- Un jour, un transfert
- Épisode 2
Michael Owen : le crash galactique
Cet été pendant le mercato, So Foot revient chaque jour de la semaine sur un transfert ayant marqué son époque à sa manière. À l’occasion du deuxième épisode, retour sur ce fol été 2004, lors duquel le Real Madrid et Michael Owen s’amourachaient pour ce qui devait être une idylle pérenne. Malheureusement, aucune des deux parties n’y trouvera son compte, sonnant ainsi la fin des Galactiques 1.0.
Le début du siècle dernier avait tout de la grande découverte. Les modes de consommation évoluaient, et le football se transformait progressivement en gouffre financier. Une faille dans laquelle s’est glissé Florentino Pérez, désireux de construire sa propre machine à broyer. Luís Figo, Zinédine Zidane, Ronaldo et David Beckham se succédant, le président merengue ajoute l’ultime pièce du puzzle à l’été 2004 : Michael Owen. Le 14 août, l’enfant de Liverpool débarque ainsi à Valdebebas pour entamer ce qui s’apparentait au tournant d’une carrière. Virage finalement mal négocié, annonciateur de la fin de parcours précipitée du « Supreme Finisher ».
La fin d’une ère
Rien ne prédestinait pourtant Owen à quitter la grisaille du nord-ouest anglais. Formé et révélé à Liverpool, le lutin n’a eu de cesse d’enfiler les perles en Premier League, au point de rafler un Ballon d’or en 2001. Sous la houlette de Gérard Houllier, celui qui vient à peine d’entrer dans la vingtaine acquiert le statut d’intouchable. Mais le départ du technicien français en ce fameux été 2004 va précipiter les choses. Pour le remplacer : Rafael Benítez. Parachuté sur le banc après trois grosses saisons à Valence, le néophyte souhaite faire bouger les lignes, et réduire l’envergure d’Owen aurait le mérite de marquer son territoire. Sa cible s’appelle Fernando Morientes et n’arrivera finalement qu’en janvier. Pas près de laisser le moindre centimètre à un éventuel concurrent, Owen se braque face à son nouveau coach.
Cette succession d’éléments ne tarde pas à l’amener sur le chemin de la réflexion. « J’ai commencé à réfléchir à mon avenir à ce moment-là, se remémorait-il pour le Daily Mail. Nous étions en présaison aux États-Unis, et j’en avais déjà marre. » Ce léger caprice suffit pour faire basculer la pièce du mauvais côté. « J’ai reçu un coup de téléphone en pleine nuit aux USA. C’était mon agent et il a été très direct : « Prépare-toi, le Real Madrid te veut. » J’ai coupé le téléphone, et j’ai fixé le mur en face de moi pendant un long moment. » Car si l’offre du Real Madrid peut aujourd’hui prêter à sourire (12 millions d’euros), Michael Owen est conscient que l’on peut difficilement dire non à la Maison-Blanche. La transaction est acceptée par le board liverpuldien, qui n’en informe pas directement Benítez.
Des larmes sur le chemin
Il faut dire que l’entraîneur espagnol, s’il est implicitement fâché avec son attaquant vedette, souhaite malgré tout bâtir une équipe compétitive autour de lui. Et pour lancer une ultime tentative de revirement, Owen est coché sur la feuille de match d’un troisième tour préliminaire de Ligue des champions, contre le Grazer AK. Le but ? Mettre la pression sur le Real Madrid, en feignant une potentielle entrée en jeu du joueur, qui le bloquerait pour le reste de la campagne européenne en cas de transfert en Espagne. Le striker n’entrera finalement jamais et fera ses valises trois jours plus tard pour la Concha Espina. Dans le deal, la promesse madrilène Antonio Nuñez effectuera le chemin inverse et ne manquera pas de se planter en Angleterre (27 matchs, 1 but) avant de rentrer en Espagne.
Le transfert officiellement bouclé, Michael Owen n’en a malgré tout pas fini avec son spleen. « J’essayais de me rassurer en me disant que même Ian Rush était parti à la Juventus. Mais je n’y arrivais pas. » La décision de mettre les voiles est cependant irrémédiable : « Sur le chemin de l’aéroport, j’ai pleuré toutes les larmes de mon corps, narre-t-il pour Goal. Je ne contrôlais même plus les pleurs tellement il y en avait. »
Carragher et complexes
Une situation à laquelle Jamie Carragher, connu pour sa délicatesse, ne serait pas vraiment étranger : « Quand j’ai reçu cet appel aux États-Unis, la première personne avec qui j’en ai parlé, c’est Jamie. Et sa réponse était :« Qu’est-ce que tu irais foutre à Madrid ? Tu ne joueras jamais ! » Il m’avait foutu en rogne. Je me suis dit : « Eh bien, je vais tous vous faire taire. »Mon ambition avait pris le dessus. » Accueilli en superstar par Florentino Pérez, devant un parterre de journalistes aux aguets, Owen, 24 ans, faisait enfin le grand saut. Un parcours tracé entre nostalgie et complexes. « Me retrouver aux côtés de Zidane ou Ronaldo me mettait une pression terrible. J’étais complexé par leur talent. Quand l’un d’eux réussissait un dribble à l’entraînement, je m’efforçais d’en faire de même. Je demandais le ballon entre deux ou trois défenseurs, pour leur prouver que moi aussi j’étais capable de réussir ce genre de choses. Pour gagner leur confiance. » L’étau se refermera progressivement sur l’Anglais, peu aidé par une adaptation compliquée.
Père d’une Gemma Rose à peine âgée de deux ans, l’attaquant est effectivement forcé de loger à l’hôtel. Un inconfort familial pesant. « Ma femme avait le mal du pays. Pour moi, c’était un peu moins le cas, mais l’accumulation de tous ces éléments parasites ont gâché mon aventure à Madrid. Ce qui est dommage parce que dans le vestiaire et sur le terrain, je me régalais. » Il faut dire qu’Owen n’a aucun mal à se montrer efficace. Auteur de 13 buts en 36 matchs de Liga, il se targuera d’un meilleur ratio buts/matchs que Ronaldo durant la première partie de saison. Un bilan honorable, orné d’une volée sublime face au FC Barcelone à Santiago Bernabéu, pour gagner le cœur de supporters admiratifs, mais témoins d’un adieu programmé.
À l’été 2005, Michael Owen sait que son avenir s’écrira loin de la capitale. « J’avais envie de rester au Real Madrid. Mais au mois de juin, on nous a annoncé les arrivées de Julio Baptista et Robinho. Deux recrues qui s’ajoutaient à Ronaldo et Raúl. Avec la Coupe du monde qui arrivait, ça devenait compliqué, et j’ai donc décidé de partir. » Lors de son départ, le buteur avait en effet passé un « accord tacite » avec Rick Parry, directeur sportif de Liverpool, pour faciliter un retour au club. Mais le succès des Reds en C1 installait une équipe peu encline au renouvellement, excluant, de fait, Owen de ce come-back. Et comme un symbole, lui, la gloire de la fin des années 1990, choisira un club à la trajectoire similaire : Newcastle United. Pour finalement donner raison à Jamie Carragher.
Par Adel Bentaha