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Michel, c’est tout
Ce vendredi soir, contre Saint-Étienne, Michel Seydoux va refermer le chapitre de quinze années de présidence au LOSC. L'un des dinosaures de la Ligue 1 laisse le souvenir d'un dirigeant paternaliste, qui a construit et conduit son club au sommet.
Une punchline. Des mille façons de tirer sa révérence, c’est la vanne qu’a choisie Michel Seydoux pour refermer quinze années de présidence au LOSC. En un tweet, il a tout officialisé. On peut presque le visualiser en train d’envoyer son message : dans son bureau de Luchin ou dans les locaux d’un cabinet d’avocats parisien, document final signé, closing terminé, mains serrées, il recule légèrement son siège, attrape son smartphone et donne la primeur de l’information d’une formule bien sentie. L’instant d’avant, il était tout à la procédure de cession. L’instant d’après, il est ailleurs. Soit l’image d’un homme guidé par les émotions, doux en apparence, dur dans les affaires. Un homme qui restera pour longtemps le plus grand président que le LOSC moderne ait connu.
Les supporters ne pourront plus dire Seydoux des sous ils devront dire Lopez du pèse @livelosc
— Michel Seydoux (@miseydoux) 9 janvier 2017
Parachutage, maçonnerie et Sterjovski
En 2001, Jacques Chirac est encore président de la République quand un parachuté atterrit à Lille. Parisien de naissance, producteur de cinéma par passion et introduit dans le football à Lyon – où il siège dans le conseil d’administration de l’OL à l’invitation de son frère Jérôme depuis 1999 –, Michel Seydoux ne connaît pas grand-chose au foot nordiste quand il débarque dans les Flandres. Tout juste sait-il deux choses : le football est un spectacle, et le LOSC un produit sous-développé dans un bassin de population important. Il y a des clients et du boulot, alors Seydoux, qui recherchait un investissement à faire fructifier, s’y met. Le temps d’un apprentissage auprès de Francis Graille et Luc Dayan qui viennent de privatiser le club, et Michel le portefeuille minoritaire peut devenir Seydoux le patron majoritaire. Nous sommes le 24 avril 2002, à l’aube d’un règne de quinze ans.
Pour sa première à domicile, le 4 mai, le patron voit Mile Sterjovski lui offrir son premier but de président, pour une victoire de prestige contre le PSG et une 5e place au classement final de la dernière Division 1. Mais ce que le nouveau propriétaire remarque aussi, au-delà de la réussite du groupe façonné pendant quatre ans par un Halilhodžić sur le départ, c’est que ce LOSC n’a aucune base solide sur laquelle construire. Alors il va s’entourer de besogneux, Claude Puel en tête, et bâtir pierre après pierre. Que la première saison de coach Puel s’achève sur une triste 14e place ne l’inquiète pas plus qu’elle ne l’impatiente. Il est là pour longtemps, il a une stratégie et des étapes à respecter. Avec, au bout, un club qui n’aura plus rien à voir avec ce qu’il était quinze ans auparavant.
Les plans quinquennaux
Si Michel Seydoux Fornier de Clausonne n’a rien de communiste, son bilan à la tête du LOSC s’égraine comme autant de plans quinquennaux. Cinq ans pour inaugurer un centre d’entraînement, cinq ans pour entrer dans un nouveau stade, cinq ans pour refiler le bébé. 13 décembre 2007, 17 août 2012, 13 janvier 2017. Trois dates-clés du Seydoux de l’ombre, visionnaire au moment de relever la vieille ferme abandonnée qu’est Luchin en 2002, obstiné lorsqu’il s’agit de défendre le projet Grimonprez-Jooris II, puis de changer son fusil d’épaule et de patienter au Stadium-Nord jusqu’à la sortie de terre du Grand Stade. Patient, encore, quand la succession prend un temps inattendu, entre tergiversations du milliardaire belge Marc Coucke et offres hasardeuses. Jusqu’à l’annonce surprise, le 16 octobre dernier, des « négociations exclusives » entamées avec Gérard Lopez, pour finalement arriver à une 721e et dernière rencontre en tant que président du LOSC ce soir, face à Saint-Étienne.
Il y a les vestiaires, et puis il y a le terrain. En partant, Seydoux laisse derrière lui des dates mythiques à l’échelle lilloise : la victoire signée Aćimović contre Manchester United en 2005, les buts d’Odemwingie et Keita pour faire tomber l’AC Milan à San Siro en 2006, ou encore l’élimination houleuse contre Manchester United en 8es de finale de Ligue des champions cette même année. En quinze ans, Seydoux comptabilise un joli total de neuf campagnes européennes pour 92 matchs joués. Mais le climax de son aventure lilloise se situe bien évidemment entre le 14 et le 21 mai 2011. En deux soirées parisiennes, au Stade de France puis au Parc des Princes, Seydoux dépoussière une armoire à trophées qui n’avait vu passer qu’une malheureuse Intertoto – sous sa présidence, déjà – depuis la dernière Coupe de France en 1955. Il entre définitivement dans l’histoire du LOSC.
Football, huîtres et Depardieu
Depuis, tout a changé pour Seydoux. Les concurrences nouvelles mettent à mal son modèle économique basé sur des qualifications régulières pour l’Europe, modèle déjà affaibli par le même mal ayant touché Bordeaux deux ans plus tôt, à savoir l’inflation de la masse salariale. Et puis, Seydoux a moins envie. Il annonce son désir de vendre, de passer à autre chose. Il a mené son projet à bien, et même à mieux, il peut prendre sa plus-value et tourner la page, ou la scène suivante. Car si Seydoux est un homme d’affaires accompli, parmi les meilleurs vendeurs de France sur la période, c’est aussi un artiste, un esthète et un gourmet. Celui qui a produit Depardieu dans Cyrano de Bergerac, les films de Mikhalkov ou ceux de Resnais, va pouvoir s’en retourner à ses premiers amours. La production donc, ainsi Jodorowsky’s Dune sorti en 2016, mais aussi la gastronomie avec son restaurant Gaya rive gauche, parce que « c’est pas con, l’huître à 17h. Avec un bon petit blanc, c’est pas con » . Ou encore l’art, qu’il avait fait entrer à Luchin en même temps que le grand public le temps d’une exposition de street art sur des pans du mur de Berlin. Car c’est cela, Michel Seydoux : un touche-à-tout passionné, avec l’émotion pour principe directeur. Ce soir, quand tout un stade va saluer un président paternaliste, il va être servi.
Par Eric Carpentier