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La mafia règne-t-elle sur les virages italiens ?

Par Baptiste Brenot

Le meurtre d'Antonio Bellocco, membre d’une célèbre famille de la mafia calabraise, par Andrea Beretta, le leader de la Curva Nord 1969, illustre l’importance prise par les mafias du Sud dans les tribunes de la Grande Botte.

La mafia règne-t-elle sur les virages italiens ?

« Les bons comptes font les bons amis. » C’est peu ou prou ce qu’essayait d’expliquer Antonio Bellocco, 36 ans, à son comparse au sein de la tifoseria lombarde Andrea Beretta en ce mercredi 4 septembre. Les deux hommes sont des figures bien connues du virage Nord du stade Giuseppe-Meazza. Le premier, membre d’une famille bien connue de la mafia calabraise, s’est incrusté en début d’année au sein des instances dirigeantes de la Curva Nord 1969, tandis que le second est considéré comme le leader du groupe de supporter intériste. À 10h34 exactement, ils sortent tous les deux du club de boxe de Testudo, à Cernusco sul Naviglio, en banlieue de Milan, un lieu de rassemblement apprécié des ultras intéristes comme des néofascistes de Casa Pound. Alors qu’ils prennent place à l’avant d’une Smart blanche, la discussion s’envenime.

Légitime défense et coups de poignard

Le véhicule entreprend une marche arrière pour sortir du petit parking, avant de reprendre sa marche en avant la manœuvre pas encore terminée, et vient s’encastrer sur le mur du gymnase. Il est 10h37, et deux hommes accourent depuis le bâtiment pour découvrir Antonio Bellocco, le corps lacéré de 21 coups de couteau, dont 6 en plein cœur et 5 dans le cou. Andrea Beretta, blessé aux côtes et à la jambe, raconte sa version des faits aux enquêteurs par la voix de son avocat le soir même, depuis son lit à l’hôpital San Raffaele.

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Il affirme avoir confronté Bellocco à propos de ses envies de se débarrasser de lui : « Alors comme ça, tu veux me tuer ? » « Oui, on va te tuer toi et toute ta famille », aurait rétorqué le Calabrais. « Fils de pute, j’ai pas peur de toi », aurait à son tour répondu Beretta, avant de dégainer le calibre de la marque éponyme et au numéro de série abrasé qu’il cachait sous son aisselle. Bellocco serait parvenu à le désarmer avant d’ouvrir le feu une fois, mais le chargeur serait tombé de l’arme, et Beretta en aurait profité pour trucider son opposant. Une version difficilement crédible, qui lui permet de faire passer ce violent règlement de compte pour un acte de légitime défense, mais qui n’empêche pas son placement en détention illico presto.

La veille, les deux hommes posaient encore bras dessus, bras dessous au sortir d’un match de foot pour l’anniversaire d’un autre leader de la Curva Nord, Marco Ferdico. Une dizaine d’heures plus tard, l’un poignarde sauvagement l’autre, au point de s’acharner sur sa dépouille encore chaude. Au cœur de leur dispute se trouverait la question du partage des bénéfices de la boutique officielle de la Curva Nord 1969, située à Pioltello, en banlieue milanaise, où réside Beretta.

Le règlement de compte, aux conséquences encore floues sur le petit monde de la tifoseria du stade Giuseppe-Meazza, intervient deux années après l’assassinat de Vittorio Boiocchi, ancien leader du virage intériste et capo historique des Boys San, sur fond de règlement de compte en lien avec le trafic de stupéfiants. Depuis, Beretta, considéré comme son bras droit, avait repris le leadership dans un virage qui décidait de s’unifier derrière la seule bannière de la CN 1969, et d’ainsi enterrer la hache de guerre. Dans un communiqué, la Curva Nord unifié affirmait aspirer à « un changement pour ressouder (ses) rangs », et à « laisser derrière (eux) le temps des malentendus ». Chassez le naturel, il revient au galop.

Boutique de vêtements, billetterie et trafic de stup

Derrière la mort de Bellocco ne se joue pas que la rente d’une boutique de fringues, mais surtout le partage de l’énorme gâteau que représentent les activités économiques autour du stade les jours de match. Gestion du parking, commerces de bouche, vente de merchandising et, surtout, la revente au marché noir de billets glanés auprès des dirigeants du club en tant que chefs de la tifoseria intériste. « Je me fais 80 000 euros par mois », se vantait en son temps Vittorio Boiocchi, alors mis sur écoute, comme le rapporte la revue Lavialibera. Bien qu’interdit de stade et resté au chaud en prison pas moins de 26 ans et 3 mois entre 1992 et 2018 pour de multiples condamnations allant du vol au braquage, en passant par l’extorsion de fonds et le trafic de drogue international, Vittorio Boiocchi avait gardé le contrôle sur les affaires au sein du stade.

Pour gérer un groupe ultra, il faut une certaine force, un certain niveau de violence, et s’en foutre un peu des lois, sinon on ne devient pas le chef de milliers de personnes au stade.

Andrea Giambartolomei, journaliste italien

« Depuis la prison, Boiocchi gérait le deal de drogue au stade », soutient Andrea Giambartolomei, journaliste pour la revue italienne Lavialibera. « Les curvas sont des zones libres où plein de choses sont possibles, explique-t-il. On peut consommer de la drogue, il n’y a pas de contrôle étroit pour entrer au stade. Ceux qui s’imposent peuvent y gérer le trafic, et sont donc amenés à entrer en contact avec de grands trafiquants. C’est ainsi que le monde des ultras et les mafias entrent en contact. » Des liens établis tout naturellement à la vue du pedigree des leaders des virages : « Pour gérer un groupe ultra, il faut une certaine force, un certain niveau de violence, et s’en foutre un peu des lois, sinon on ne devient pas le chef de milliers de personnes au stade. On choisit celui qui s’impose, il est donc courant que les chefs de virages aient des antécédents judiciaires », poursuit Giambartolomei.

Son mentor décédé, Beretta est lui interdit d’entrer dans la cité lombarde après le lynchage d’un vendeur ambulant napolitain aux abords de San Siro. C’est donc à Marco Ferdico que revient la gestion des affaires de la curva. Le porte-parole de la CN 1969 avait ainsi permis à son grand ami Antonio Bellocco d’intégrer la direction de la Curva Nord en début d’année 2024, et ainsi de s’approcher du pactole. L’arrivée d’un membre d’une famille bien connue de la ‘Ndrangheta, déjà condamné pour association mafieuse, inquiétait les autorités du football italien, sommant les dirigeants nerazzurri de s’expliquer.

« Des enfants de la même culture mafieuse »

La montée en puissance dans les travées milanaises d’Antonio Bellocco, originaire de Rosarno en Calabre, présenté par sa famille comme un simple père de deux enfants désormais repenti, « symbolise bien cette convoitise » mafieuse envers l’argent drainé par le calcio, estime Marco Di Lello, ancien coordinateur du rapport sur les liens entre mafias et football et aujourd’hui membre de la commission aux accords économiques de la FIGC, la fédération italienne. « Boiocchi, Bellocco et leurs amis sont les enfants de la même culture mafieuse » aux yeux de l’avocat napolitain. « Depuis les années 1990, les ‘ndrine calabraises ont infiltré le nord de l’Italie. Elles ont pu se déguiser en supporters [pour infiltrer les virages], et, jusqu’à notre enquête courant 2016 sur les liens entre le foot et la mafia, les clubs avaient un peu sous-estimé ce risque. Comme le disait déjà le juge Falcone dans les années 1980 : “Pour trouver des mafiosi, il suffit de suivre l’argent” », rappelle Marco Di Lello.

« Dans les villes du Sud comme Catane, Palerme ou Naples, la présence de membres de familles mafieuses dans les virages est historique, complète Giaccomelli. Avant, cela n’existait pas dans les villes du Nord. Dans les années 2010, des enquêtes sur le trafic de drogue ont montré l’implication d’ultras de la Juventus. Le chef des Bravi Ragazzi, Andrea Puntorno, avait des connexions avec la mafia sicilienne et avait été arrêté. » Pour des faits de trafic d’héroïne et de cocaïne notamment, mais aussi pour un trafic illégal de billets pour le Juventus Stadium, obtenus auprès de la direction turinoise.

« L’enquête de 2016 a aussi démontré qu’un certain Rocco Dominello, issu de la ‘Ndrangheta (lui aussi originaire de la ville de Rosarno, comme Antonio Bellocco, NDLR) avait créé un petit groupe d’ultras, les Gobbi, allié des Drughi, ce qui lui avait permis d’entrer en contact avec Andrea Agnelli et d’autres dirigeants pour obtenir des billets », se souvient Giambartolomei. L’assassinat d’Antonio Bellocco met en lumière l’importance des connexions mafieuses au sein du virage intériste, mais le problème est loin d’être circonscrit à la ville lombarde : à Rome, le capo laziale Fabrizio Piscitelli, dit « Diabolik », était assassiné en 2019 dans un règlement de comptes lié au trafic de stupéfiants, tandis que dans la Curva Sud de l’AC Milan, le leader Luca Lucci était lui condamné en décembre 2021 pour du trafic de cocaïne et de cannabis. « C’est là qu’on s’est rendu compte que les familles mafieuses avaient imprégné presque tous les virages, même dans les villes du Nord.Un lien avec la mafia permet de s’assurer une certaine protection, continue le journaliste. Lorsqu’on dirige un groupe d’ultras, on est en concurrence avec d’autres supporters pour obtenir une plus grande partie du virage, ce qui signifie plus de billets pour les matchs, mais aussi un plus grand marché pour dealer. Il faut donc s’imposer par la violence, ce qui nécessite des hommes. Avec la protection de criminels, le groupe est donc plus fort. »

Beretta, un infami ?

Une protection renforcée, Andrea Beretta risque bien d’en avoir grandement besoin, lui qui est désormais considéré comme « un mort qui marche » dans le virage nord de Meazza. À savoir, un homme dont la vie ne tient qu’à un fil. Déjà accusé d’être un « infami », soit de jouer le rôle d’indic, par un trafiquant notoire de la cité milanaise, tête de réseau dans le quartier populaire de la Barona, Beretta peut désormais craindre depuis sa cellule une vendetta de la part de Marco Ferdico, le capo intériste et grand ami de Bellocco, qui lui avait permis d’accéder aux instances dirigeantes de la CN 1969. Depuis le meurtre de son ami, celui-ci n’a de cesse de lui rendre hommage à grand renfort de stories sur Instagram.

« Je me retrouve seul ici sans toi, la personne qui a le plus cru en moi. Rien ne sera plus jamais comme avant », écrit le tifoso, avant de conclure : « Je vivrai en honorant chaque jour l’homme merveilleux que tu étais. » Ce jeudi 12 septembre, les supporters intéristes se sont réunis pour choisir leur nouveau leader. C’est Renato Bosetti, 49 ans, qui fut l’heureux élu. Sur son CV figure notamment une candidature en 2018 sous les couleurs néofascistes du groupuscule Casa Pound aux élections régionales lombardes, lui qui est présenté comme « une référence de l’extrême droite » locale par le quotidien Il Fatto. Un autre enfant de chœur, indubitablement.

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Par Baptiste Brenot

Propos de Andrea Giambartolomei et de Marco Di Lello recueillis par BB

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