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Michel Platini ou la chute d’un animal politique

Par Alexandre Pedro
6 minutes
Michel Platini ou la chute d’un animal politique

Il voulait rendre le football aux footballeurs. Mais pour mettre ses idées en application, Michel Platini a d’abord appris à devenir un politique. Un élève doué dont la seconde carrière s’est peut-être arrêtée ce 21 décembre 2015 avec sa suspension de huit ans par le comité d’éthique de la FIFA.

Michel Platini a arrêté sa première carrière le 17 juin 1992. Ce soir-là, à Malmö, son équipe de France est sortie de l’Euro par les revenants danois (2-1). Le sélectionneur, invaincu en qualifications, démissionne dans la foulée. On ne reverra jamais l’ancien meneur des Bleus sur ou au bord des terrains autrement qu’en costume trois pièces. Platoche jure ne pas avoir l’âme d’un entraîneur. Il a 37 ans et se demande bien ce qu’il va faire de sa vie en dehors de son activité de consultant pour Canal+. Platini n’aura pas le temps de trop douter. Le 12 novembre 1992, la France gagne l’organisation de la Coupe du monde, et Fernand Sastre lui demande de le rejoindre pour devenir son coprésident. Il ne le sait pas encore, mais les 23 années suivantes seront une suite de congrès, de banquets, de manœuvres en coulisses et de promesses de campagne. Bref, une vie de politique quelque part entre Zurich et Nyon, entre la FIFA et l’UEFA.

Et comme sur le terrain, le gamin de Jœuf voit et pense vite. Sur la lancée d’une Coupe du monde réussie où il s’est retrouvé seul maître à bord après le décès brutal de Sastre, il devient membre du conseil fédéral de la FFF et continue d’apprendre auprès de Jacques Lambert, le directeur de France 98 et l’homme sans qui rien ne se fait dans le foot français. « Je suis rentré un peu dans le monde des dirigeants » , admet-il. Et comme la vie est une histoire de rencontres, le triple Ballon d’or fait celle de Sepp Blatter. Le secrétaire général de la FIFA lorgne sur le siège de président promis alors à Lennart Johansson. Face au président de l’UEFA, Platini est l’atout glamour du Suisse. Déjà, il porte cette idée qui sera son mantra jusqu’à aujourd’hui : « Le football au footballeur » . De 1999 à 2002, il sera le conseiller de Blatter et continuera d’avancer ses idées. À l’époque, il passe encore pour un romantique, personne ne songe d’ailleurs à se méfier de celui qui a encore de l’herbe accrochée sur ses mocassins. Il faut dire que les instances du football international sont un marécage où les anciens joueurs sont rares.

« En politique, tu n’es pas sur le terrain, quand deux ou trois dribbles suffisaient à montrer que tu étais le meilleur »

Cette image de réformateur, le fils d’émigrés italiens la renforce quand il s’oppose au G14, le lobby des clubs nantis qui menacent alors de faire sécession en Europe. Il est l’homme qui dit non à l’argent tout puissant. « Moi, je ne me résous pas à ce que le CAC 40 et la Bourse dominent le football » , déclarait-il en 1998 dans L’Équipe. Malgré un anglais de collégien, l’homme sait séduire. Il a la petite blague facile et ne craint pas d’enchaîner les dîners (son coup de fourchette l’aide bien) pour convaincre ses interlocuteurs et entretenir son réseau. En 2005, il pense très fort à la présidence de l’UEFA et plus seulement en se rasant. Le candidat a des idées, on ne peut pas lui enlever, mais encore faut-il être en situation pour les appliquer. Dans un entretien à France Football, il explique comment il s’est converti à la réal-politique. « Je deviens même un peu hypocrite. Comme tu as besoin de flatter des gens pour qu’ils t’élisent, tu deviens un peu plus diplomate, tu mets de l’eau dans ton vin, tu avales des couleuvres, etc. En politique, tu n’es pas sur le terrain, quand deux ou trois dribbles suffisaient à montrer que tu étais le meilleur. Là, pour être le plus fort, il faut convaincre par d’autres arguments. Or, si je suis antipathique ou con, je n’y arriverai jamais. » Et l’élève apprend vite.

En 2007, il détrône un Johansson qui vise alors un troisième mandat et dispose de l’appareil de l’organisation et du soutien des gros pays (Angleterre, Allemagne, Espagne). Outsider, le Français met le cap à l’est et accumule les miles pour séduire les petits pays nés de l’éclatement de l’URSS un par un. Il n’a pas le réseau de son concurrent, mais il est une légende de son sport et un hôte qu’on aime avoir à sa table. Il peut aussi compter sur l’influence de son ami et ancien coéquipier de la Juve, Zbigniew Boniek, pour séduire les anciens pays du pacte de Varsovie. Platoche a bien compris que la voix de la Lettonie compte autant que celle de l’Allemagne, il propose une mesure qui ne coûte pas grand-chose en favorisant la participation des petits pays en Ligue des champions. Derrière, les médias embrayent – surtout en France où l’ancien numéro dix compte pas mal d’amis – et présentent Johansson comme un vieil apparatchik dépassé. Blatter, lui, n’a pas oublié l’aide du Français pour battre le même Jonhansson à la présidence de la FIFA en 1998 et fait jouer ses appuis, discrètement bien sûr.

Le chevalier blanc tombe de cheval

« J’ai des idées pour le football et pour les mettre en pratique, il faut gagner. » Platini a gagné et applique certaines de ses idées, comme le fair-play financier ou l’élargissement de la Ligue des champions. Comme président de l’UEFA, le Français tient plus du réformiste social-démocrate que du révolutionnaire. La vie d’un président est aussi faite de petits compromis, de renvois d’ascenseur et de quelques renoncements, mais le patron du football européen parvenait tant bien que mal à garder cette image de réformateur. S’il était devenu un politique roué, c’était pour servir une certaine idée du foot. C’est que beaucoup veulent croire. À la différence d’un Blatter, Platini n’aime pas le pouvoir pour le pouvoir, il a aussi envie d’être aimé et admiré comme le joueur qu’il a été. Sauf que son soutien appuyé au Qatar pour l’organisation de la Coupe du monde 2022 va contribuer à brouiller cette image de chevalier blanc. Blatter saura appuyer dessus par la suite. Avec le Suisse, Platini va longtemps retenir ses coups, comme s’il avait peur de mordre la main qui l’avait nourri. Peut-être parce qu’il a longtemps pensé que son image lui permettait d’être à l’abri des répercussions du scandale de corruption qui allait éclater à la FIFA en mai dernier. Platini a fini par demander la tête de Blatter et s’est proposé pour nettoyer les écuries d’Augias. Son ancien mentor n’a pas manqué de rappeler que lui aussi les fréquentait depuis des années. Le candidat à la présidence de la FIFA était-il trop naïf pour ne pas comprendre que son nouvel ennemi allait tout tenter pour l’entraîner dans sa chute ? Avait-il oublié cette pige à presque deux millions d’euros qui allait bien ressortir un jour ou l’autre ? Michel Platini n’a rien vu venir ou peut-être a-t-il préféré ne rien voir. À 60 ans, on est encore jeune en politique.

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