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Michel Hidalgo, la tête au carré

Par Maxime Brigand
8 minutes
Michel Hidalgo, la tête au carré

Construit par ses années passées avec Albert Batteux à Reims, Michel Hidalgo est arrivé en 1976 en équipe de France avec un objectif : créer progressivement un football joyeux, libre et résolument offensif. Un football symbolisé par la naissance, en 1982, du célèbre carré magique.

Chez Michel Hidalgo, les notions de plaisir et de spectacle n’étaient pas de simples mots. Né dans le Nord de la France, à Leffrinckoucke, Hidalgo était un homme intimement guidé par un idéal, une volonté permanente de voir se déployer sous ses yeux « un football souriant » et pro-actif. Pour autant, au soir de la qualification de son équipe de France pour la demi-finale du mondial 1982, celui qui aura dirigé les Bleus de 1976 à 1984 disait : « La référence idéale n’existe pas. L’équipe idéale non plus. Le football est un assemblage de talents individuels sur le terrain. Je préfère parler des hommes plutôt que des systèmes, de la vie plutôt que de ce qui est figé ou gelé. Un dispositif au coup d’envoi, qu’est-ce que cela veut dire ? Rien, car tout dépend de son animation, c’est-à-dire de l’intelligence en marche des joueurs. »

La référence idéale n’existe pas. L’équipe idéale non plus. Le football est un assemblage de talents individuels sur le terrain. Je préfère parler des hommes plutôt que des systèmes, de la vie plutôt que de ce qui est figé ou gelé. Un dispositif au coup d’envoi, qu’est-ce que cela veut dire ? Rien, car tout dépend de son animation, c’est-à-dire de l’intelligence en marche des joueurs.

Ainsi parlait Michel Hidalgo, homme qui a découvert le football au gré des nombreux déplacements de son ouvrier-métallurgiste de père, en enchaînant les un-contre-un avec son frère jumeau, Serge, mais qui a surtout été bouleversé au plus profond de son intellect par sa rencontre avec un autre révolutionnaire, Albert Batteux, son entraîneur à Reims au début des années 1950.

« C’est là-bas que j’ai découvert le beau jeu, écrira-t-il un jour. À Monaco, ensuite, j’ai pris du recul et à la DTN, j’ai complété ma vision du football français. Sans l’exemple de Batteux et de Leduc (Lucien Leduc, son coach à l’ASM, N.D.L.R.), aurais-je choisi le métier d’entraîneur ?(…)Seul, on n’aboutit nulle part. » Seul, on ne se construit pas, surtout, et Hidalgo ne serait jamais devenu l’entraîneur qu’il a été sans ces années passées sous les ordres d’Albert Batteux, qui lui a notamment fait comprendre qu’on n’installait pas les joueurs dans un système, mais que c’étaient les joueurs qui dessinaient le système. Ainsi, à ses yeux, le football a progressivement pris la forme d’un puzzle géant où les pièces – les joueurs – devraient parfaitement s’emboîter afin d’atteindre l’idée d’une harmonie complète. Voilà pourquoi, après l’avoir laissé apprendre aux côtés de Georges Boulogne et grimper d’une marche sur l’épaule de Stefan Kovács, Fernand Sastre avait justement décidé de le propulser sur le banc des Bleus au début de l’année 1976 : pour jouer les céphaloclastophiles.

L’intuition invincible

Alors, dès le début de la construction de son navire, Hidalgo a posé un mât : Michel Platini, un gamin âgé de vingt ans au moment de la première chez les Bleus de Michel Hidalgo contre la Tchécoslovaquie et auteur d’entrée d’un coup de génie. Durant les huit ans du mandat d’Hidalgo, Platini aura été la boussole et un sujet central : comment utiliser au mieux son meilleur joueur dans un cadre collectif ? Comment le laisser s’exprimer librement sans mettre en péril l’équilibre de l’ensemble ? Contre les Tchécoslovaques, le nouveau sélectionneur a déboulé avec un 4-3-3, tenu derrière par un Marius Trésor placé en libéro en soutien de trois autres défenseurs lors des phases défensives, mais qui remontait aux côtés de ses potes pour jouer le hors-jeu le reste du temps. Dès le premier jour, l’équipe de France version Hidalgo a envoyé un message : elle serait libre, animée par des joueurs autonomes (Giresse : « Michel mettait le cadre, nous, on l’animait. C’était une osmose et il nous responsabilisait beaucoup. » ) et aurait la capacité de s’adapter aux évènements. Surtout, elle allait permettre au pays tout entier de s’identifier à elle à une époque où le monde entier a les yeux tournés vers l’Ajax et parle encore du Brésil de Zagallo, champion du monde en 1970 grâce à la réunion de trois des plus grands numéros 10 de tous les temps (Pelé, Tostão, Rivelino).

La recette ? Un projet commun, l’idée que chaque joueur est ici pour compléter son coéquipier et non pour le concurrencer. Ensuite, Bernard Genghini, convoqué par Hidalgo pour sécuriser grâce à ses qualités les failles du jeu de Platini, explique : « Avec Michel, il fallait prendre des risques, il osait. Il a permis de décomplexer le football français. Il aimait le beau jeu, le beau football développé et il n’avait pas peur. Il savait qu’on aurait beaucoup le ballon, qu’on allait se créer beaucoup d’occasions, même si on risquait d’avoir des problèmes s’il fallait défendre. Pour lui, c’était le plaisir avant tout. » En 1981, à l’occasion d’un amical contre l’Espagne à Madrid, Michel Hidalgo transforme alors son 4-3-3 en un 4-4-2. « Je voulais enrichir la culture tactique de mes joueurs » , expliquera-t-il bien plus tard dans ses Carnets secrets. Ce soir-là, les Bleus s’inclinent, mais comprennent que quelque chose vient de naître. Hidalgo parle d’une « intuition invincible » et s’explique : « Je pense qu’un trio Giresse-Platini-Tigana serait susceptible de nous rapprocher de cette vérité du football français que je porte en moi. » Le sélectionneur qu’il est veut oser et ne pas mourir avec des regrets.

Pour la première fois, ma vieille ambition – quatre milieux offensifs – va se réaliser sur un terrain et au moment le plus crucial : Giresse, Platini, Tigana, Genghini. Le label France. L’atout France. C’est sans doute risqué, mais j’en prends la responsabilité, en rappelant ma philosophie de base concernant le football français : nos caractéristiques ne s’accommoderont jamais d’un jeu rugueux, basé sur la puissance physique.

Dos au mur lors de la réception de la Belgique en avril 1981, deux mois après la défaite en Espagne, il pose alors trois milieux offensifs dans son onze (Giresse, Genghini et Tigana) et trois attaquants (Six, Soler et Rocheteau). La France s’impose (3-2) et Michel Hidalgo répète son coup de folie lors d’un match également décisif face aux Pays-Bas (2-0) : cette fois, Platini est présent et est installé à la place de Tigana. Les Bleus sont prêts à passer à l’action lors du mondial 1982.

« Nous étions complémentaires. Sinon, le carré aurait explosé »

Mais dans son coin, Hidalgo s’interroge : Platini peut-il évoluer avec Giresse ? Leurs profils ne sont-ils pas trop similaires ? Est-ce vraiment possible de se priver de Genghini, notamment excellent lors de la victoire contre l’Autriche, alors que Michel Platini était absent ? Puis il tranche. Au moment d’affronter l’Irlande du Nord pour le deuxième match du deuxième tour de la Coupe du monde 1982, Michel Hidalgo donne naissance à son « label France » : « Pour la première fois, ma vieille ambition – quatre milieux offensifs – va se réaliser sur un terrain et au moment le plus crucial : Giresse, Platini, Tigana, Genghini. Le label France. L’atout France. C’est sans doute risqué, mais j’en prends la responsabilité, en rappelant ma philosophie de base concernant le football français : nos caractéristiques ne s’accommoderont jamais d’un jeu rugueux, basé sur la puissance physique.(…)J’avoue que Genghini et Tigana sont perplexes quand à l’efficacité de mon 4-4-2, car sur le papier, ils se situent aux extrémités.(…)Je définis un principe de mouvement tournant. Il sera compris et appliqué. » Feu à volonté. Le carré magique est né, les Bleus explosent de partout et s’imposent largement (4-1). Le fonctionnement tactique du plateau est assez simple : l’un des membres (principalement Genghini et Tigana) est chargé d’assurer la relance aux côtés de Trésor et Bossis, alors que les deux autres axiaux se décalent pour accélérer les transitions. Platini, lui, joue un cran plus haut que les trois autres et tient l’équilibre de la machine de destruction offensive montée par Hidalgo. L’équipe de France diffuse alors dans l’air un sentiment de danger permanent, d’ébullition intellectuelle, et ce match est à placer au panthéon des plus grands matchs de l’histoire des Bleus. Pourquoi ? Car c’est du foot à l’état pur, un football réfléchi, offensif, vu comme une démonstration culturelle, et basé sur la recherche de la supériorité numérique : un foot sans calcul.

« On n’a peut-être pas assez calculé, justement, sourit aujourd’hui Bruno Bellone. Michel était quelqu’un de poétique. C’était le jeu, le plaisir… On s’est tellement fait plaisir que ça nous a sûrement coûté le match contre la RFA en 1982. On aurait pu faire les Italiens, aller en finale, mais bon… » Mais ce n’était pas la France d’Hidalgo, tout simplement, un type qui aura donc réussi l’exploit de faire danser trois numéros 10 (Giresse, Genghini et Platini) et un numéro 6 infatigable (Tigana) ensemble, dans un losange. Un losange qui atteindra sa perfection deux ans plus tard, en France, lors de l’Euro 1984 avec l’intégration de Luis Fernandez à la place de Genghini. « Ce carré était plus solide que le losange de 1982, décryptait il y a plusieurs années Giresse dans L’Équipe. Là, on avait plutôt deux récupérateurs haut avec Jean et Luis. Platini jouissait d’une plus grande liberté et pouvait plus facilement se muer en troisième attaquant. En 1984, le carré magique est devenu une marque déposée.(…)Chacun des membres était un top dans son registre. Nous étions complémentaires et solides. Sinon, le carré aurait explosé. » L’histoire raconte qu’Hidalgo, qui était plus « un créateur d’émotions » qu’un « grand tacticien » selon Platini, n’a que rarement imposé de séances face à un tableau noir. D’où la magie, d’où cette alchimie invisible et d’où la beauté de ce monstre tactique incarné par Michel Hidalgo. Interrogé sur cette idée par Libération en 2002, il expliquera de nouveau le dessous des cartes : « J’avais déjà testé cette tactique avec Jean-Marc Guillou, Claude Papi et Jean Petit en 1977. Confisquer le ballon, réduire au maximum le nombre de duels, c’était l’idée. Une équipe se construit en deux étapes : le talent à un poste, puis la complémentarité.(…)Ce milieu de terrain était capable de récupérer, relayer, créer et marquer. Il était le moteur de l’équipe. » Il était aussi le moteur de la joie et d’un football brillant : puzzle terminé.

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