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Metz-Le Havre : amis pour la vie ?
Opposés en clôture de la 27e journée de Ligue 2, ce lundi (20h45), Metz et Le Havre entretiennent une amitié de longue date. À en croire des supporters des deux camps, celle-ci s’est cependant étiolée au fil du temps.
C’est un petit geste qui, malgré tout, ne peut passer inaperçu. Le 24 octobre dernier, Le Havre recevait Metz au stade Océane. Les courageux supporters grenat à s’être enquillés les quelque 550 kilomètres séparant les rives de la Moselle de l’estuaire de la Seine ont eu le plaisir, en arrivant devant le guichet visiteurs de l’enceinte normande, de ne pas avoir à débourser le moindre centime pour acheter leurs places. Celles-ci leur avaient en effet été offertes par les Barbarians, le principal groupe de supporters du HAC. Un simple acte de solidarité, dans un contexte de forte inflation et d’augmentation des prix à la pompe ? Loin de là. « Je pense que ça fait très longtemps que les Messins n’ont plus payé au Havre et que les Havrais n’ont plus payé à Metz », révèle Johan Vattier, le président des Barbarians. Et pour cause : les deux clubs sont amis depuis des années.
Privilèges d’après-guerre et table à réserver
Cette amitié prend racine dans l’immédiat après-guerre. Avant le coup d’envoi de la saison 1945-1946, le FC Metz est dans une situation catastrophique en raison des stigmates laissés par le conflit. Ses infrastructures sont détruites, sa pelouse est inondée et ses joueurs ne sont plus là. Prenant la mesure du problème, la fédération française de football accorde plusieurs privilèges au club à la croix de Lorraine, notamment son admission d’office en D1 et l’assurance qu’il ne pourra pas être relégué à l’issue de l’exercice. Ce régime de faveur, qui s’applique également à Strasbourg, permet donc aux habitués de Saint-Symphorien de ne pas trop s’inquiéter, même si leur équipe se retrouve rapidement au fond du classement. En compagnie du Havre qui, en dépit des dégâts considérables causés par les bombardements de 1944, n’est de son côté pas à l’abri d’une éventuelle relégation. C’est là qu’intervient Raymond Herlory, le président messin. « Il a insisté pour que la dérogation dont bénéficiait son club soit aussi appliquée au nôtre, narre Olivia Detivelle, supportrice historique du Havre. En quelque sorte, il fallait se soutenir dans le malheur. » Par conséquent, ni le FC Metz (17e) ni le HAC (16e) n’accompagnent Sochaux (18e et dernier) en D2. C’est le Lyon olympique universitaire, pourtant quinzième, qui tombe dans la charrette.
À y regarder de plus près, Le Havre et Metz ne partagent pas que des souffrances endurées pendant la Seconde Guerre mondiale. Ce sont deux villes de taille moyenne, marquées par une forte tradition ouvrière (maritime pour l’une, sidérurgique pour l’autre) et dont l’équipe de foot locale est, d’une certaine manière, le porte-étendard. Pendant longtemps, les deux clubs sont d’ailleurs dirigés par des présidents au profil similaire : Carlo Molinari côté lorrain (1967-2009) et Jean-Pierre Hureau côté normand (1979-2000). « Il y avait une forte amitié entre eux deux, poursuit Olivia Detivelle. Ils étaient de la même génération et échangeaient beaucoup. Je suppose qu’ils devaient avoir la même vision du football et de la manière dont un club devait être géré. » « Pour eux, savoir quelle table ils allaient réserver après le match était presque plus important que le match en lui-même, abonde Pierre Théobald, auteur de l’ouvrage Carlo Molinari, Sang grenat (Éditions du Quotidien, 2016). Molinari a toujours eu plaisir à entretenir des complicités avec les dirigeants qui lui ressemblaient. Il s’entendait d’ailleurs aussi très bien avec Louis Nicollin (président de Montpellier de 1974 à 2017, NDLR). » Sans oublier qu’à cette époque, les deux formations sont d’un niveau similaire et sont tranquillement installées dans l’élite. « Le Havre-Metz, dans les années 1980, ça sentait bon le ventre mou de la D1, se souvient Théobald. L’objectif, c’était de terminer onzième ou douzième et de perdurer ainsi au plus haut niveau. »
@StadeOceane Un match #HACFCM qui démarre sous de bons hospices avec cette discussion à bâtons rompus sur le foot avec 2 Grands messieurs du #foot Le havrais Jean pierre Hureau et le Messin Carlos Molinari. Un pur moment de bonheur. Mais bon ce soir c’est victoire pour @HAC_Foot pic.twitter.com/vAW6TPER3o
— Agnes Firmin Le Bodo (@agnesfirmin) March 4, 2019
Barbecues, tournois de foot et temps qui passe
C’est justement pendant cette période, au milieu des 80s, que l’amitié messino-havraise prend forme en tribunes. Tout commence le 15 août 1986, si l’on se fie à la mémoire bluffante d’Olivia Detivelle. « On était montés à Metz en car, retrace celle qui, pendant 21 ans, a occupé la présidence du Kop Ciel et Marine. Il n’y avait pas encore de parcages visiteurs, donc on se débrouillait pour prendre des places là où elles étaient les moins chères. On s’est retrouvés à côté du Kop of Metz, l’ancêtre de Génération Grenat. Ces supporters avaient une réputation un peu chaude, mais tout s’est super bien passé et on a sympathisé. » S’ensuivent bringues et barbecues dès que l’un se déplace chez l’autre, et même des participations communes à un tournoi de football intersupporters, organisé en Seine-Maritime et auquel se joignent aussi des fans de Lens, Laval, Mulhouse ou Portsmouth. « On était toujours accueillis comme des rois quand on allait au Havre, se remémore avec nostalgie David, membre actif de Génération Grenat pendant des années. Ce déplacement, c’était toujours un grand moment de partage, de fête. Et il suffisait de passer une soirée avec les Havrais pour qu’on devienne potes. » À l’issue de la dernière journée de la saison 1998-1999, le HAC, pourtant battu par son meilleur ami mosellan, se sauve d’extrême justesse aux dépens de Lorient. Au coup de sifflet final, les supporters des deux camps envahissent le terrain, célébrant ensemble le plaisir de se retrouver l’année suivante.
Saison après saison, Normands et Lorrains ont donc grand plaisir à se rendre visite, même si leur déclassement sportif les oblige à se retrouver de plus en plus souvent en Ligue 2. « On est deux clubs de losers, donc on se soutient dans la lose », rigole David. Néanmoins, il semblerait qu’avec le temps, cette belle amitié ait fini par s’effilocher. « Tout ça m’évoque le passé, avoue Johan Vattier. Ce jumelage a été très fort dans les années 1990 et 2000, mais il s’est perdu dans les dix dernières années. » La raison ? « Il n’y a pas vraiment eu de transmission générationnelle de la part des anciens, poursuit le leader des Barbarians. Une amitié, ça s’entretient. Sinon, elle s’estompe. » Un constat partagé par l’habitué de la tribune ouest de Saint-Symphorien : « Ça s’est essoufflé quand Génération Grenat a commencé à perdre en affluence (le groupe s’est mis en sommeil en avril 2022 et n’est plus actif en tribunes, NDLR). Les principaux acteurs de l’amitié ont été de moins en moins actifs, voire ont quitté le stade. Quant à la nouvelle génération, on ne lui a pas forcément bien transmis cette relation avec les Havrais. » À défaut de réelle amitié, il subsiste « un profond respect de part et d’autre », dixit Johan, ainsi que « des liens amicaux entre personnes plutôt qu’entre groupes », précise David. Ce dernier sera présent dans les gradins, ce lundi soir (20h45), en espérant que les partenaires de Georges Mikautadze parviennent à faire tomber l’incroyable série d’invincibilité du leader havrais. Il faudra bien ça pour croire encore davantage à un retour en Ligue 1. « Si nos deux clubs pouvaient monter, ce serait pas mal », sourit Olivia. Cela ferait au moins deux matchs de Ligue 1 à l’occasion desquels les places en parcage visiteurs seraient ouvertes.
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Tous propos recueillis par RB.