Platini et Blatter : la tournée des patrons

C’est l’histoire de Michel Platini (69 ans), qui s’est rappelé subitement en 2011 que la FIFA lui devait 2 millions de francs suisses (1,8 million d’euros), une promesse orale de son ami Sepp Blatter, président de l’institution, pour des conseils prodigués entre 1998 et 2002. Cette somme s’ajoutait au contrat déjà réglé, prévoyant pour cette même période une rémunération annuelle de 300 000 francs suisses. Michel Platini est sûrement et simplement un peu étourdi, et après tout, l’argent, quelle que soit la somme, compte si peu à ses yeux. Heureusement Sepp Blatter était un homme de parole…

C’est aussi l’histoire d’une justice suisse pour qui un accord oral vaut autant qu’un contrat écrit et qui vient encore de relaxer les deux anciens big boss du foot mondial, en donnant foi à leur témoignage alors que 20 mois de prison étaient requis contre eux. L’avocat de l’ancienne gloire des Bleus, Me Dominic Nellen, peut triompher : « Après deux acquittements, le parquet fédéral doit lui aussi admettre que cette procédure pénale a définitivement échoué. Michel Platini doit enfin être laissé en paix sur le plan pénal. »

Une bascule dans l’histoire de la FIFA

Toutefois, cette séquence peu glorieuse, qui devant les tribunaux tourne à la pantalonnade, a eu des effets non négligeables sur la vie de la multinationale du ballon rond. Me Dominic Nellen l’a fort justement souligné au sujet de son client : « La procédure pénale a notamment empêché son élection à la présidence de la FIFA en 2016. » En effet, outre Sepp Blatter, mis au ban de son ancienne famille sur laquelle il veillait pourtant en parrain compassionnel, ces révélations ont coupé net l’élan de Michel Platini vers un siège qui lui semblait promis et qui aurait constitué la consécration d’une vie dédiée à son sport. « Je sais que pour mes ennemis, c’était le temps qui était important. Ils s’en foutent des 2 millions : c’est le temps. Ils m’écartaient pendant 10 ans », a réagi Platoche.

Au lieu de ce scénario parfait, Gianni Infantino, enfant du système, que personne n’avait vu débouler avec son appétit carnassier, s’est emparé du trône et n’a plus jamais laissé personne le déloger de son siège. Il a depuis presque fini par nous faire regretter ses prédécesseurs et anciens amis, de ses accolades à Poutine jusqu’à sa défense sans remords et sans morale de la Coupe du monde au Qatar. Et lui non plus n’a jamais oublié de se « payer » au passage. Le dernier spectacle qu’il a offert dans le bureau ovale, en serviteur zélé de Donald Trump, laisse entrevoir que le prochain Mondial nord-américain écrira quelques pages supplémentaires de son règne calamiteux.

Le pire dans cette affaire demeure la façon dont tout ce petit monde fonctionne, sa désinvolture, ses habitudes de quasi-noblesse, ses arrangements entre gens de bonne compagnie et autres cadeaux entre amis. Sans même réaliser l’indécence ou le mépris de leur attitude. Michel Platini racontait ainsi la négociation de ce fameux salaire dans un monde sans monnaie unique : « J’ai voulu un peu plaisanter et j’ai dit “un million de ce que tu veux : des roubles, des pesetas, des lire”. Et M. Blatter a dit “1 million de francs suisses”. » Nous sommes bien loin des valeurs d’un sport populaire qui s’épanouit sur les terrains vagues des quartiers ou de la primauté du « jeu » dont Michel Platini avait fait l’étendard de son programme. Des échanges de bon procédé qui par ailleurs ne sont pas forcément dénués d’intérêts. Le procureur fédéral Thomas Hildbrand avait rappelé le soutien apporté par Michel Platini à la réélection de Blatter à un quatrième mandat, en mai 2011, faisant planer le soupçon de corruption dans le prétoire.

En attendant la suite…

Si Michel Platini a conscience être aujourd’hui « trop vieux » pour briguer quelconque poste dans le football, ses péripéties ne sont pas véritablement terminées, sans compter l’ombre qu’elles jettent sur sa carrière. Le ministère public de la Confédération helvétique avait annoncé récemment au Monde mettre en suspens la procédure pénale sur l’attribution des Coupes du monde 2018 et 2022, puisque des enquêtes similaires sont en cours en France et aux États-Unis. Michel Platini est notamment dans le viseur des investigations du Parquet national financier, de même que Nicolas Sarkozy alors président de la République. Bref, les petites manies et autres arrangements des instances du foot mondial et de ceux qui en assurent la direction n’ont pas fini de dérayer la chronique. La Coupe du monde des clubs puis le Mondial 2026 risquent de nous en fournir une nouvelle illustration.