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Michel Castellani : « J’ai peut-être traité Thiriez d’escroc »
À 71 ans, Michel Castellani a bien le droit de se qualifier de « supporter historique du Sporting ». Le 11 avril 2015, à la 20e minute de la finale de Coupe de la Ligue face à Paris, l’élu autonomiste est aussi atterré qu’un autre lorsque Benoît Bastien siffle penalty sur une faute peu évidente de Sébastien Squillaci. Avant de sortir le rouge. Sauf que Castellani n’est pas en tribune, mais en loges présidentielles. À quelques pas de Frédéric Thiriez, à qui il va donc exprimer sa colère. Aujourd’hui, le nouveau député de la 1re circonscription de la Haute-Corse de Pè a Corsica revient sur cette scène et expose sa passion pour le club corse.
Cette défaite contre Paris, c’était votre première finale du Sporting ? (Il rit) Ah non ! J’étais déjà là pour la victoire en 1981. Nous étions plusieurs étudiants à Nice et avions traversé toute la France en bagnole. Puis le retour par le Massif central, avec nos drapeaux corses et blanc et bleu au vent… C’était déjà un symbole. À Nice, ça chauffait déjà. On poussait beaucoup pour avoir une université en Corse. La revendication corse, le Sporting en est le symbole. Nous ne montions pas seulement pour l’aspect sportif.
Vous étiez aussi au Stade de France contre Lorient, mais toujours en tant que supporter. Vous pouvez raconter votre premier voyage pour une finale en tant qu’élu ? C’était impressionnant parce que la Corse semblait être en état de panique généralisée. L’aéroport de Poretta était submergé. Nous étions très en retard.
Les avions se suivaient à un rythme effréné. On aurait dit que c’était le grand déménagement. C’était une ambiance de fête. Ça souligne la puissance du Sporting. C’est un club faible du fait de l’aspect démographique de la Corse, du manque de tissu d’entreprises, mais peu de clubs de cette taille peuvent se targuer de déplacer tant de gens sur 1000 kilomètres, avec 300 kilomètres de mer au milieu.
Vous faisiez partie d’un convoi spécial pour les élus ?Non, je n’ai pas voulu. J’y suis allé à titre personnel, comme un bon supporter moyen, ce que j’ambitionne d’être. Mais j’étais invité en tribune présidentielle, ce qui m’arrive de temps à autre. Il y avait beaucoup d’élus. Des supporters historiques, comme l’actuel président de l’exécutif, Gilles Simeoni, le maire de Bonifacio, le conseil général de Corte. Nous représentions un large panel politique de la Corse. Quelle que soit l’étiquette, nous avons tous mal vécu le déroulement de cette partie. Puis il y avait tous les dirigeants du foot français, dont beaucoup de gens que je ne connaissais pas. Je n’ai pas le plaisir de connaître le gratin parisien ni le gratin du foot français. Ça change beaucoup des tribunes. À Furiani, j’allais en tribune Est plus jeune et maintenant je vais en tribune Sud. Je suis originaire de Sisco, un village du Cap et nous sommes tous ceux du village dans un petit coin de la tribune.
En tant qu’élu, depuis les loges, qu’est-ce que ça vous a fait de voir ce large virage bleu chanter ?J’étais impressionné. C’était un déplacement d’un niveau de grand club européen. Ensuite, le fait de voir des maillots bleus sur le terrain, c’est un émerveillement toujours renouvelé. J’ai vécu quinze ans en dehors de Corse. J’ai fait toutes mes études à Nice, donc j’ai vu le Sporting dans tous les stades du sud de la France. Ensuite, mon premier poste de prof était à Maubeuge. Ce n’était pas très rigolo pour moi, alors j’allais voir le Sporting partout, de Lens à Sochaux, en passant par Paris ou Reims. J’étais un exilé. À chaque fois que j’étais seul dans une tribune et que je voyais sortir les bleus du vestiaire, j’avais le cœur qui se serrait. Ce réflexe pavlovien, je l’ai toujours.
Pouvez-vous décrire l’accueil et le protocole au Stade de France ?On n’avait pas l’impression de rentrer dans un stade, mais plutôt à l’Élysée le 14 juillet. L’ambiance était très feutrée. C’était très urbain, très consensuel.
Des hôtesses en tenue servaient du champagne. On se sentait un petit peu décalé. Sans être des rustres, on est habitués à quelque chose d’un peu plus direct. Ce protocole nous semblait un peu surfait. On avait l’impression que le football était une excuse pour que des gens de bonne compagnie se retrouvent pour parler de choses et d’autres. Je n’avais pas l’impression d’être dans un stade, mais plutôt dans un salon de la bonne bourgeoisie du XVIIIe siècle. Alors que nous étions là pour suivre le Sporting, c’était très important pour nous. Bastia qui affronte Paris, c’était un symbole. Tout se passait bien jusqu’à ce qu’on reçoive un grand coup sur la gueule, avec un penalty et un carton rouge. Le Sporting jouait très correctement. Alors il a fallu que l’arbitre prenne des mesures. Nous avons ressenti ça comme une injustice. Donc nous l’avons bien fait savoir autour de nous. Pas parce que nous sommes agressifs, mais parce que nous étions agressés. Le penalty se discute, mais le rouge était totalement insupportable. En plus, dans un match très correct ! L’arbitre n’avait pas à gâcher cette finale.
Sur l’expulsion, c’est vrai que Frédéric Thiriez a ri ?Je ne l’ai pas vu, mais je peux vous dire que cinq minutes après, il ne rigolait plus. Je suis allé discuter avec lui. Je lui ai dit que c’était une escroquerie. Je lui ai dit : « Et en plus de ça, vous aimeriez qu’on vous aime ? » Quelques paroles ont dépassé la norme. Je l’ai peut-être traité d’escroc. Ils nous avaient volé notre finale.
Vous avez quitté votre siège pendant le match pour aller lui parler ?Je l’ai essentiellement vu à la mi-temps, dans le salon. J’ai dit honnêtement ce que je pensais, dans des termes un peu véhéments, ce qui était choquant dans ce milieu-là où aucun décibel ne dépasse jamais un autre. Il avait l’air totalement désapprobateur. Comme si nous étions totalement en décalage avec les us et coutumes du milieu. Ce qui était le cas. Ils n’ont pas fait un geste, pas dit un mot. Ils ne nous ont pas répondu. Ce qui est un peu étonnant. Je n’en suis pas particulièrement fier. C’était une réaction d’homme.
Comment était l’ambiance dans les loges après ça ?Oh, le match était fini. La finale a duré vingt minutes. Nous étions à dix, c’était plié. Les autres étaient tout à fait heureux, ils avaient vu ce qu’ils étaient venus voir : la mise à mort du taureau. Le triomphe de Victor Hugo. Ils étaient heureux, grand bien leur fasse. Tout s’est fait dans le calme, le public de Bastia est resté correct. Nous avions juste raté l’occasion de faire une belle finale.
Comment expliquez-vous le désamour manifeste de Frédéric Thiriez pour le Sporting et les Corses ?Je crois qu’il était à l’image de toute une série de dirigeants et d’une partie de l’opinion française qui a un a priori envers les Corses.
Ils pensent que nous sommes tous des antéchrists. Nous incarnons le mal, le racisme. Je pense que nous incarnons le contraire. Dans une région qui souffre et demande à être reconnue dans sa dimension humaine, culturelle et politique. Je pense que si les gens connaissaient vraiment le Sporting, dans toutes ses dimensions, ils en auraient une autre image. Spontanément, Thiriez pensait que nous étions hors système, ce qui n’est pas faux, mais surtout que nous incarnions beaucoup de choses négatives. Je lui reproche d’avoir multiplié les gestes à l’encontre de Bastia alors qu’il aurait pu venir discuter et faire abstraction de ses a priori.
Vous l’avez revu depuis ?Oui, je l’ai vu l’autre jour devant la chambre des députés. Je ne l’ai pas salué. Je n’avais pas lieu de le faire. Nous étions là à titre privé. Puis je n’ai rien à lui dire. À l’Assemblée nationale, je retrouve les réactions que l’on a à l’encontre du Sporting. Des députés sont sympas, viennent me parler de la Corse. Ils connaissent un peu et y voient un paradis. À côté de ça, la majorité des gens est au mieux dans la distanciation polie et au pire dans une hostilité manifeste. On saura quand même se débrouiller et faire entendre la voix de la Corse, faire reconnaître ce que nous sommes et mettre en lumière la nécessité de traiter sur le fond la question corse. Ne vous inquiétez pas.
Propos recueillis par Thomas Andrei