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Milan, football et gorgonzola

Par Valentin Pauluzzi
Milan, football et gorgonzola

Grâce à cinq promotions consécutives, la Giana Erminio est désormais le troisième club de la métropole milanaise. Voyage au pays du gorgonzola.

Impossible de ne pas esquisser un petit sourire devant la pancarte d’entrée de la ville, du moins quand on est français : « Gorgonzola, ville jumelée avec Ambert » . Pour la fameuse fourme bien entendu. Ils ont osé ! On aurait bien vu le gorgonzola produit sur les vertes collines de l’Ombrie ou dans les montagnes des Dolomites, mais l’un des fromages les plus connus d’Italie provient d’une ville qui se situe à vingt kilomètres de la capitale industrielle d’Italie. Depuis cette saison, Gorgonzola n’est plus seulement synonyme de fromage, mais également de Giana Erminio, le nom du club de la ville, qui est à la base celui d’un jeune chasseur alpin mort au combat durant la Première Guerre mondiale. Cette commune de 20 000 habitants desservie par les transports en commun milanais représente désormais le troisième club de Milan et son agglomération.

Le roi de la mozzarella au pays du gorgonzola

Personne n’a jamais osé s’attaquer à la dictature de l’Inter et du Milan AC sur la capitale lombarde. En effet, aucune autre équipe de la commune de Milan n’a atteint le niveau professionnel dans l’histoire du football italien. Au début du nouveau millénaire, il y eut bien le Brera Calcio – du nom du même quartier, celui de la bohème milanaise – fondé par un journaliste (Gianni Brera), coaché par Walter Zenga et ayant évolué jusqu’en Serie D (5e niveau) avant de disparaître dans les profondeurs de l’amateurisme. Il faut donc pousser jusqu’aux frontières de la province de Milan (l’équivalent de nos départements, mais en beaucoup plus petit) pour tomber sur les clubs de la Pro Sesto et Legnano qui ont fréquenté la Serie A il y a plus d’un demi-siècle. Cantonné au rôle d’ancienne gloire, ils ont été dépassés par un petit nouveau, la Giana Erminio.

À sa tête depuis des années, un triumvirat composé de l’entraîneur Cesare Albé, du dirigeant Angelo Colombo (notre Gérard Jugnot, donc) et du président Oreste Bamonte, propriétaire depuis 1983. Ici, tout est une histoire de fromage. Natif de Salerne, il a monté le caseificio salernitano qui produit… de la mozzarella pour les pizzerias de la région. Un self-made-man parti de rien et aujourd’hui octogénaire. « Il n’a jamais été à l’école, c’est une dame qui s’occupait de lui qui lui a appris à écrire à l’âge de dix ans » , confie le coach qui nourrit beaucoup de respect pour son patron, même si les accrochages quotidiens ne manquent pas.

Le Ferguson italien

La Giana, c’est avant tout une histoire de grands passionnés et de bonhommes véraces. Bonnet vissé sur le crâne, Cesare Albé nous rappelle ces bons vieux entraîneurs de district. Des mecs qui reniflent les pelouses du foot amateur depuis des lustres, de sortie tous les dimanches pour arpenter les terrains cabossés de la région. Cela fait 20 ans qu’il est sur le banc biancoblù, ce qui lui a valu le surnom de Ferguson italien. « J’ai arrêté le foot à 28 ans, je n’étais pas très bon, puis j’ai entrepris la carrière d’entraîneur. Mais attention, j’ai toujours travaillé à côté, 38 ans dans une boîte de communication ! La Giana est mon troisième club, auparavant, j’ai passé douze saisons entre les deux équipes de Cassano d’Adda, ma ville natale et celle de Valentino Mazzola, le plus grand joueur italien de tous les temps ! » Pendant quelques années, il a même eu le plaisir de bosser pour le club de son cœur. « J’ai été talent scout pour les jeunes du Milan dans les années 70, j’ai vu Franco Baresi grandir » , précise-t-il, tout fier.

L’arrivée chez les professionnels (Lega Pro, équivalent de la D3), cet été, l’a contraint à passer des diplômes à Coverciano, le Clairefontaine italien. « Je ne voulais pas le faire à 64 ans, cela me semblait ridicule. Finalement, ce fut une très belle expérience, même si j’avais peur de passer pour un idiot. Je garde de très bons souvenirs des discussions avec les plus jeunes dont je pourrais être le papa, on parlait de foot et de la vie. Il y avait Gattuso, je lui disais que je me sentais comme un intrus, et lui me répondait : « Tu te trompes, les cinq premières années du Milan, je me sentais également un intrus, et ce n’était pas le cas. » » En fait, Albé aurait volontiers quitté le banc de touche pour n’occuper que le rôle de directeur sportif. « Il n’y en a pas ici, je fais les deux, je recrute des joueurs dans les clubs du coin après les avoir vus deux ou trois fois. Il faut évidemment avoir du pif. Vu que je porte les deux casquettes et que j’ai enrôlé tous les joueurs. Je n’ai même pas d’excuses si cela ne marche pas ! Le président ne voulait pas que je laisse ma place. Il disait qu’un nouveau coach aurait ramené ses chouchous, que c’eut été un changement traumatisant. »

« Si on redescend, c’est une tragédie »

La Giana est donc passée du septième au troisième niveau en un peu plus de 24 mois, grâce à trois promotions consécutives et la disparition de l’ancienne Serie C2 cet été. Une restructuration administrative a forcément était nécessaire selon Albé : « On a dû tout faire en vitesse, rester deux ou trois ans en Serie D aurait pu nous permettre de nous consolider. Colombo a compris que c’était une sacrée ascension. » Moustache bien peignée et voix fluette, 35 ans au club, voici l’homme à tout faire. Dans l’organigramme du club, on lui a trouvé le poste de responsable de gestion. « Le 27 avril dernier, jour de la promotion, c’était la fête. Le lendemain, les soucis commençaient. Il fallait attraper le train du professionnalisme, tout en essayant de garder la même structure » , raconte-t-il.

La création d’un service de presse a été ainsi nécessaire, chose faite avec l’arrivée de Serena Scandolo, journaliste à la Gazzetta dello Sport, qui raconte : « Les joueurs faisaient tout l’an dernier, ils s’occupaient de la page Facebook, organisaient les déplacements des supporters, géraient la création des écharpes, des drapeaux. » Il fallait aussi se doter d’équipes de jeunes, accord trouvé avec la Tritium, club voisin et dont l’équipe une a été rayée de la carte. C’est le frangin d’Albé (l’autre est magasinier) qui s’en charge. Il y a aussi la question du stade, à l’heure actuelle, la Giana évolue chez le voisin plus huppé Monza. Mais ce n’est que temporaire, car le stade communal sera bientôt mis aux normes de la Lega Pro. « L’objectif est de revenir ici et de se maintenir dans cette division. Avec tous ces investissements, si on redescend en fin de saison, c’est une tragédie » , s’exclame Colombo.

Travail ou études le matin, entraînement l’après-midi

Et les joueurs passés d’amateurs à professionnels en l’espace de deux ans ? Comment ont-ils géré cette ascension ? Colombo précise : « On n’a fait que des contrats annuels, à nos conditions, c’était à prendre ou à laisser. Et avec le risque de les perdre tous gratuitement l’an prochain. » En fait, le groupe a très peu bougé : « Je n’ai recruté que dans les divisions inférieures, l’idée de prendre une vieille gloire ne nous a pas traversé l’esprit une seconde. D’autant qu’à ce niveau, plus on fait jouer de jeunes, plus la ligue nous donne de l’argent » , confie Albé. Oui, mais l’effectif arrivera-t-il à tenir le choc ? « Mes collaborateurs me disent que mes joueurs sont sûrement au max, moi je pense que non. Je suis peut-être présomptueux en affirmant que ce groupe me suffit, mais j’y crois. »

Pour le moment, ça tient le choc, avec une 13e place au classement et 16 points pris en 13 matchs. « La phase aller est compliquée, le retour ce sera pire » , assure Albé. Le groupe maintient le même rythme de vie que les années précédentes, en poursuivant ses études ou en travaillant. Tous sauf un : le capitaine Andrea Chiappella. Lui a dû renoncer au football en juin. Âgé de 27 ans, banquier de profession, il ne pouvait plus concilier football, travail et famille. Et Albé ne lui en veut pas. Au contraire, il est le premier à pousser ses joueurs à préparer leur avenir : « Quand un joueur de l’Inter ou du Milan arrête, il sera peut-être un imbécile, mais un imbécile riche. Ici, le risque est de n’être seulement qu’un imbécile. » Et un imbécile au fromage, en plus.

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