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Miguel Cardoso, le professeur patient
Après un mois de tergiversation, fausses pistes et négociations avortées, le FC Nantes a finalement mis le grappin sur un spécimen rare pour officier sur son banc l'an prochain : Miguel Cardoso, qui vient de fermer des bouches pour sa première année en tant que n°1 du côté de Rio Ave. Focus sur un idéaliste du jeu qui s'est construit loin de la lumière.
Après Sergio Conceição et Claudio Ranieri, Waldemar Kita reste dans la hype avec un technicien étranger qui risque d’offrir un nouveau courant d’air frais à la Jonelière. Mais au contraire de son compatriote passé par l’Inter et la Lazio qui a rapidement mis le Portugal à ses pieds, Miguel Cardoso, qui ne compte pas de grande carrière de joueur derrière lui, est plutôt du genre à attendre son heure, tapi dans l’ombre. Pendant longtemps, jusqu’à ses 45 berges précisément, le natif de Trofa – entre Porto et Braga – est resté cantonné à un rôle de disciple. Après pas mal d’années à la formation au FC Porto, puis deux en adjoint de Carlos Carvalhal à Belenenses et Braga, cet érudit du ballon – biberonné aux leçons du gourou Vítor Frade himself – s’est lié à Domingos Paciência pour le suivre un peu partout de 2007 à 2013, entre Coimbra, Braga, le Sporting Portugal et La Corogne.
Joue-la comme Gasset
Avec, en point d’orgue, les deux années chez les Minhotos, lors desquelles le Sporting bouscule la hiérarchie du championnat (2e place en 2010) et participe à la prise d’otage portugaise de la Ligue Europa 2011 (défaite en finale face à Porto), avec une solidité défensive saluée et à laquelle Cardoso n’est pas étranger. La suite, pour Miguel le patient, c’est une finale de Youth League à la barre des U21 du Shakhtar Donetsk et un doublé coupe-championnat la saison suivante en tant que numéro 2 de l’équipe première. C’est donc seulement l’été dernier, et après plus de 10 ans d’apprentissage, que le Jean-Louis Gasset lusitanien délaisse son calepin d’adjoint pour enfiler la casquette de boss.
Sur la banquette de Rio Ave, Cardoso affirme rapidement sa patte en Liga Sagres. Avec, au bout, un exercice bouclé à la cinquième position juste derrière les quatre molosses du pays (Porto, Benfica, Sporting, Braga) et un billet pour les qualifications de C3 à la clé. En un an, celui qui est décrit comme « un bourreau de travail » (par son frère Luis) et « un amoureux du football » (dixit l’ex-milieu Marco Paulo) a déjà marqué de son sceau l’histoire du club de Vila do Conde. « Il a une formidable capacité de travail et d’adaptation, témoigne l’ancien défenseur Gaspar, qui l’a croisé au cours de sa carrière. Il n’a pas seulement un plan A et un plan B, il a tout l’alphabet. »
La recherche du beau
Le nouveau crush de Kita père a deux passions : la possession et le pressing. Les deux composantes de base de l’identité de jeu qu’il inculque à ses équipes. Cette identité, le Portugais se plaît à en illustrer l’absolue nécessité par une métaphore : « Quand tu ne sais pas où tu vas, n’importe quel vent t’emporte au loin. On a besoin de principes de jeu clairs, d’une idée forte qui guide l’équipe. » Son idée forte, à lui, est simple : posséder la balle. Voilà pourquoi, quand ses joueurs la perdent, il leur demande de « presser cinq secondes intensément » afin de la recouvrer au plus vite tant qu’elle est encore dans le coin. Là où Ranieri avait consacré le jeu sans ballon pour mieux piquer l’adversaire, Cardoso ne vit que pour « contrôler le match avec le ballon » .
Fier de rejoindre le @FCNantes. Un club avec un riche palmarès, une énorme identité, et des supporters, comme moi, passionnés par le foot. Hâte de commencer le travail comme Canari! #AllezFCNantes pic.twitter.com/s1JxV9OqRp
— Miguel Cardoso (@CoachMCardoso) 13 juin 2018
Son Rio Ave était d’ailleurs, cette saison, la deuxième équipe portugaise en possession. « Je veux des passes courtes entre le gardien et la défense et entre la défense et le milieu de terrain. Mon équipe doit se créer un confort avec le ballon afin de pouvoir, tout en le possédant, chercher les espaces et créer les occasions. » L’opposé parfait de ce que produit le FC Nantes depuis des années, en définitive. L’opposé, même, de l’illustre, mais poussiéreux « jeu à la nantaise » , où l’explosivité primait sur la possession. Un point commun lie toutefois ces deux idées du football : la recherche du beau. « J’aime ce qui est beau, ce qui procure du plaisir, ce qui fait jouir » , expliquait-il ce dimanche dans une interview au quotidien portugais Record : « Il y a de la place pour la beauté dans le football. L’esthétisme du jeu n’est pas une stratégie quelconque, mais la raison pour laquelle une personne peut avoir plus ou moins de plaisir dans ce qu’elle fait chaque jour. »
Le mercato, premier tournant décisif
Applaudi unanimement pour la qualité de son jeu, le Rio Ave de Cardoso a néanmoins manqué de pragmatisme en inscrivant seulement 40 buts en 34 matchs de championnat. Bien que ce défaut trouve sa principale explication dans les carences individuelles des joueurs, contre lesquelles un entraîneur ne peut pas grand-chose, le scénario pourrait bien bégayer à Nantes, où la qualité technique de l’effectif devra être affinée pendant le mercato pour coller au projet du nouvel entraîneur. En attendant qu’il s’installe sur la banquette des Canaris, pour les plus impatients, la conférence donnée par Cardoso à Philadelphie en 2014, devant des dizaines d’entraîneurs de la National soccer coachs association of America, est un bon moyen de toucher du doigt la pensée footballistique de celui qui, comme Conceição avant lui, est déjà pressenti pour s’asseoir tôt ou tard sur le banc du FC Porto.
Et si, au terme du visionnage de cette masterclass, il est impossible d’affirmer qu’il parviendra bel et bien à mettre ces idées séduisantes en place avec le FC Nantes, deux certitudes s’imposent : Miguel Cardoso est un excellent pédagogue et, par là même, un excellent formateur. À la Beaujoire, où le nombre d’abonnés baisse depuis trois saisons et où le souvenir du professeur Suaudeau est un pansement qu’on colle sur sa peine les soirs d’ennui, trop fréquents ces quinze dernières années, on ne demande qu’à s’asseoir et écouter à nouveau. Dans l’espoir de prendre une nouvelle leçon.
Par Albert Marie et Jérémie Baron
Propos de Luis Cardoso, Gaspar et Marco Paulo tirés de Bancada.pt