ACTU MERCATO
Mino Raiola, le génie du marché
Depuis près de 10 ans, Mino Raiola s’occupe avec soin des intérêts sportifs, économiques et d’image de Zlatan Ibrahimović. Mondialement connu, et reconnu, c’est à ce redoutable agent italien que l’on doit les longues tractations autour du salaire parisien du Suédois, à hauteur de 14 millions d’euros par an. Net d’impôts ! Portrait du sosie de l’acteur Danny DeVito et de l’homme d’affaires sulfureux Giancarlo Parretti, que le métier surnomme avec emphase : « le génie du marché ».
Février 2011, dans les entraves de San Siro, après un match du Milan AC. Dans cette allée télégénique qui sépare les vestiaires de la sortie du stade, aux murs tapissés de sponsors, un gnome trapu emmitouflé d’une grosse veste d’hiver cause aux journalistes. Une image anodine, jusqu’ici sans grand intérêt. En réalité, la télévision italienne attend sagement le défilé en zone de presse de l’attaquant star des Rossoneri, Zlatan Ibrahimović, toujours bon dernier à sortir de la douche. Quelques secondes suffisent. Mais face aux avances des journaleux, la tourelle suédoise préfère filer droit et se positionner au niveau de notre cher inconnu. Encore lui. Une fois à sa hauteur, Zlatan surprend alors tout le monde en lui glissant une énorme gifle dans le dos, bruyante et violente, sous les applaudissements et les rires complices de la meute présente. Indisposé, l’homme vacille un chouïa, se retourne et observe alors la grimace figée d’un « Ibra » tout heureux de sa dernière connerie. Tout content de châtier une victime de plus : Mino Raiola, 44 ans, septiclingue, l’un de ses plus proches confidents, mais surtout son dernier et grand « procuratore » (agent en italien, Ndlr).
« La première fois que je l’ai vu, j’ai pensé que c’était une blague. Mais de grands sentiments se sont tissés entre nous. Il m’a beaucoup aidé, c’est un ami » , note l’agresseur dans son autobiographie intitulée Je suis Zlatan Ibrahimović; (écrite avec un journaliste suédois, traduite en anglais, qui s’est mieux vendue dans son pays que la saga Harry Potter, Ndlr). À l’intérieur, le néo-Parisien avoue qu’il a choisi Raiola parce que celui-ci s’est présenté à leur premier rendez-vous fagoté comme un maffioso. Et qu’il lui a dit d’aller se faire foutre : « Il ressemblait à l’un des types de la série Soprano, jeans, tee-shirt Nike avec bide énorme » , raconte Zlatan, qui s’était de son côté pointé au rencard en Porsche, veste en cuir Gucci, Rolex au poignet. De quoi convaincre Raiola : « Vous pensez pouvoir impressionner qui, avec toute ces choses ? C’est de la merde. Vous allez me vendre vos voitures et vos montres et commencer à bosser trois fois plus dur. » La scène est géniale, c’était en 2003 à Amsterdam : Mino avait imprimé une feuille de statistiques des meilleurs buteurs du championnat d’Italie. « Zlatan, 25 matches, 5 buts. Regarde les autres : Inzaghi, 25 matches, 20 buts. Trezeguet, 24 matches, 20 buts. Tu veux que je te vende à qui ? » Il le fourguera dans la foulée à la Juventus. Et se paiera au passage une Porsche dernier cri.
Le Barça le paie encore 1,2 million d’euros par an
Depuis une semaine et une transaction réussie avec le PSG, celui qu’ « Ibra » surnomme « l’idiot magnifique » vient de réaliser un ixième coup de maître. « Zlatan est comme la Joconde » , déclarait-il en pleines négociations avec le club de la capitale française. De Laporta à Moratti, de l’Ajax à aujourd’hui, son œuvre suédoise a changé de musée à cinq reprises : Juventus, Inter, Barcelone, le Milan AC et Paris. Pour un total cumulé de 148 millions d’euros de transferts ! Et bien entendu, derrière chaque mouvement, se négocie une commission d’agent certifiée par la Fifa, qui, selon le règlement, peut varier de 4 à 10%. Plus redoutable encore, bien que Zlatan ne soit plus un joueur du Barça depuis 2010, son agent touchera jusqu’en 2014 (date du contrat initial d’Ibrahimović) la somme de 1,2 million d’euros par an des chéquiers du club catalan. Et des combines de ce genre, il en existe une flopée depuis plus de 20 ans !
Depuis qu’il a mis les pieds en 1968 dans la cité d’Haarlem, à Amsterdam aux Pays-Bas. C’est ici, dans cette ville renommée pour ses jacinthes véritables et ses tulipes, qu’il rejoint à l’âge de 22 ans l’équipe de sa ville d’adoption, la plus surannée du football hollandais : le HFC Haarlem. Il en devient très vite responsable de la formation, puis directeur sportif. Et fonde en parallèle sa première société d’agent, l’Intermezzo, censée représenter tous les joueurs néerlandais dans leurs négociations avec l’étranger. Un genre de monopole, un peu bancal, grâce auquel il réalise son premier gros coup en tant que « médiateur » : le transfert de Dennis Bergkamp, de l’Ajax à l’Inter de Milan en 1993. S’en suit sa plus belle intuition : le beau Pavel Nedvěd, qu’il conduit de la Lazio de Rome en 1996 à la Juventus en 2001, escouade avec laquelle il empoche le Ballon d’Or. Nedvěd, pas Raiola.
« J’ai promis à Balotelli qu’il sera Ballon d’Or trois fois »
Fin et rude négociateur, ce que Raiola affectionne par-dessus tout, ce sont les coups d’un soir, sans lendemain, juste histoire de se faire plaisir. Ce qui en fait l’un des plus féroces intermédiaires du marché mondial. En 2010, un temps annoncé très proche du Barça, Robinho semble convaincu de pouvoir rallier la Catalogne. Mais le conseiller italien a d’autres plans pour lui. « J’étais en train de placer Balotelli à City et j’ai rencontré Robinho qui m’a demandé de le libérer de son club. Il m’a dit: « Si tu places Ibrahimović à City, je suis sûr que le FC Barcelone me recrutera. » Je lui ai alors dit de rester tranquille, que j’allais envoyer Ibra au Milan AC, déclare Raiola au média transalpin Sportmediaset. J’ai ensuite parlé à Galliani. « Partons immédiatement en Angleterre, gagnons du temps sur le Barça et achetons Robinho. » C’est comme ça qu’il est arrivé à Milan. » À cette époque, l’international brésilien est à bout de nerfs. Il aurait ainsi supplié cet ancien pizzaiolo de Nocera de le sortir de là : Manchester, ce club, cette atmosphère et cette ville qu’il ne supportait plus. Mais une polémique fait surface.
Ne serait-ce pas Raiola lui-même qui aurait provoqué le malaise et ce sentiment d’insatisfaction chez le joueur ? Les critiques médiatiques vont bon train, allant jusqu’à décortiquer une combine généralisée qui pousserait l’Italien à créer de véritables vagabonds en culottes courtes, toujours plus riches, instables tant sportivement que psychologiquement. Logique, à première vue. « Mario Ballotelli vaut 250 millions d’euros » , clame-t-il haut et fort à Sky Sport Italia après le doublé face à l’Allemagne. Oui, Raiola possède aussi Super-Mario : « Un jour, Zlatan (Ibrahimović), m’appelle et me dit: « À l’Inter, il y a un phénomène. Un gars qui fait ce qu’il veut avec la balle. Tu dois venir le voir. » J’y suis allé et j’ai parlé avec Mario. Deux ans après, il me rappelle et me dit qu’il veut que je sois son agent. Aujourd’hui, j’ai un plan pour lui. Je lui ai promis qu’il sera Ballon d’Or à trois reprises. Et il me croit. » Tisser un rapport fraternel avec ses joueurs, faire grimper les prix, multiplier les départs… c’est aussi ça l’objet de son travail. Or au total, 21 éléments lui font confiance, certains plus connus que d’autres : le Parisien Maxwell Sherrer, le Milanais Dídac Vilà, le Français Paul Pogba ou encore le Lyonnais Cris… Plus de la moitié de sa pépinière est âgée de moins de 25 ans, donc logiquement amenée à progresser. Et à prendre de la valeur. Surtout.
Par Victor Le Grand