- Entretien ultime
Michel Platini : « Avec Blatter, on a loupé l’arrivée de l’argent dans le football »
Il est venu inaugurer la 7e édition du Festival Sport, Littérature et Cinéma autour du film Michel Platini, le libre joueur. C’est aussi, en creux, le sous-titre officieux de l’intervention qui a suivi. Venu en représentant désormais apaisé de la joie du jeu et des joueurs de football du monde entier, il a échangé de manière très décontractée avec l’assistance. Au menu : le football évidemment, mais aussi Marguerite Duras, Kobe Bryant, les hommes de pouvoir ou encore... Dely Valdés. Une soirée au bout de laquelle reste en suspens une question : le monde du football peut-il encore offrir une place de choix pour accueillir la personnalité romantique, passionnée et malicieuse de Michel Platini ?
La soirée a commencé par la projection du court-métrage de Kobe Bryant primé aux Oscars : Dear Basketball dans lequel il s’est, étonnamment, « pleinement reconnu » . Puis la projection de Michel Platini, le libre joueur, réalisé par le fils d’un collaborateur de longue date de Platoche, a été reçu comme « un film honnête » par le principal intéressé. Un film sur sa passion du jeu, sincère, et la difficulté de lutter contre le business tout en évoluant dans les milieux de pouvoir,
le tout avec un style bien à lui, quelque part entre une grande sincérité et une forme de négligence, de celle qui fait et défait les carrières dans les couloirs feutrés. Avant d’échanger avec la salle, c’est le patron de l’Institut Lumière et du Festival de Cannes qui a posé les premières questions.
C’est un film sur la partie très heureuse de votre vie de dirigeant, et les ennuis ont commencé juste après…Non, je suis toujours heureux. J’ai une vie exceptionnelle. Après, il y a des inconvénients, des petits soucis, mais quand je vois ce qu’il s’est passé avec M. Kobe Bryant, moi, c’est rien, c’est pas grand-chose. Il y a tellement de malheurs dans la vie, ce qui m’arrive n’est pas très grave du tout. J’essaye d’être positif. Quand on est un leader et que les gens comptent sur vous, que l’équipe, les dirigeants, le public comptent sur vous, vous êtes obligé d’être toujours vrai, de faire marcher les choses. Il n’y a que des solutions, on va essayer de trouver des solutions. Je n’ai pas de problèmes. Je ne vais pas me plaindre parce qu’à la FIFA, ils n’ont pas voulu de moi. C’est bon, ce n’est pas très important…
Comme joueur, vous avez eu beaucoup de reconnaissance, et ensuite…Quand vous avez la pression en club, vous avez la pression. Là, ce qui m’arrive, c’est individuel. Beaucoup de personnes croient en ma philosophie et voudraient que je revienne dans un monde où elle peut être défendue. C’est un peu compliqué. Je m’en fous, c’est pas grave, on fait autre chose.
En quelques années de dirigeant, vous avez infléchi le jeu…Des grandes décisions que j’ai prises dans ma vie, il y en a eu deux importantes, après la Coupe du monde en 1990 en Italie, qui n’était pas la plus horrible, mais la plus dure, celle avec le moins de buts marqués, donc il y a eu une task force organisée par M. Havelange. J’ai été invité en tant que sélectionneur des Bleus. Il fallait donner plus de valeur, rafraîchir un peu le football, avec moins de coups, et plus de jeu, donc j’ai fait changer deux choses. La première, c’est la passe en retrait au gardien de but, c’est moi qui ai interdit qu’il puisse prendre la balle à la main. Et la règle du tacle par derrière, c’est carton rouge, eh bien c’est moi aussi, pareil. Une troisième règle, et celle-là, elle n’est pas moi, mais qui était très bonne aussi,
c’est de mettre plus de ballons autour du terrain. C’est un exemple, mais à Naples, si on était menés 1-0 à la 5e minute de jeu, si le ballon sortait, il revenait à la 85e, hein, on ne le revoyait plus, il y avait des ramasse-boules, les mecs prenaient le ballon, jonglaient devant nous, hop, hop, et on ne pouvait rien faire, on aurait pris des bouteilles. Ils nous le redonnaient quand ils avaient envie. Avec tout ça, la durée de jeu effective est passée de 45 minutes à 70 minutes. Si ces règles-là avaient existé, peut-être que j’aurais arrêté ma carrière à 35 ans et pas à 32 ans.
D’où vient cette passion pour le football ? Vous dites dans le film que c’est que, enfant, il n’y avait pas d’ordinateurs…Entre autres. Moi, je suis né dans un café où il y avait des émigrés italiens et polonais, ils parlaient de football, on regardait les finales de Coupe d’Europe, mon papa était entraîneur, c’était un contexte. Mais c’est vrai qu’il n’y avait pas d’autre chose. Il n’y avait pas de voitures. Moi, la mer, la première fois que je l’ai vue, j’avais 14 ans. Et encore, c’était avec une colonie de vacances, pas avec mes parents, mais on était heureux.
À quel moment avez-vous senti que vous aviez un truc de plus que vos copains ballon au pied ?Jamais. Même pas aujourd’hui. Il y a des matchs, j’avais quelque chose de moins, d’autres quelque chose de plus. Dans les années 1960, le football était un jeu. On était tous dans la rue, à l’école, on avait des boulettes de papier. C’était la joie, la passion. Je jouais à la récréation et quand j’étais fatigué, j’allais faire des études. Le film de Kobe Bryant, c’est mon histoire : tu joues, tu t’amuses, et à un moment donné, ton corps dit stop, et il n’y a pas de regret. J’ai enchaîné vite sur plein de choses. Je suis rentré à Canal Plus pour vivre une vie sans courir après un ballon, et au bout de six mois, je suis devenu sélectionneur de l’équipe de France. Je n’étais pas préparé, du tout. J’ai accepté pour rendre service à la Fédération, et suis resté cinq ans. Une fois que j’ai décidé d’arrêter, M. Mitterrand et M. Glavany m’ont demandé de faire avec Platini-Sastre, un duo comme Killy-Barnier lors des Jeux d’Albertville.
Quand vous arrêtez à la Juve, nous, on avait le sentiment que vous en aviez encore…Ouais, mais… E finita la benzina. Plus d’énergie. J’étais resté blessé toute l’année de la Coupe du monde, j’étais sous anti-inflammatoire, j’avais décidé d’arrêter, je n’étais pas bien durant toute la Coupe du monde 1986. Je boitais. Je n’étais pas dans un état normal. Après, les Coupes, c’est les Coupes, ce n’est pas les meilleurs qui gagnent. En 1982, on disait qu’on pouvait la gagner, mais je ne pense pas qu’on pouvait le faire contre l’Italie, alors qu’en 1986, on était la meilleure équipe du monde incontestablement. L’équipe aurait pu être au top de sa forme, mais on était trois joueurs, Giresse, Touré et moi, dans un état lamentable, à être en dessous. On ne savait pas cela, mais il suffisait de voir l’état de ma chaussure gauche, j’avais découpé tout l’arrière, car ça frottait sur le talon.
On voit dans le film ce moment étrange : cette fameuse rencontre avec Marguerite Duras, avec Platini qui répond spontanément, de manière normale, et naturelle, dit des choses intelligentes, et elle sur la philosophie de la vie, mais c’est elle qui paraît étrange aujourd’hui… Ouais, c’est étrange, hein ? Complètement étrange même. C’est Libération qui a voulu. Moi qui ne me sentais pas à l’aise avec les mots, je ne savais pas que c’était l’écrivaine à la mode, je suis désolé, ce n’était pas forcément mon univers. Mais sincèrement, après, on m’a pris pour un intellectuel, donc c’est une belle rencontre, sympathique ! Bon, elle était un peu aidée dans son approche du football, elle ne connaissait pas grand-chose. Ça fait un très beau papier. Pour le football, ça a aidé, pour moi aussi, mon image. Après, il y a des moments où je ne comprenais pas les questions… On me les traduisait.
Vous ne perdez jamais votre décontraction dans le film, même avec des hommes de pouvoir…Bah non, on est dans le football, qu’est-ce qui devrait nous stresser ? Je suis dans les instances internationales depuis 1998, le seul problème, c’est qu’on n’est plus confrontés au jeu.
Avant, je parlais de football, or ce monde-là ne parle plus de football, mais de politique du sport. Dans ce monde-là, on est plus tendus par un problème de sécurité ou une bêtise de l’arbitre que par qui marque un but. En tant que responsable de la compétition, vous êtes tendus. Je ne suis pas dans la capacité de juger le jeu, avoir un regard sur la technique, la tactique (Michel Platini aura été plusieurs mois très, très marqué par sa sortie des instances, sa garde à vue en France, et aura du mal à regarder de nouveau un match de football, N.D.L.R.). J’ai du mal à comprendre certains commentaires des journalistes… C’est un autre métier, et je me suis complètement éloigné du terrain. Mais j’ai toujours un œil sur les joueurs. Mais je ne suis ni pour l’un, ni pour l’autre, on m’a anesthésié, je ne peux plus supporter quelqu’un. Prenons un exemple : s’il y a un but de l’Espagne, je ne peux rien montrer, pas sourire, sinon l’équipe adverse et ses supporters vont m’insulter. « Ah oui, il était pour l’Espagne, l’autre abruti… » Bon, voilà, c’est comme ça… Messi-Ronaldo, moi, je suis pour les deux ! On m’a appris à être neutre quand je suis arrivé président de l’UEFA, j’étais devenu le président de tout le monde.
Le Heysel, vous en gardez quel souvenir ?Oui, ça a été un tournant, dur, très dur… Nous les joueurs, on était les seuls à ne pas savoir qu’il y avait beaucoup de morts. Je pense que la décision de l’UEFA de faire jouer était la bonne. Jouer, ça a aussi sauvé beaucoup de vies. Je suis allé avec Gaetano Scirea sur le terrain pour calmer les supporters, mais à l’époque, les supporters, ils ne sont pas au stade avec des smarties ou des tablettes de chocolat, hein, ils avaient du lourd… S’ils avaient su qu’il y avait des morts de l’autre côté, ça aurait été une petite guerre civile à Bruxelles. Après, mon papa était au stade de l’autre côté, et il n’a eu connaissance des morts que le lendemain. Quand je marque le but, je suis heureux. Et le journal Libération dit : « Platini danse sur le ventre des morts » … C’est difficile. Je suis allé voir les gens à l’hôpital. Moi, je ne jouais pas au football pour voir des gens se faire tuer. Ça a été le début de mon retrait, disons.
Extrait sur le Heysel de Michel Platini, le libre joueur, de Gaël Leiblang
Votre opposition historique à l’arbitrage vidéo est connue. Vous en êtes où ?J’ai joué devant les télévisions pendant vingt ans, donc je sais que ce que montrent les télévisions et disent les commentateurs, ce n’est pas la réalité, ça ne donne pas la vérité. Si on veut une vraie justice de l’arbitrage vidéo, c’est très compliqué, faut remonter au début, les gens au stade, on leur enlève les émotions, on ridiculise les arbitres, qui n’ont plus aucune crédibilité. On demande à ceux d’en haut ? Bon, bah ils ne sont pas plus intelligents que ceux d’en bas. J’ai été footballeur et je sais que ce n’est pas la vérité.
Touche-moi ! C’est une faute ? Non ? Et là ? C’est un penalty net ! Voilà, ça dépend comment on le voit… Sur la Coupe du monde 2018, contre la Croatie, le penalty ou la faute sur Griezmann qui amène le coup franc, on mène 2-0, bon… Mais ça ne sert à rien d’être contre, elle est là, on ne reviendra pas en arrière. Sauf si les arbitres font grève. Les arbitres, on ne sait pas ce qu’ils pensent de la vidéo. Enfin, ça dépend qui leur demande… Un seul arbitre ne peut pas tout voir, c’est pour cela que j’ai essayé les arbitres supplémentaires. Malheureusement, comme ce n’était pas une idée de la FIFA, ils ont essayé de me casser le truc. Moi, je voulais qu’ils bougent, les arbitres, qu’ils arbitrent plutôt à trois. La FIFA n’a pas voulu. Je l’ai testé moi, en Slovénie, j’ai aidé l’arbitre à arbitrer. Si l’arbitre voit, il n’y a aucun souci. C’est difficile d’être seul face à quarante caméras.
(Échanges et questions avec la salle)
Quel a été votre sentiment quand vous avez vu pour la première fois Pelé ? J’ai dû faire la ola. Pelé, ce n’est plus un homme, c’est l’histoire, le jeu du foot. Les joueurs, les hommes, et Pelé. Mon joueur préféré, c’était Cruyff, mais Pelé, c’est Dieu, c’est une marque, ce n’est plus un être humain, c’est celui dont nous parlaient nos parents. Cruyff était le meilleur de ceux que j’ai vus. Mais bon, chaque génération a eu ses grands joueurs. C’est comme si on veut comparer les Stones avec Piaf, c’est nul, ça ne se fait pas. Mais dans le football, on est toujours en train de comparer. Zidane, c’était le meilleur sur telle période et moi sur telle période. Mais bon, pour ma grand-mère, j’étais le meilleur, et pour sa grand-mère, il était le meilleur…
Dans quelques jours, l’OL va jouer la Juve, mais le prix des places est un vrai scandale, de 70 euros à 300 euros. Ces prix, ça vous paraît normal ?Le prix des places pour OL-Juve, c’est un vaste sujet. Aujourd’hui, le football se vend cher. Après, je vais dire une blague, mais c’est peut-être aussi le dernier match en Coupe d’Europe cette année pour l’OL, donc bon. (Rires.) Mais c’est vrai, ce n’est pas normal. L’autre problème, c’est que le football n’est que payant. Si j’étais resté au niveau de l’UEFA,
j’aurais fait comme avec la RAI en Italie, trouver un moyen qu’il y ait ne serait-ce qu’un match de journée de Ligue des champions, le plus gros, sur une chaîne publique, et le reste, en payant. Pour les places, les gens qui font le prix des places font ce qu’ils veulent…
Quel est votre avis sur le recours aux tirs au but en cas de match nul ? Pourquoi a-t-on arrêté le but en or ?Les tirs au but, je suis pour. Ça a été inventé pour éviter de refaire les matchs, notamment les finales de Coupe d’Europe. C’est une façon pas mal de terminer un match. L’idée de faire comme aux États-Unis et au hockey sur glace, partir du centre, n’a pas marché. J’étais pour le but en or, mais beaucoup de gens ont râlé, car ça ne donnait pas les moyens de revenir dans la partie. Le but en or, ils avaient essayé de le tester déjà à Paris dans les années 1970, mais sans limite de temps. Les deux équipes n’arrivaient pas à marquer, donc ils continuaient, continuaient… et à un certain moment, il n’y avait plus de métro pour rentrer chez soi. Donc ils ont arrêté ! Il faut bien terminer le match.
Que pensez-vous des matchs qui se terminent par un 0-0 ? Ne faudrait-il pas rembourser les gens? (Rires.) Ça, c’est une philosophie très française, et c’est bien, mais moi, quand je suis arrivé en Italie, c’était le score parfait.
Les plus grands journalistes m’expliquaient que le 3-3, c’était fantastique, mais que le 0-0 était mieux, car personne ne faisait d’erreur !
Rayan Cherki n’a que 16 ans et demi. Quel regard portez-vous sur ce type de joueur très précoce ?C’est compliqué, hein ? Moi, j’ai toujours pensé que si j’étais à 13 ou 14 ans dans un club, je n’aurais jamais fait la carrière que j’ai faite. J’aurais peut-être été blessé immédiatement. Partir de chez ses parents, c’est difficile. Après, les joueurs vont être récupérés de plus en plus tôt, c’est un business. Les joueurs devraient se méfier, ils devraient rester dans des clubs où ils ont de bons formateurs. S’ils partent plus tôt, c’est qu’ils ont bien été formés. Et puis, on voit des jeunes déjà prêts, matures, un Mbappé… Je connais plein de clubs qui forment pour vendre, ils s’en foutent de gagner. Ça fait partie du jeu. Après, il y a le PSG qui achète les meilleurs joueurs du monde. Ils ont un bon centre de formation, les mecs ne peuvent pas jouer à la place de Mbappé, Neymar, Cavani, donc il faut qu’ils partent…
Est-ce que le métier de footballeur vous a plu ?La vie de footballeur, c’est une vie faite de sacrifices, de passions compliquées. Moi, à Nancy, au centre de formation, on était quatre. Aujourd’hui, ils sont plusieurs centaines, et un seul va sortir. Mais la vie est formidable quand même : tu joues au football et tu dors. Oui, on sait qu’on ne peut pas fêter une victoire le mercredi si on joue le samedi.
On fait des sacrifices, mais j’ai eu la chance de me prendre de passion pour un jeu professionnel. Si je m’étais pris de passion pour le tir à l’arc, j’aurais fait avec.
Comment avez-vous vu combiner cette passion avec des gens de pouvoir ?C’est simple : j’ai gagné l’élection. J’étais président, et quand vous l’êtes, donc tout le monde s’adapte à vous, donc j’ai alors essayé de faire autre chose du football. Les hommes de pouvoir, je pense surtout que ce sont des hommes qui se sont passionnés pour un sport, et qui le sont devenus, car quand ils deviennent membres exécutifs, ils arrivent à être des chefs dans leur passion. Il n’y a pas d’anciens joueurs à ces fonctions. Moi, on savait que j’avais marqué des buts, mais c’était un séisme pour ces gens-là quand j’ai été élu. Si je ne suis pas devenu président de la FIFA, c’est parce que le fait d’avoir été joueur, avec une philosophie de joueur, ça ne plaisait pas trop. Et puis le fait que je sois français, ça ne plaisait pas trop. C’est une histoire suisse, avec une philosophie suisse, faut que ça reste en Suisse.
(Pierre Lescure, présent dans le public, prend la parole.)
Avec Sepp Blatter, ça s’est mal terminé, mais en même temps, il y a une certaine estime…Oui. Je suis allé à la FIFA pour Blatter en 1998, pour l’aider dans son élection, puis ensuite pour travailler avec lui. J’ai réfléchi un peu et j’ai dit oui pour être conseiller technique, hein, pas autre chose. J’ai trouvé que c’était un bon président, au niveau de la FIFA, il a toujours su trouver des équilibres. Je pense qu’il a manqué deux choses. Déjà, sa sortie. Il aurait tué tout le monde pour pouvoir rester. Et puis aussi, il a loupé – on a loupé – l’arrivée de l’argent dans le football. Beaucoup d’argent. Les autres sports seraient contents, mais on l’a loupé. Ça a été un bon président de la FIFA. Après, aujourd’hui, je n’ai plus de respect pour lui, car il n’a pas été sympa avec moi, mais je peux reconnaître qu’il a été un très bon président de la FIFA.
En tant que joueur, quel moment dans votre carrière vous a le plus marqué ? Toute ma carrière, les 600 matchs… J’ai gagné ce que je devais gagner, j’ai perdu ce que je devais perdre. On vit de victoires, de défaites, de matchs nuls, c’est une histoire infinie, on vit en fonction de ça, c’est l’histoire du football. Après, moi, ce qui m’a marqué, c’est Séville, 1982. Le plus émotionnel. C’est une défaite, mais c’est un moment que je souhaite à tout le monde de vivre, on passe par tous les sentiments. Deux heures d’émotions fantastiques, et à la fin, onze mecs qui pleurent dans le vestiaire, pas parce qu’on leur a enlevé leur nounours ou leur chocolat, mais parce qu’on a craqué. Moi, je cherchais les dents de Battiston sur le terrain. Avoir donné des émotions, c’est le plus important. On est heureux avec ça. Exceptionnel.
Est-ce que vous avez déjà reparlé à Arconada ?Je l’avais invité à un match, en 2008. Je ne vois pas pourquoi je lui dirais merci, il était imparable le but ! (Rires.) Après, c’était le premier titre en sport collectif d’une équipe de France, mais lui c’était son dernier match, c’est dur. Disons que je l’ai fait entrer dans l’histoire.
Les années italiennes ont été géniales, non ?Moi, je retiens que les buts étaient rares là-bas, et que j’ai fini trois années de suite meilleur buteur. En France, je mettais vingt buts, mais Bianchi ou Onnis, ils en marquaient 30-35. En trois matchs, ils en prenaient 12 d’avance ! Moi, avec des 1-0 ou 0-0, j’étais plus lent, comme une tortue.
Croyez-vous encore beaucoup à la passe ? Je pense que tout est parti en sucette avec Ronaldinho, et que la passe est morte.Je pense que récemment, M. Puel a fait une bonne analyse : il a dit qu’aujourd’hui, la qualité technique intrinsèque des joueurs est nettement moins bonne que dans les années 1980.
En revanche, la qualité physique est beaucoup plus importante, les capacités aussi, mais la qualité technique qui se traduit par la passe, la bonne passe au bon moment, est compliquée. C’est lié au fait que beaucoup de milieux de terrain sont récupérateurs et pas techniques. Zidane, Zico, Ronaldinho, on les a mis côté gauche et pas au milieu. Les entraîneurs ont privilégié un football tactique et physique. Sous Hidalgo, on était tous des footballeurs qui savions jouer pour les autres. Contre la Belgique à Nantes, on avait six défenseurs centraux, on avait même mis Luis Fernandez arrière droit… Aujourd’hui, on met des joueurs sur les couloirs qui ont un abattage énorme, car il faut courir et bien centrer. L’évolution tactique est importante. Aujourd’hui, je pense que le football des vingt meilleures équipes est le plus beau qui n’ait jamais existé, grâce à l’arrêt Bosman et aux investisseurs. On a un football magnifique en Ligue des champions, exceptionnel.
La suite ?Je ne sais pas du tout. J’ai 64 ans, j’ai tout fait, j’ai tout vu, je suis un peu fatigué. Mais comme je l’ai dit, si je sens que je peux trouver la bonne chose, je le ferai. La FIFpro, le syndicat des footballeurs, avec Philippe Piat, aider les joueurs à s’émanciper un peu dans le football, pour éviter que ce ne soit que des bureaucrates suisses-allemands qui décident du football, c’est une idée.
Festival Sport, Littérature et Cinéma de Lyon, à voir jusqu’au 2 févrierPropos recueillis par Brieux Férot, à Lyon