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« La solidarité des clubs n’est peut-être que de façade »

Propos recueillis par Guillaume Vénétitay

Au lendemain de l’audition des dirigeants du CVC et de présidents de clubs, Michel Savin, rapporteur LR de la mission d’information sur la financiarisation du foot, exprime son inquiétude en cas d’accord au rabais sur les droits télé. Et décrypte la solidarité sans faille, pour le moment, des présidents de clubs autour de la LFP et à propos de l’accord avec le fonds luxembourgeois.

« La solidarité des clubs n’est peut-être que de façade »

Cette mission d’information a les mêmes prérogatives qu’une commission d’enquête (obligation de répondre à une convocation, prêter serment, etc.). Pourquoi ?

On voulait avoir les outils pour que tout le monde puisse venir. On ne voulait pas se retrouver dans une situation où les personnes invitées ne répondraient pas à nos invitations. C’est le rôle du parlementaire : il doit voter, mais aussi contrôler la loi. Il y a deux ans, le parlement a voté la loi pour donner la possibilité de créer cette société commerciale (qui a précédé l’accord avec le fonds CVC, qui a versé 1,5 milliard d’euros en échange de l’achat de 13 % du capital, sans limite de durée, de cette filiale en charge de commercialiser les droits TV, la gestion du marketing et de la publicité de la LFP, NDLR). Pour notre mission, on procède au contrôle de l’intervention des fonds d’investissement au sein des clubs, mais aussi de la LFP. Mais notre mission était programmée bien en amont de ce qu’il se passe à la Ligue sur le sujet des droits télés. On a commencé en mars et on pensait qu’une solution aurait été trouvée depuis.

Ce jeudi, vous avez auditionné plusieurs présidents de club (Oughourlian, Létang, Caillot) ainsi que Jean-Michel Aulas. Pourquoi avoir opté pour une table ronde et non des auditions individuelles ?

On a reçu quatre ou cinq courriers de ces présidents avec des paragraphes identiques. Cela me fait penser qu’il y a eu une concertation. Depuis le début de nos travaux, on observe une très forte solidarité entre les différents protagonistes et on l’a bien sentie dans l’audition de jeudi. Mon ressenti personnel, c’est qu’ils veulent se serrer les coudes car il y a un moment difficile à passer, et ce n’est pas le moment de pointer du doigt qui est responsable. Une certaine solidarité s’affiche, au moins aujourd’hui.

Vous pensez que cette solidarité peut s’effriter ?

Cette audition nous a permis de voir qu’ils n’étaient pas tous sur la même ligne. Par exemple, le président de Lille a été moins virulent avec Canal+. Et tous n’étaient pas alignés sur les positions de Jean-Michel Aulas, il a d’ailleurs été précisé par d’autres qu’il n’était plus président… Si les droits domestiques sont à hauteur de 500 millions, on sera loin des 830 millions affichés sur le plan d’affaires, certains voudront rediscuter la distribution. La solidarité va avoir ses limites, elle n’est peut-être que de façade.

Le président de la FFF l’a dit lors de son audition : il craint que si la situation reste telle qu’elle, des clubs seront en dépôt de bilan.

Michel Savin

Quelles seraient les conséquences d’un deal au rabais sur les droits télé ?

Aujourd’hui, on est très inquiets si un accord à la hauteur du plan d’affaires validé entre le CVC et la LFP n’est pas trouvé rapidement. Autrement, beaucoup de clubs risquent d’être en grande difficulté. CVC, lui, ne le sera pas. Jeudi, leurs dirigeants nous ont dit qu’ils espèrent généralement un retour sur investissement en six à sept ans. Si les droits ne correspondent pas à ce qui était attendu, ils ont beaucoup de garanties – c’est normal quand on a mis 1,5 milliard sur la table (en échange, CVC touche 20% des recettes commerciales cette année, puis 13% les saisons suivantes, ndlr) – et sont bien protégés. Le seul risque pour eux, c’est un problème de temporalité, au lieu d’avoir un retour sur 6-7 ans, ils l’auront sur 10-12 ans. Ils ne sont pas perdants. Mais nous, on n’est pas là pour regarder la situation d’un fond d’investissement, mais celle du foot français.

En cas de catastrophe, CVC est donc couvert ?

Si les chiffres sont à cette hauteur de 500 millions d’euros, on a compris qu’il y aurait des discussions : possiblement un étalement, un décalage de ce qu’ils doivent toucher de la société commerciale, réinjecter du cash mais avec un pourcentage plus important… Mais pour les clubs, ce serait reculer pour mieux sauter.

Les présidents ont beaucoup invoqué le contexte (défaillance de Mediapro, Covid-19…) pour se justifier, mais on a justement l’impression qu’ils se cachent derrière cela pour esquiver les questions…

J’ai rarement une réponse à cette question : la LFP et le milieu du foot ont-ils tiré des leçons des épisodes Mediapro et du montant des droits payés par Amazon ensuite (250 millions d’euros) ? On peut se poser la question quand l’objectif affiché est 830 millions, soit le montant de l’acquisition des droits par Mediapro – et on a vu comment ça s’est terminé.  Aujourd’hui, tout le monde est reparti sur les mêmes chiffres. C’est pour ça que j’ai posé la question hier lors de l’audition de CVC : avez-vous tiré les leçons du passé quand vous avez signé ce pacte financier ? Est-ce qu’il y a eu des discussions avec le diffuseur historique qu’est Canal+ ? On a compris que ces discussions étaient très récentes. Est-ce qu’elles sont le fruit de l’échec des discussions entre la Ligue et Canal+ ? Je ne sais pas.

Est-ce que vous avez chiffré ou anticipé de possibles défaillances de clubs ?

Si les ressources espérées ne sont pas là, on ne se fait pas de souci pour deux ou trois gros clubs qui ont, par exemple, un fonds souverain qui viendra assumer leur fonctionnement. Ce qui nous intéresse, c’est la deuxième partie du championnat, avec des clubs très dépendants des droits télé. En cas de manque de recettes, leur seule possibilité, c’est de vendre des joueurs, ce qui pénalise l’attractivité du championnat et donc n’attire pas non plus les diffuseurs. On est dans un cercle inquiétant. Le président de la FFF l’a dit lors de son audition : il craint que si la situation reste telle qu’elle, des clubs seront en dépôt de bilan.

Les clubs ont anticipé des rentrées basées sur ce plan…

Les clubs ont fait signer des contrats élevés à des joueurs sur plusieurs années dans la perspective de recettes issues des droits télé à partir de 2024, mais sans avoir de certitude sur ces recettes. Idem, au moment où les droits télé étaient au plus bas avec Amazon, la LFP a engagé l’achat d’un nouveau siège à hauteur de 130 millions. Tout cela est très surprenant.

Vu que la LFP est liée à une délégation de service public entre la FFF et le ministère des Sports, pouvez-vous intervenir sur ce genre de décisions ?

Si la LFP avait 1 milliard de droits télé et souhaitait acheter des bureaux à 130 millions, c’est leur problème. On n’a pas à s’immiscer. Mais aujourd’hui, cela nous inquiète car les clubs risquent d’être les grands perdants si on n’atteint pas les montants attendus. Et les clubs, ce sont des salariés, un territoire où une économie serait affaiblie. C’est là qu’on a notre rôle. Mais ce sont les présidents qui votent, avec des décisions à l’unanimité. Pourquoi ? Je ne sais pas.

Personne ne voulait être celui qui soit accusé de faire capoter le projet. On ne va pas parler d’omerta, mais certaines personnes nous ont dit qu’elles n’auraient pas eu les mêmes réponses lors d’une audition publique.

Michel Savin

Vous avez aussi procédé à des auditions non publiques de certains présidents. Que vous ont-ils dit ?

Certains présidents nous ont dit qu’il y avait eu une pression. On a posé la question, le président (de la mission parlementaire, NDLR) Lafon a relu le PV expliquant qu’il y a eu une demande d’unanimité pour le vote (pour le deal avec CVC, NDLR). On nous a répondu : « Si vous considérez ça comme une pression… » Mais on peut s’interroger : en demandant l’unanimité, c’était quasiment : « celui qui vote pas, il met en péril le projet ». Personne ne voulait être celui qui soit accusé de faire capoter le projet. On ne va pas parler d’omerta, mais certaines personnes nous ont dit qu’elles n’auraient pas eu les mêmes réponses lors d’une audition publique.

Jeudi, vous avez mis en difficulté les dirigeants de CVC, qui n’étaient, semble-t-il, pas au courant du montage pour la rémunération de Vincent Labrune. Vous aviez préparé votre coup ?

Absolument pas. Réécoutez l’audition : c’est d’abord CVC qui me liste les personnes rémunérées par la société commerciale. Je demande donc ce qu’il en est pour le président. Ils me disent non. Je repose trois fois la question, car je le sais. Heureusement que j’ai un document de la Ligue. Parce que ça aurait été ma parole contre la leur. Le document de la Ligue précise la rémunération du président à 1,2 million dont 50% refacturé à la filiale LFP 1 (la société commerciale créée lors de l’accord avec CVC, NDLR).

Vous pensez qu’ils n’étaient vraiment pas au courant ou qu’ils ont essayé d’esquiver ?

J’ai eu l’impression qu’ils découvraient cet accord sur la rémunération. Ce qui est encore plus inquiétant.

L’audition de Vincent Labrune le 26 juin est très attendue. Est-ce que c’est finalement lui qui peut apporter le plus de réponses à vos questions ?

Il est le président, mais il ne décide pas tout seul. C’est un ensemble. Son audition n’est d’ailleurs pas la fin de notre travail. Il est beaucoup mis en avant, plutôt par la presse, qui ne parle pas trop de notre mission, mais forcément, le contexte politique est un peu plus compliqué. À la veille des législatives, ce n’est pas la priorité des Français et loin de là.

Est-ce que l’exécutif et l’Elysée ont fait passer des messages pour calmer le jeu d’ici la fin des négociations des droits télé ?

Nous, on n’a aucun contact avec l’Elysée. On a auditionné Cyril Mourin, conseiller sport de l’Elysée, et Roxana Maracineanu, l’ancienne ministre.

Quand se termine votre mission d’information ?

On va travailler jusqu’en septembre. On remettra notre rapport et peut-être qu’on fera des préconisations pour que des choses repassent par le parlement. On a bien voté la loi en 2022. On n’en est pas là, mais on ne ferme aucune possibilité.

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Propos recueillis par Guillaume Vénétitay

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