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Michel Vautrot après la disparition de Maradona : « C’était la main du diable »

Propos recueillis par Clément Gavard
7 minutes
Michel Vautrot après la disparition de Maradona : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>C&rsquo;était la main du diable<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il y a ceux qui ont joué avec Diego Maradona, ceux qui l'ont affronté et d'autres qui l'ont arbitré. Michel Vautrot fait partie de la dernière catégorie. Dans les années 1980, l'homme au sifflet a croisé plusieurs fois la route du Pibe de Oro, avant même de diriger la fameuse demi-finale de la Coupe du monde 1990 entre l'Italie et l'Argentine dans le temple de Diego, à Naples. En pleine rééducation après une opération au genou, l'ancien arbitre aujourd'hui âgé de 75 ans a accepté de partager ses souvenirs de Maradona au lendemain de sa disparition.

Après avoir appris la disparition de Diego Maradona, plusieurs souvenirs ont dû remonter à la surface. Vous l’aviez arbitré à plusieurs reprises, quels souvenirs en gardez-vous ? Quand les gens meurent, on ne trouve que des qualités, c’est le lot de la mort. Mais honnêtement, j’ai beaucoup cherché depuis hier soir et je n’ai aucun mauvais souvenir avec lui. En plus, il était généralement capitaine, donc j’avais affaire à lui sur le terrain, mais il n’a jamais joué de son statut avec moi. Ce n’était pas un emmerdeur. La grande difficulté pour un arbitre avec une telle légende vivante, ce qu’il était déjà à l’époque, c’est la peur qu’il se blesse. C’est dur à gérer : tu seras accusé de ne pas l’avoir protégé si ça arrive et les adversaires vont t’accuser de trop le protéger. Il y a aussi l’environnement, la pression des autres qui peuvent déstabiliser. Sauf que Maradona était un joueur facile à arbitrer.

En 1984, vous le croisez sur un terrain lors d’un Manchester United-Barcelone. Mais surtout, vous dirigez le quart de finale de C3 entre Naples et le Bayern au San Paolo en avril 1989. En tant qu’arbitre, ce sont des moments qu’on n’oublie pas ? Le stade San Paolo était archi comble ! Dans un tel contexte, cela devrait être facile pour un capitaine et une star comme Maradona de me mettre la pression. Il ne l’a pas fait. J’ai ce flash dans ma tête d’une scène marquante pour moi. Il est remplacé à la 81e minute de cette rencontre (après avoir délivré deux passes décisives pour le succès 2-0 du Napoli, N.D.L.R.), il va donner son brassard à un coéquipier, il quitte la pelouse, et d’un seul coup il revient sur le terrain en se dirigeant vers moi. Je me suis dit dans ma tête : « Mais qu’est-ce qu’il veut ?! » Et il m’a tout simplement serré la main en me félicitant pour mon match. C’est une image qui est restée. Les mauvaises langues diront que c’était pour gagner du temps. (Rires.) En tout cas, ce souvenir restera imprimé dans ma mémoire.

Lors de la demi-finale du Mondial 1990 entre l’Italie et l’Argentine, il y avait toute une partie du stade de Naples qui soutenait Maradona !

Au Mondial 1990, vous arbitrez deux fois l’Argentine : le match d’ouverture contre le Cameroun (perdu 1-0 par l’Albiceleste) et la fameuse demi-finale à Naples contre l’Italie. Pouvez-vous nous raconter l’ambiance particulière de cette rencontre ? Oh oui, tu peux dire que c’était un match particulier, c’était même merdique. À Naples, Maradona était l’idole des gens du coin. Ce n’était pas une ambiance habituelle, tu imagines l’Italie à la maison pour se qualifier pour la finale de la Coupe du monde ? L’équipe locale devrait être poussée par tout un stade. Mais non, il y avait toute une partie du San Paolo qui soutenait Maradona ! Je peux te dire que les Italiens n’étaient pas du tout contents, ils reprochaient aux gens de ne pas les soutenir, ils étaient en colère. Là encore, Maradona a eu un comportement normal. J’ai pourtant expulsé Ricardo Giusti, le privant possiblement d’une finale, ce n’est pas n’importe quoi. Bon, il est peut-être venu râler un peu, il faudra revoir les images, mais ça ne m’a pas marqué. Par ailleurs, je n’ai pas été très bon sur ce match, mais je n’ai jamais cherché d’excuse pour mon erreur. (Il avait oublié de siffler la mi-temps de la prolongation, laissant involontairement le jeu se poursuivre pendant huit minutes supplémentaires, N.D.L.R.)


L’Argentine se qualifie au bout de la séance de tirs au but. Qu’est-ce que vous ressentez dans le stade à ce moment précis ? C’était terrible, tu avais l’impression qu’une bombe atomique était tombée sur une partie du stade. Et sur l’Italie. Une partie du stade était dévastée, mais comme on le disait, ils n’ont pas tous pleuré à Naples. Tout le monde était persuadé que tout était fait pour que l’Italie aille en finale de son Mondial au point de reprocher de faire jouer cette demi-finale à Naples, mais tout est programmé bien à l’avance.

Si j’avais arbitré Angleterre-Argentine et que je m’étais fait avoir, je serais toujours dévasté aujourd’hui.

Quatre ans plus tôt, Diego Maradona s’illustre en marquant de la main contre l’Angleterre en quarts de finale de la Coupe du monde. En tant qu’arbitre, quelle est votre réaction ? (Il réfléchit.) C’est un fait de jeu qui mériterait une étude sociologique. Cette main aurait dû détruire la réputation de Maradona, mais elle s’est transformée en gloire avec la main de Dieu. Mais c’est la main du diable ! Je dois dire que si j’avais arbitré ce match et que je m’étais fait avoir, je serais toujours dévasté aujourd’hui. Je ne veux pas le juger, je me contente de m’interroger. Il n’y avait que lui pour sortir indemne de ça. Il n’y a pas pire que d’éliminer une équipe en marquant de la main volontairement. C’est énorme comme tricherie. Si tu es dans l’équipe d’en face, tu ne peux pas le supporter. Ce qui m’a surpris, c’est que ça a ajouté un chapitre dans sa légende. C’était pourtant un très mauvais exemple de voir l’un des meilleurs joueurs du monde tricher pour des gamins. C’était un exemple terrible.

Avez-vous pu en parler après coup avec l’arbitre Ali Bennaceur ? Non, mais je le connaissais. J’étais malheureux pour lui sur le coup, je me demandais comment il avait pu passer à côté. On se dit pourquoi ça ne m’arriverait pas à moi ? Je ne suis pas un grand fan de la VAR, mais je peux vous dire que j’en aurais bien voulu ce jour-là si j’avais été l’arbitre sur la pelouse, c’est certain. Mais avec la VAR, il n’y aurait peut-être pas eu le mythe. C’est extraordinaire l’histoire de cette main, ça a joué pour Maradona. J’ai lu récemment dans France Football qu’il aimerait rejouer contre les Anglais pour marquer de la main droite. C’est fou ça ! Il ne regrette même pas, il voudrait recommencer. On est obligé de reconnaître qu’il est à part, c’était un talent à l’état pur, ce gars.

Au-delà de votre rôle d’arbitre, était-ce un moment particulier d’être sur le même terrain que Maradona ? Peut-être inconsciemment. Mais j’essayais d’oublier qui était derrière le numéro du maillot pour garder de la lucidité. On est tellement pris dans le match, on a tellement peur de faire une erreur qu’on ne peut pas trop savourer. Bien sûr que c’était agréable d’être au cœur d’une belle action ou d’un beau match, mais ça s’arrête là. Même en tribunes. J’étais présent pour la finale de la Coupe du monde 1990, j’avais cette déformation professionnelle d’être focalisé sur les arbitres.

Vous l’aviez aussi croisé dans une ambiance plus détendue lors du jubilé de Michel Platini à Nancy en 1988. Ce qui est marrant après coup avec ce jubilé, c’est la bannière « No drug » affichée quand on connaît les excès de Maradona, ça peut faire sourire. J’ai vécu un moment privilégié, je n’ai jamais arbitré Pelé et je me suis retrouvé sur la photo avec lui, Maradona ou encore Platini. Des légendes du foot. C’est beau. Ce jour-là, on a dû avoir un repas en commun, mais je ne vais pas faire le malin en disant qu’on s’est tapé sur le ventre avec Maradona, nous n’avons pas eu de discussions en particulier. Ce sont des moments magiques avec de l’humain et des symboles.


Pour finir, qu’est-ce que vous évoque la disparition de Maradona en tant qu’amoureux de foot ? Quand je vois partir des joueurs que j’ai arbitrés, je me dis que ce sera bientôt mon tour. Cela fait bizarre de les voir s’en aller. Maradona restera dans la légende du foot, il restera éternel pour toutes les générations. J’étais à Buenos Aires il y a deux ans, c’est fou là-bas, c’est un dieu vivant, il faut y être pour y croire. Il a tellement apporté au foot, il a fait rêver des gens, il leur a donné du bonheur, il restera au panthéon de ce sport. On le voit bien aujourd’hui dans toutes les conversations, c’est un dénominateur commun. Maradona ne disparaîtra pas.

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