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Mines de talents

Par Romain Boulho, à Glenbuck (Écosse) / Photos : Peter Holliday
Mines de talents

C’est l’histoire d’un village écossais, entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe, dont la population n’excède pas les 1700 âmes, dont l’économie s’articule autour des mines et dont le club local, le Glenbuck Cherrypickers Football Club, a extrait une cinquantaine de joueurs professionnels. C’est aussi un village qui a vu naître une légende le 2 septembre 1913 : William Shankly, qu’on appellera bientôt Bill.

Manchester affronte Milan en match retour de Ligue des champions 2006-2007. En conférence de presse, les journalistes demandent à Sir Alex Ferguson qui, de Liverpool ou de Chelsea, il souhaiterait affronter si son équipe parvient à se hisser en finale. Sa réponse : « N’importe, je prends tout le monde. Je jouerais même contre les Glenbuck Cherrypickers s’il le faut. » Incrédulité parmi les journalistes. « Oh come on… Qui sont les Glenbuck Cherrypickers ? »

« C’était l’équipe du village de Bill Shankly » , se risque l’un des reporters, pas franchement confiant.

Correct, s’exclame ce bon Alex. Et qu’est-ce qu’un cherrypicker ?

Euh… Un monte-charge ?

Quoi ? Un monte-charge… ?! Mais non, c’était un mineur qui ôtait le charbon des pierres. » Ferguson a l’air franchement satisfait de lui. « L’éducation, claironne-t-il, c’est pas très cher vous savez. »

L’éducation c’est pas très cher vous savez.

Depuis Glasgow, il faut une petite heure pour se rendre à Glenbuck, en plein bocage écossais, dans l’Ayrshire, et s’attaquer à l’A70, une de ces routes de campagne qui enchaînent nids de poule et virages noueux. Et puis, au terme d’un chemin sorti de nulle part, gît un bloc de pierre, façon monument aux morts. C’est ici que les plus fanas des aficionados de Liverpool viennent parfois se recueillir, comme une sorte de pèlerinage pour célébrer l’homme qui a tout emballé, celui qui a fait entrer le club du Merseyside dans la légende : Bill Shankly. Sur une plaque noire est inscrit en lettres d’or : « The Legend, the Genius, the Man » . Mais il n’y en a pas que pour les Reds ici. En même temps que la mémoire de « The Man » repose aussi l’histoire oubliée des Glenbuck Cherrypickers. Celle d’un foot romantique fait de tourbe, de terrain à peine rectangulaire, de déplacements en fiacre et de mineurs dingos de ballon. Sur une période d’environ 50 ans s’étalant de 1880 à 1930, Glenbuck, bourgade minière dont la population n’a jamais excédé 1700 habitants, a produit 50 footballeurs pros. À population fixe, c’est comme si le Liverpool de l’époque, qui compte alors 855 000 habitants, pondait 24 000 footballeurs pro. Ces ex-mineurs jouent alors pour quelques clubs aux doux noms de Greenock Morton, Royal Albert, St Bernard’s, mais aussi pour des big ones comme les Rangers, le Celtic, Newcastle ou Tottenham. Cinq ont même revêtu la tunique bleue nationale.

Seulement 20% du paysage est naturel

Du village, il ne reste rien. Tout juste les ruines d’une bâtisse, ou cette clôture vieille de 150 ans qui menait vers le domaine des « maîtres » , en contrebas. « Ça fait des années qu’on souhaite rénover Glenbuck, avance Neil McGhee, conseiller régional de l’East Ayrshire étiqueté Labour. On ne sait pas vraiment comment faire, en fait. Globalement, la région est sinistrée et n’a pas connu d’investissements depuis au moins 30 ans. » Histoire classique d’un site de la « Central Belt » écossaise. Les ravages tapissent l’East Ayrshire, mais aussi le Lanarkshire ou Dumfries. Sur un périmètre de 5 kilomètres, on estime que seulement 20% du paysage est naturel. Le reste a été façonné par l’homme et 1000 années de minage. « Que tout soit complètement restauré, cela n’arrivera jamais, reprend Jim Roberts, conseiller régional du Scottish National Party. Nous avons trop peu d’argent. Il y a eu des erreurs dans le passé, des erreurs qui ont été reconnues. Aucun contrôle n’a été réalisé contre ces entreprises, que ce soit de la part des propriétaires ou du gouvernement. En tant qu’autorité publique et avec d’autres organisations, notre seule marge de manœuvre pour restaurer le paysage a été d’essayer de trouver des nouvelles voies, des alternatives. »

Ils ont fini par en trouver une. Depuis quelque temps, les supporters de Liverpool ne sont plus les seuls à se ramener à Glenbuck. Des types avec des ensembles complets Quechua rappliquent également. Il s’agit de géologues, dont certains parmi les plus illustres au monde, venus observer les canyons de ces mines à ciel ouvert et leurs parois ocres aux reflets anthracite dont la composition serait unique au monde. Le SMRT, une organisation qui œuvre à redynamiser les anciennes régions minières, a récemment racheté une partie des terrains de Glenbuck et s’est associé au BGS, le British Geological Survey. Le lieu est bien parti pour devenir un géoparc, ainsi que l’expose le professeur Russel Griggs, le président du SMRT. « Ce géoparc a vocation à promouvoir le caractère fabuleux du site, la nécessité de conserver cet héritage, et de le transmettre, que ce soit à des étudiants en géologie ou à des groupes de géologues expérimentés. Mais je ne souhaite pas que cela ne soit qu’un géoparc. Je veux que Glenbuck devienne un vrai aménagement social. Et mon but est que ce terrain de foot ressuscite. » Car aujourd’hui, Burnside Park, le terrain qui a vu les exploits des Cherrypickers, n’est guère plus qu’un champ insignifiant avec un arbre en plein milieu. Rénover le terrain, ce serait reconnaître un peu la gloire passée du village. Après tout, « l’histoire des Glenbuck Cherrypickers parle d’elle-même, non ? » , lance Jim Roberts, sans attendre de réponse.

« Le charbon était roi, le football religion »

Un jour, mon grand-père est descendu. Oh, il est remonté, mais sans ses deux jambes…

Fin du XIXe siècle, la deuxième révolution industrielle bat son plein, industries et locomotives dégueulent leurs fumées noirâtres dans tout le pays. L’Ayrshire constitue alors l’un des bassins houillers majeurs d’Écosse. À Glenbuck, fini de passer la surface du sol au tamis pour récupérer le charbon : pour répondre à la demande croissante, il faut désormais l’extraire en s’aventurant loin dans les entrailles de la terre. Une vie à s’esquinter les poumons en inhalant la poussière de charbon, à se tortiller dans les positions les plus improbables des heures durant. Sam Purdie hume l’air et observe sous sa casquette « Scotland » en tartan la nappe de neige qui recouvre ce qui fut son village. Là il y avait l’école, ici l’église, plus loin l’épicerie. Sam a 80 ans et est l’une des dernières personnes vivantes nées à Glenbuck. Il retrace tous les malheurs de la mine. « Un jour, mon grand-père est descendu. Oh, il est remonté, mais sans ses deux jambes… Pour sûr qu’on le connaissait, le vrai prix du charbon. » Éboulements, explosions, inondations : les risques, nombreux, ne pardonnent pas. « Quand vous travailliez dans une de ces carrières, vous deviez vous appuyer sur vos collègues, vos voisins. Littéralement, car votre vie en dépendait, pose Adam Powley. Là-dessous, tout résidait dans la confiance et l’effort collectif. Cet esprit s’étendait en dehors de la mine. Ces gens vivaient dans une pauvreté insoupçonnable, ils se serraient les coudes à chaque instant pour avoir de meilleures chances de survie, partageaient leurs maigres ressources. Ça a créé une culture de dépendance mutuelle, d’assistance, de franche camaraderie, quelque chose de clanique. »

Ce collectivisme à la mort, ces valeurs de partage, les Glenbuckiens les transposeront sur le terrain. À l’air frais après des journées de 12 heures coincés dans les mines, le foot devient une échappée, leur liberté. Tous se ruent sur Burnside Park, pour des matchs à 40 parfois. « Le charbon était roi, et le football religion. Le foot n’était pas seulement vu comme une récréation, mais comme un mode de vie » , prophétisera Bob Paisley, ancien minier successeur de Bill Shankly à Liverpool dans l’Independent. Dans les années 1880, chacune des six ou sept mines que compte le village possède sa propre équipe et des compétitions « intermines » sont organisées. Ça donne des « The Lady » contre « The Monkey » , ou « Spireslack » vs « Grasshill » . Puis émerge une équipe rassemblant tout le village : les Cherrypickers sont officiellement créés. À Glenbuck, on ne s’embête pas, entre système ultra-offensif – mais alors assez courant – en 2-2-6 et fratries entières sur le terrain. Trois Tait, trois Menzies, deux Bone constituent l’ossature de l’équipe victorieuse des trois premières éditions de la coupe amateur locale, fierté de tout l’Ayrshire. Les raclées s’enchaînent, la furie football est lancée.

Une FA Cup à l’épicerie de Glenbuck

Les joueurs visiteurs, et leurs supporters assez fous pour faire le déplacement jusqu’à Glenbuck, croulaient sous des bombardements de pierres et d’insultes.

Dans The Cherrypickers : Glenbuck, la pépinière de footballeurs, un livret publié en 1951, le révérend Faulds et son compère William Tweedie relatent le tumulte sauvage qui anime la foule lors des matchs : « Malgré toute la conscience de classe des mineurs écossais, les loyautés que le travail encourageait, une telle solidarité était laissée de côté lorsqu’il s’agissait d’un match de football. Les joueurs visiteurs, et leurs supporters assez fous pour faire le déplacement jusqu’à Glenbuck, croulaient sous des bombardements de pierres et d’insultes. » Parfois, les villageois en viennent même à jeter les arbitres dans des étangs noircis par la suie et le charbon. « Un ancien m’a un jour certifié qu’il pouvait compter sur les doigts d’une main le nombre de défaites à domicile de l’équipe, confie Robert Gillan, taxi à Glasgow, qui a raconté l’épopée dans le livre Shankly’s village : the extraordinary life and times of Glenbuck and it’s famous sons. Les adversaires se ramenaient, en prenaient de tous les côtés, et déguerpissaient en se demandant : « Mais qui sont ces gens ? » »

Contrairement à ce qu’on pourrait croire, le jeu des Cherrypickers ne fait pas la part belle aux golgoths et tacles aux genoux. « La tradition écossaise de la seconde moitié du XIXe siècle se basait sur un vrai jeu de passes, et Glenbuck n’échappait pas à cette pratique. C’était d’ailleurs un style très différent de celui pratiqué en Angleterre à l’époque » , indique Adam Powley. Attirés par l’habileté des Écossais, les clubs anglais, devenus professionnels en 1885, les racolent pour pas grand-chose. C’est le temps des premiers pros, des premières légendes. Qui aurait pu penser qu’un jour le trophée de la FA Cup s’exhiberait derrière la devanture de l’épicerie de Glenbuck ? En 1901, Tottenham gagne la coupe avec deux gars du village : Sandy Tait, grosse bacchante et regard qui glace, élu par certains historiens des Spurs comme l’un des meilleurs arrières gauche de l’histoire du club, et Sandy Brown, meilleur buteur de la compétition cette année-là, aussi connu pour avoir mené directement à la mort 25 personnes, l’année suivante lors d’un classique Écosse-Angleterre à Ibrox Park. Comment ? Après un de ses buts, un mouvement de foule provoque l’effondrement d’une partie de la tribune de presque 20 mètres. La rencontre s’arrête quelques minutes, puis les supporters –ceux qui ne se sont pas amoché la tronche – reprennent leur place à côté du trou béant. Sacrée époque.

La légende de Bill Shankly

Le charbon a fait les Cherrypickers. C’est aussi lui qui les consumera. La Grande Dépression de 1929 précipite la fin du travail dans les mines. Jimmy Shankly terminera ainsi nettoyeur de fosses septiques. Si c’est le début de la fin pour Glenbuck, paradoxalement, c’est le début tout court pour ce qui sera la légende du village. Car c’est le moment où le frère de Jimmy, Bill, entame sa carrière professionnelle. Avant la disparition de l’équipe en 1931 face à la désertion enclenchée dans la bourgade, le jeune Shankly aurait même participé à un match amical avec l’équipe. Une honnête carrière de joueur à Preston North End plus tard, il devient entraîneur. Jusqu’à prendre les rênes de Liverpool en 1959. Les valeurs collectives et la philosophie socialiste inculquées à Glenbuck imprègnent alors tout Liverpool. Shankly devient l’entraîneur de la classe ouvrière, celui qui use parfois de son influence pour obtenir un billet pour un match, voire un logement pour une famille en détresse. Il dit : « Le socialisme auquel je crois, c’est le travail des uns au profit de tous, la répartition égale des efforts, des récompenses et des bénéfices. C’est ainsi que je vois la vie, c’est ainsi que je vois le football. » Une remontée en première division, trois championnats, deux FA Cup, une Coupe de l’UEFA : en 15 ans de titres et de loyaux services, l’héritage essentiel de « Shanks » reste sûrement cette culture de la gagne collective.

Tout cet héritage, le SMRT envisage de le transformer en un musée. Gillan, lui, n’a qu’une chose en tête : que Glenbuck redevienne cette pépinière de joueurs. Pour le symbole, il souhaite que son académie de Douglas, un village à quelques kilomètres, y soit déplacée. Les petits, ils les a déjà. Il leur a insufflé le spirit du lieu, les a biberonnés aux récits d’Alex Tait, Bill Shankly et tous les autres. Reste plus qu’à ce qu’ils foulent Burnside Park. Le SMRT est d’accord et l’homme doit désormais batailler pour rassembler les fonds nécessaires. En attendant, il ressasse ce match contre le Shankly Family Foundation FC, venu tout droit de Liverpool. Les petits de Liverpool ne savaient pas ce qu’ils foutaient là : « C’était censé être une sorte de match amical… On l’a fini à neuf. »

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