- Euro 2024
- Finale
- Espagne-Angleterre
Michel Vautrot : « Quand j’arbitrais ma finale, Letexier n’était même pas né »
Dimanche, François Letexier deviendra à 35 ans le deuxième Français à arbitrer une finale d’Euro après Michel Vautrot en 1988. Élu meilleur arbitre du monde en 1988 et 1989 par un panel de journalistes, le Franc-Comtois se souvient du football d’avant, de comment aborder une finale en n’oubliant pas de louer les qualités de François Letexier.
Quels souvenirs gardez-vous de votre nomination pour arbitrer la finale Pays-Bas – URSS en 1988 ?
Dans toutes grandes compétitions, le meilleur moment, c’est celui de la nomination. Quand tu reçois ta désignation, que ce soit une finale, ou un simple match de groupe, c’est le meilleur. Après, les emmerdes peuvent commencer, parce qu’on ne sait jamais comment tourne un match.
Il y avait forcément un peu de fierté au moment de cette annonce…
Forcément il y a un peu de fierté, on est toujours content quand on est sélectionné. Mais il faut aussi se dire qu’on n’est pas le meilleur, il faut garder la tête sur les épaules. Donc grosse fierté, et puis le doute s’installe. On sait que c’est une finale, on va être très regardé dans le monde, on sait qu’une erreur prend des proportions importantes, ce qui est moins le cas dans les tours précédents, donc forcément la fierté est contrebalancée par les doutes, le risque et la peur de mal faire. Mais au-delà de la nomination, il y a le moment des hymnes. Là, on pense à tout ce qu’il s’est passé, les débuts, la famille et tous ceux qui nous ont aidés. Après, il faut tout oublier et foncer !
Qu’est-ce que vous vous rappelez à propos de ce match, qui se déroulait déjà en Allemagne, mais à Munich ?
Ce qui me revient directement à l’esprit, c’est l’ambiance de cette finale entre les Pays-Bas et l’Union soviétique. À cette époque, les seules personnes qui pouvaient sortir de l’URSS étaient les membres de la nomenklatura, du coup le stade était aux trois quarts orange. Un autre fait marquant, c’est ce que j’appelle l’ovni, le but de Van Basten pour les Pays-Bas. Je dois dire, je n’ai même pas vu ce but. Il était dans un angle tellement fermé, la balle est partie si vite de son pied, ce n’est que grâce aux supporters que je me suis rendu compte de la situation. Quand j’ai vu les trois quarts du stade debout, tout en orange, et qui hurlaient de joie, là j’ai compris qu’il y avait but. On en parle encore de ce but, inscrit en lettres d’or dans l’histoire du football, j’ai tellement été surpris par ce but et la réaction, ça m’a marqué.
Arbitrer une finale, c’est l’aboutissement d’une carrière ?
Non pas forcément, parce que ça veut dire dans un sens que ta carrière est terminée ! En plus, on dit souvent que les arbitres les plus expérimentés s’occupent des demi-finales, qui sont considérées comme plus importantes que la finale. Je dirais plus que c’est une étape marquante de ta carrière. Si on le prend comme un aboutissement, on va se laisser aller ensuite, être moins motivé… Et puis regardez, grâce à cette étape, 36 ans après, on me sort du formol pour en parler ! C’est la preuve qu’une finale, ça marque.
Vous avez dit en juin dernier que vous aviez toujours un regard spécial sur les arbitres d’une finale. Pourquoi ? En fait à tous les matchs, moi je suis complètement déphasé. Mon réflexe professionnel est de regarder l’arbitre, sa position, ses courses, les assistants… Je ne regarde pas les matchs comme tout le monde. Même si je vais à un match de district ! Regarder l’attitude, le fonctionnement, la réaction, la collaboration… Mais je ne juge jamais ! Le football a tellement changé, comme l’arbitrage, je suis plus dans une démarche analytique, je n’ai plus les mêmes données, les mêmes contextes qu’eux maintenant.
Dans l’arbitrage et son évolution, quels sont les changements que vous observez ?
Très difficile à dire. Maintenant, le football et l’arbitrage, c’est le jour et la nuit avec mon époque. Cela étant, je fais semblant de m’énerver quand on me dit « il y avait moins de caméras, etc. » Même si c’était en noir et blanc, si tu commettais une grosse erreur, tout le monde la voyait. Les polémiques, il y en avait, il y en a et il y en aura encore dans 40 ans. En revanche, je suis très impressionné par la condition physique des arbitres de maintenant, même si on a tendance à créer maintenant des arbitres robots. Il y a des exceptions, mais c’est robotisé, il y a moins ce côté humain.
Le rapport avec les joueurs a changé aussi, vous ne trouvez pas ?
Oui, je pense que ça aussi, ça a changé. Il y a quelques années j’ai assisté à une finale à Wembley, et j’y ai recroisé Youri Djorkaeff. Je lui demandais : « Est-ce que tu crois que dans 20 ou 30 ans, les arbitres et les joueurs actuels auront le même rapport quand ils se reverront ? » Il me répond que non ! C’est une autre mentalité, même avec des grands joueurs. À ce même match, Ruud Gullit était présent comme consultant, quand j’arrive dans la salle à manger, il s’est tout de suite levé pour venir me faire une accolade. Il n’avait pas oublié. Ces petits détails montrent qu’il y avait peut-être plus d’humanité avant.
Et François Letexier, comment le sentez-vous ?
Un arbitre doit arbitrer avec ses propres qualités, et lui en est le parfait exemple. Ça a l’air facile pour tout le monde, mais il a une progression fulgurante. Cette finale, il ne l’a pas volée ! Ce qu’il fait, c’est extraordinaire. Il fait l’unanimité dans le domaine de l’arbitrage, ce qui est loin d’être facile, et en plus, c’est encore un gamin ! J’y ai pensé la nuit dernière, mais quand j’arbitrais ma finale, lui n’était même pas né ! Il a explosé grâce à ses qualités. Je trouve ça remarquable, il vient de faire deux matchs de Ligue des champions, il fait la finale de Coupe de France, trois matchs de l’Euro, la finale, et il part aux Jeux olympiques ensuite, il a un boulevard devant lui !
Quels conseils lui donneriez-vous avant sa finale de dimanche ?
Oh, c’est lui qui m’en donnerait ! Je n’ai plus du tout la qualité ou la qualification pour prodiguer des conseils pour des gens au top dans un autre monde que le mien. Mais je sais qu’il a la tête sur les épaules, j’ai eu beaucoup d’échos positifs sur lui niveau humain, ça me rassure pour son futur. Pour l’anecdote, je voulais lui écrire pour le féliciter avant la finale. Au moment où j’ai eu l’adresse, il m’a envoyé de lui-même un long message. Sans entrer dans les détails, il disait qu’il était content de prendre ma relève, et qu’au coup d’envoi, il penserait à moi. Ça m’a mis les larmes aux yeux et ça fait chaud au cœur. Je pensais lui faire une surprise, mais il m’a bien eu !
Propos recueillis par Maxime Verhille