- FIFA
Michel Platini, le retour du Roi
Michel Platini, qui n’a finalement pas pris sa retraite, est de retour sur le terrain judiciaire aussi bien que politique. Avec, peut-être, le rêve secret de devenir enfin et malgré tout le président de la FIFA. Un poste lui ayant échappé par le passé, pour des raisons qu’il considère uniquement comme un règlement de compte personnel. Mais est-il l’homme de la situation, qu’il s’imagine incarner pour « sauver le football » ?
Il fait les choses dans l’ordre, et chacun peut y déceler un plan de bataille. Depuis que son éloignement de toute responsabilité dans le foot – bannissement de quatre longues années – a pris fin en octobre, l’ancien n°10 dégaine une à une ses cartes et ses cartouches. D’abord, en appelant à la justice de son pays. De la sorte, il a porté plainte en France pour « dénonciations calomnieuses » et « association de malfaiteurs en vue de commettre le délit » en question. Le parquet de Paris lui aurait donné raison – du moins dans la démarche -, et transmis son avis à son homologue suisse. Derrière la procédure, un discours : « Je suis la victime d’une machination, certainement pas coupable des dysfonctionnements du système et encore moins fautif personnellement. » Bref, il est un bouc émissaire et un innocent.
L’objectif final semble assez simple : se débarrasser, avec l’extrême onction des tribunaux, de cette suspicion autour de son salaire de près de deux millions de francs suisses. En effet, difficile avec un tel fait sonnant et trébuchant de se présenter les joues roses dans les bureaux de Zurich malgré une storytelling que racontent et défendent ses amis dans les médias – Jacques Vendroux en tête. Mais l’absolution pénale suffira-t-elle, pour réparer les dégâts et l’image de l’ancien héros des Bleus ?
Match retour ?
Car nous sommes, de fait, sur un terrain politique. Celui d’un retour, et d’une revanche. Certes, Michel Platini ne s’était pas vraiment retiré. Exclu ou mis en quarantaine du monde du football, sa stature et son aura pouvaient se passer d’un mandat. Il était le long remord de la séquence qui avait vu chuter la maison Blatter, et arriver un Infantino en chevalier blanc. Perdant et poursuivi par des affaires sans être condamné, il reste écouté et surtout populaire d’une certaine manière. Il se sait toujours aimé, et surtout en France (à l’étranger, les regards sont plus mitigés et on différencie plus aisément le grand joueur du dirigeant). Il conserve des réseaux, du moins encore quelques-uns, et un carnet d’adresses.
Depuis la Coupe du monde en Russie, il a commencé à rentrer dans le débat de fond. Taclant l’actuel président, son ingratitude, son manque de vision, son manque d’ambition pour le sport numéro un dans le monde… Infantino tient la maison bien rangée, Platini promet d’ouvrir les portes. Une opposition assez simple entre les valeurs et le pragmatisme, dont on sait par habitude qu’elle dissimule beaucoup de non-dits sur le passé et de futures trahisons. Le programme peut-il séduire suffisamment pour renverser l’ordre établi, celui-là même qui en a fait un paria pour assurer sa survie ?
Des obstacles assez hauts
Parce qu’il ne cache à personne son envie de reprendre du galon, dans ce football qui est toute sa vie. Dans un grand club ou à la FIFPro, donc un lieu de pouvoir et de rayonnement, alors que les grandes batailles autour des formes d’organisation des compétions européennes ou mondiales deviennent de plus en plus décisives. Bref, il cherche une belle porte d’entrée vers le Graal. Qui sait, à la FFF alors que le règne de Noël Le Graêt semble arriver à son terme et dont aucun successeur ne s’est fait connaître pour l’heure (même si cela reste, néanmoins, un peu trop petit pour lui) ? Le voilà donc en tournée promo, avant la sortie de son livre, dans la posture de l’oppositionnel de gauche, d’un Trotski qui condamne les dérives d’un système qu’il a lui-même mis en place.
Pourtant, de nombreux obstacles bien concrets se dressent devant lui. En 2019, et pour les années à venir. À l’instar de tous les déchus, il ne comprend toujours pas pourquoi, sur le fond, il est tombé. Comme si le croche-pied opportuniste de ses anciens amis en vidait le sens. Naturellement, Infantino ne dégage ni son charisme ni sa passion du ballon rond, mais il a au moins rassuré la « famille » et fait rentrer l’argent – quelle naïveté de croire que la FIFA sert à autre chose. Pour se faire élire, avec ce qui lui sert officiellement de cheval de bataille, il faudra non seulement une révolution de palais à Platini, mais aussi des mœurs au sein de cette vénérable institution bien au chaud à l’abri des alpages helvètes. On doute que des propositions éthiques puissent renverser le point de vue des bons notables du foot mondial.
Un cauchemar nommé Qatar
Et même le terrain politique, notamment en France, est loin d’être déminé. Les batailles juridiques vont continuer à alimenter l’actualité avec un focus sur une facette du personnage moins reluisante, celle de la Coupe du monde au Qatar. Ce cauchemar à venir va empêcher la FIFA de dormir, jusqu’en 2022. Ce qui vient de se passer avec l’athlétisme en a fourni un avant-goût assez amer, entre conditions climatiques, droits des travailleurs et tensions géopolitiques. Les personnes actuellement en place auront le beau rôle de rappeler que c’est en grande partie à lui, le pur, qu’on doit ce petit voyage au bout de l’enfer qui pourrait même menacer tout l’édifice. À côté, les enjeux autour de la VAR sembleront bien dérisoires.
Cette grande ombre, qu’il continue d’ignorer ou de s’en laver les mains pourtant sales, va bouffer la vie du foot et la sienne. Il semble également vouloir ignorer que depuis son éviction, la situation du football a bien changé. Désormais sous les feux des leaks, des juridictions anti-corruption et d’une presse qui ne verse plus forcement dans la complaisance permanente, son retour ne sera pas seulement scruté, mais sûrement critiqué. L’opinion publique et médiatique, qui sont ses principaux alliés, pourraient se retourner contre lui. Pendant que de l’autre coté des Alpes, on construit déjà des murs pour se prémunir du félon.
Par Nicolas Kssis-Martov