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- 9e journée
- M'Gladbach/Bayern Munich
M’Gladbach – Bayern, that ’70s show
Le Borussia Mönchengladbach, deuxième, reçoit le leader incontestable de la Bundesliga, le Bayern Munich. Un duel au sommet qui fleure bon les années de cheveux longs, pantalons pattes d'eph et autres looks bariolés : les 70s. Ce temps où les deux étaient les meilleurs concurrents du monde.
« Dans les années 70, j’étais encore très jeune. Je n’étais même pas prévu. » Thomas Müller, cuvée 1989, n’a pas tort. Les années 70 semblent un temps bien lointain pour un joueur actuel. Mais le duel entre le Bayern et Mönchengladbach a marqué suffisamment son époque pour rester un point d’ancrage de l’imaginaire footballistique d’outre-Rhin. Il y a un passif entre le FCB et le BMG qui ne s’efface pas, malgré les atermoiements d’un Borussia qui n’a pas su rester au plus haut niveau avec la même constance que son rival. Parce qu’il ne s’agissait pas seulement de football.
Naissance d’un Klassiker
À cette époque, peu après la naissance de la Bundesliga, le Borussia Mönchengladbach devient le grand rival des Bavarois. Une décennie durant, le premier et le second jouent au retour à l’envoyeur avec le Meisterschale. Un coup dans la Ruhr, un coup en Bavière, et presque un match nul (5 contre 4) sur le nombre de trophées. Ainsi, de 1969 à 1977, ils sont les deux seuls clubs qui soulèvent le plateau argenté. Chaque club connaît même l’honneur d’une série de trois titres consécutifs, chacun son tour (72-73-74 pour le FCB, 75-76-77 pour le Borussia). Pour comprendre l’envie, la hargne et l’incroyable duel que cela représente, il faut revenir quelques années auparavant.
En 1965, ils accèdent main dans la main à la Bundesliga. De part et d’autre, des joueurs de choix portent leur équipe : Franz Beckenbauer, Sepp Maier et Gerd Müller pour les uns ; Berti Vogts, Jupp Heynckes et Günter Netzer pour les autres. En fait, il s’agit de deux collectifs absolument impressionnants par la qualité en quantité. Toutefois, le Bayern trouve ses marques plus rapidement. M’Gladbach n’arrive pas à battre les Munichois en championnat, qui sont donc les premiers à repartir avec le trophée en 1969. Mais très vite, la tendance s’atténue. En août 69, le champion en titre s’incline au Bökelberg 2-1… et perd son titre, neuf mois plus tard.
Opposition de style
Dès lors, chaque duel devient un match de gala. Un Klassiker toujours plus spectaculaire. En 1971, l’affrontement voit 14 joueurs de la Nationalmannschaft prendre place sur le terrain. Le sélectionneur ne se mouille pas après la victoire, et s’éprend d’amour pour « une partie de grande qualité, avec tout le sel qu’on est en droit d’attendre d’une telle rencontre » , tandis que les Fohlen (les « Poulains » , surnom des joueurs de M’Gladbach) savourent une victoire qui les mène vers un second Schale. Trois ans plus tard, un autre match se révèle à son tour décisif dans la course au titre, c’est le Klassiker des Klassiker, le match aller de 1974 à l’Olympiastadion de Munich. Au paroxysme du duel, alors que le match pose également la question du gardien pour la Mannschaft (Maier ou Kleff ?), le Bayern s’impose de justesse dans un match dingue. Après 23 minutes, la marque est déjà portée à 3-2. Score final : 4-3. En bout de course, le FCB finit un petit point devant son rival pour un doublé C1-Bundesliga.
Comme le résume Rainer Bonhof, alors joueur et désormais vice-président des Gladbacher, « autrefois, ce match a divisé le pays, d’une certaine façon. Les deux équipes étaient très reconnues, mais les fans devaient choisir s’ils préféraient notre hourra-football ou la réussite bien contrôlée des Munichois. C’était une question de croyance, autrefois. » Les Poulains pilonnent la RFA avec son jeu débridé. Le Bayern, lui, est déjà une machine rodée, moins prompte à s’emballer, mais plus solide. Gerd Müller peut finir ses saisons entre 30 et 40 buts, Beckenbauer assure la stabilité de l’ensemble. Autant dire que l’Allemagne se divise alors en deux : ceux qui supportent l’un, ceux qui supportent le second. Un choix du cœur, de conception du football.
La fraction armée blanche
Pour l’écrivain Holger Jenrich, cela va même au-delà. Chacun doit se poser la question au plus fort des années 70, car elle pose des questions esthétiques et sociales. « Le Borussia contre le Bayern, pour beaucoup, cela signifiait la Beauté contre la Réussite, la gauche contre la droite, le progressisme contre le pragmatisme. » La Ruhr ouvrière contre la riche et bourgeoise Munich. M’Gladbach est le club de la lutte : celle de 68, de Rudi Dutschke et de la Fraction armée rouge, de la lutte violente contre l’ordre établi par la machine capitaliste. La lutte violente en football, c’est se tourner résolument vers l’offensive au lieu de vouloir conserver le score. Une équipe rebelle comme celle des Fohlen ne peut penser qu’à l’attaque, pour marquer les esprits par ses folles victoires.
Mais la présentation est peut-être exagérée. Les Bavarois ne sont pas en reste en termes de spectacle et de buts marqués (ou encaissés), preuve en est la dingue défaite d’octobre 1973 : 7-4 contre le FC Kaiserslautern, après avoir mené 1-4. Surtout, le BMG fou est davantage celui de l’entraîneur Hennes Weisweiler. Or, en 75, celui-ci décide de tenter sa chance au FC Barcelone. L’expérience d’un an se termine en eau de boudin à cause de problèmes relationnels avec Cruijff, et pendant ce temps, les Rhénans gardent la main sur le titre deux années durant, mais le style n’est plus le même. Jupp Heynckes est loin du trophée de Torschützenkönig, son équipe pointant à des faméliques 66 puis 58 buts – mais toujours championne. Signe de la fin d’un temps. Le Borussia perd le fil de son histoire. En 1978, Weisweiler revient ravir le titre à son ancienne écurie. Avec Cologne, il gagne le Meisterschale… au goal average, malgré une dernière journée où M’Gladbach étrille Dortmund 12-0. Un an plus tard, le Bayern s’impose 7-1 au Bökelberg. Les Fohlen finissent 10e. La Ruhr tourne.
Par Côme Tessier