or et ça, c’est la responsabilité de tous. » Réponse ce lundi.
Par Maxime Brigand